2. Le contexte spécifique de la formation à l’enseignement de langue à l’école

Depuis sa mise en place en 1989 jusqu’à aujourd’hui, l’enseignement des langues au primaire a été assuré par plusieurs catégories d’enseignants : intervenants extérieurs, assistants étrangers, enseignants du second ou du premier degré. Les langues qu’ils enseignaient, leurs statuts, leurs formations et leurs liens au monde scolaire étaient différents. Depuis quelques années, plusieurs facteurs contribuent à une certaine homogénéisation des enseignants : la formation initiale et continue en langue pour tous les enseignants du premier degré, l’épreuve de langue obligatoire au concours de professeur des écoles et la fin du recours aux intervenants extérieurs. Les profils des professeurs des écoles sont cependant différenciés, comme nous l'avons évoqué ci-dessus, que ce soit en termes de diversité des langues maîtrisées (malgré la large présence de l’anglais), de cursus d’études, ou de parcours professionnel antérieur.

Dans le cadre de l’enseignement d’une langue étrangère à l’école, accueillir dans son enseignement les différentes langues et cultures des élèves ne dément pas ce que Daniel Coste a écrit de l’école (1973 : 73), comme étant sans cesse invitée à offrir une « réponse plurielle et souple à des besoins multiples et composites ». Ce qui ne peut être attendu comme un comportement spontané. Il s’agit, pour les enseignants, d’une véritable compétence professionnelle, et d’un quadruple défi.

Le premier défi est d’enseigner une langue, discipline toujours perçue, dix-neuf ans après sa mise en place à l’école, comme nouvelle. Les enseignants actuels restent peu nombreux à avoir eux-mêmes fait l’expérience de l’apprentissage d’une langue étrangère à l’école primaire ; ils n’ont pas non plus expérimenté l’arrivée au collège avec des pairs ayant des acquis hétérogènes dans une langue étrangère. Ils sont plus rares encore à avoir vécu une migration et l’apprentissage du français langue seconde et ont pour la plupart un lien indirect avec ces expériences : l’observation de leur entourage, de leurs premiers stages, la mémoire de vécus familiaux. Les différentes situations de plurilinguisme partiel qu’ils ont vécu sont souvent reléguées dans la sphère du privé et ne sont pas envisagées comme un atout pour des apprentissages.Les situations pour lesquelles la prise en compte d’acquis linguistiques peut influer positivement sur les apprentissages dans une langue nouvelle sont donc peu familières pour la grande majorité des enseignants.

Le second défi est d’enseigner une langue malgré, pour certains enseignants, une maîtrise incertaine de la langue cible, et pour un grand nombre, le manque d’assurance et la représentation que l’excellence linguistique. L’Eurobaromètre de 2001143 indique que parmi les raisons qui peuvent décourager les gens d’apprendre une langue étrangère, le sentiment de « n’être pas doué pour les langues » est énoncé par 22 % des Européens des 15 états membres en 2001. Les Français sont les plus nombreux : 27%.144 L’Eurobaromètre de 2005 témoigne d’une évolution positive des citoyens européens, qui sont beaucoup moins nombreux à s’auto-déprécier : seulement 16% des Européens des 27 pays membres, et également 16% des Français considèrent qu’ils ne sont pas doués pour les langues. Mais à la nouvelle question introduite en 2005, « dans mon pays les gens sont doués pour parler d’autres langues », 44% des citoyens des 27 membres répondent qu’ils sont plutôt d’accord, et 45% plutôt pas d’accord, alors qu’en France 27 % sont plutôt d’accord et 62% plutôt pas d’accord. Quelle confiance en soi et en leurs élèves ont les enseignants français, alors que pèse sur eux le poids de la transmission de la norme linguistique ? Les propos des enseignants que nous avons rencontrés confirment la prégnance de la norme linguistique et le peu de confiance en soi. De plus, le contexte de la formation professionnelle des professeurs des écoles, en IUFM, ne peut offrir qu’un espace très restreint à la formation linguistique proprement dite : les contenus sont essentiellement didactiques. Le temps de formation ne permet pas d’améliorer de manière conséquente les compétences linguistiques ; faute de pouvoir offrir une formation linguistique approfondie aux futurs enseignants qui sont nombreux à ne pas avoir une grande aisance dans la langue qu’ils vont enseigner, les formateurs ne peuvent que les orienter vers des outils d’auto formation et créer les conditions d’une meilleure réceptivité à la langue cible, d’une décrispation vis-à-vis des apprentissages linguistiques.

L'aptitude à considérer des langues inconnues comme des ressources dans la classe sera considérée comme un nouveau défi et nécessitera explicitations et accompagnement. Cette attitude peut en effet être considérée comme un manquement à la mission de l’enseignant : l’univers scolaire valorise la compétence à respecter les normes d’une langue cible ; valoriser les pratiques plurilingues peut être ressenti comme un encouragement aux mélanges, qui font l’objet d’un rejet et sont considérés comme une forme d’incompétence (Chardenet, 2004 : 37). En fait, la compétence que les enseignants devront développer sera celle d’amener les élèves de l’alternance linguistique non consciente à l’alternance linguistique maîtrisée et stratégique. Accueillir les langues inconnues des élèves dans la classe, c’est accepter de vivre une forme d’insécurité linguistique tout en restant enseignant et médiateur : en effet, pour développer les stratégies et les compétences des élèves dans une langue étrangère enseignée, et alors que souvent il a des inquiétudes sur sa propre maîtrise de cette dernière, voici que l’enseignant est invité à utiliser ponctuellement les langues des élèves, dans lesquelles lui-même n’a aucune expertise.

Le quatrième défi, lié au précédent, est la tension à résoudre entre savoir et capacité : les enseignants stagiaires, lors des formations, s’inquiètent : les compétences plurilingues sont-elles compatibles avec le savoir et avec les compétences de communication dans une langue ? Dans quelle mesure l’introduction des langues des apprenants modifie-t-elle les contours du savoir enseigné ?

Notes
143.

Voir plus haut.

144.

L’âge, indique l’Eurobaromètre n’est pas une variable déterminante de ce manque de confiance en soi. Ce sont les ouvriers qui sont proportionnellement les plus nombreux (25%) et les managers le sont le moins (15%).