4. Réduire l’écart entre le savoir savant et le savoir enseigné

Trois facteurs peuvent réduire l’écart entre le savoir savant et le savoir enseigné : rendre visible la présence des objets d’études du savoir savant dans l’environnement quotidien des enseignants et des élèves ; mettre en lien la maîtrise du langage de l’école et les sciences du langage de l’université ; résoudre l’apparente contradiction entre ludique-communicationnel et réflexion sur la langue.

A l’origine des propositions qui encouragent à reconnaître les répertoires plurilingues et pluriculturelles, ainsi que les compétences générées par les parcours migratoires, il y a, de la part des chercheurs, la volonté de se défaire des modélisations existantes, d’observer le sujet sur l’ensemble de sa trajectoire plutôt que sa performance à un moment donné, et de réduire ainsi l’écart entre le sujet observé et la description qui en est donnée. Le linguiste, comme l’anthropologue et le sociologue, considèrent le sujet (locuteur, acteur culturel et/ou migrant) comme un informateur pertinent. Leurs travaux prennent en compte les transmissions de savoir et les acquisitions dans des situations informelles de la vie quotidienne. Ils mettent en évidence que les stratégies des apprenants préexistent aux institutions scolaires (Matthey, 1996 : 57) et continuent à exister en dehors d’elles ; que ces stratégies et les compétences développées peuvent être validées au même titre que si elles s’étaient épanouies au sein de l’école. La réduction de l’écart entre le savoir savant et le savoir enseigné dans la classe sera facilitée si en formation, l’enseignant reçoit des outils d’observation des répertoires plurilingues et pluriculturels de son environnement et peut les confronter à ceux observés par la recherche. L’enseignant pourra alors entendre et lire les continuums linguistiques et culturels et les intégrer plus facilement à son enseignement de langue. Mais c’est aussi dans les programmes de chaque langue que ce lien entre les savoirs savants et les terrains d’enseignement peut être visible : les recommandations faites aux enseignants de basque, et d’occitan de prendre appui sur l’environnement proche (entourage familial, lecture de l’espace urbain) peuvent être faites aux enseignants des autres langues et chaque fois à propos de toutes les langues. Ainsi pourra-t-on encourager les élèves à ne pas seulement rechercher la langue qu’ils étudient, mais les fonctions et les stratégies communes à plusieurs langues. En d’autres termes, il s’agit de désigner les liens forts entre la maîtrise du langage et les Sciences du langage, à la fois en termes d’objets d’études et de méthodologie.

Les premières années d’enseignement des langues étrangères à l’école primaire ont été marquées par le souci de ne pas reproduire certains aspects de l’enseignement au collège, d’éviter l’introduction massive de l’écrit et la grammaire explicite et de privilégier les activités de communication. La didactique des langues au primaire a été largement inspirée par les expérimentations qui avaient existé avant 1989, souvent en dehors du cadre scolaire, et qui donnaient la priorité à une approche ludique. Dès 1991, le ministère de l’éducation nationale prenait la mesure des inconvénients d’une démarche réduite au communicatif et au ludique, qui débouchait souvent sur une juxtaposition d’activités :

‘La sensibilisation aux langues et aux civilisations étrangères évoque souvent l’idée d’un simple contact avec ces langues et ces civilisations à travers diverses activités, à dominante ludique, assez peu ou assez mal finalisées, dans la mesure où ces activités ne se voient généralement assigner que des objectifs éducatifs généraux ou globaux.’

Mais en 1991, les instructions officielles n’envisagent pas les compétences cognitives (« prise de conscience de la cohérence et de la relativité de tout système linguistique, prise de conscience par l’élève de ses propres habitudes mentales, aptitudes à l’inférence ») en regard des répertoires plurilingues des élèves ; elles sont considérées surtout comme des compétences « globales », et ne rentrent pas dans « la composante linguistique ». Ce qui rend périphériques, et non centrales, la réflexion métalinguistique, la comparaison des langues entre elles et le recours aux différents répertoires plurilingues des élèves. Dans les classes et dans les manuels, ce positionnement a amené à poursuivre des démarches peu préoccupées de notions linguistiques et à programmer les apprentissages autour des fonctions langagières, sans les articuler aux apprentissages dans la langue de l’école. Le communicationnel et le ludique ont minoré l’observation des mécanismes langagiers et la mise en relation des langues entre elles. Or, nous avons plus haut à quel point les élèves, dès les premiers contacts avec une nouvelle langue, peuvent non seulement s’y intéresser mais s’investir et jouer avec le langage ; en cultivant cette aptitude, en systématisant des activités réflexives dans un continuum d’enseignement du français langue-matière et des langues étrangères, l’enseignant étend la part consacrée aux stratégies plurilingues, sans que soit nécessaire le recours à une grammaire explicite, monolingue et rébarbative dans la langue vivante cible.