Introduction Générale

Une nouvelle conception de l’image

L’image

D’un emploi galvaudé, le mot image est souvent considéré comme ambigu et imprécis, comme par Abastado qui le voit comme « un des termes les plus flous de la psychologie comme de l’esthétique. Il peut désigner un contenu psychique lié à la perception ou à la mémoire : la représentation mentale et sa transcription verbale. Il indique également une création phantasmatique et la synthèse verbale, l’association par la syntaxe d’éléments sans lien dans la réalité. En fait les deux sens du mot sont difficilement séparables » 1 . Par ailleurs, d’un point de vue aussi bien général que proprement stylistique, ce mot revêt un sens confus et élargi, car, « tantôt générique pour tout rapport d’analogie, tantôt synonyme étroit de métaphore, à l’exclusion de la comparaison, [il] concentre et symbolise l’incapacité de la stylistique à fonder sa scientificité » 2 . D’où, il semble indispensable, avant d’analyser les images chez un auteur précis, de déterminer le sens de ce terme, et pareillement de ceux qui servent, en rhétorique, à marquer les différentes figures rassemblées sous l’appellation générale d’« images ». Au départ, le terme doit sa prédominance à la définition que lui attribue André Breton dans le Manifeste du Surréalisme de 1924, inspirée elle-même par celle de Reverdy dans Le Gant de crin 3  :

‘L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.’ ‘Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte, plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique.’

Dès lors, la notion sera considérée comme « l’essence de la poésie, tout au moins l’agent principal de son dynamisme et de sa modernité » 4 , selon P. Caminade, qui tente d’expliciter chacune des composantes de cette définition, dans la mesure où « créée purement par l’esprit, l’image s’oppose aux figures de la rhétorique, à la comparaison qui ressortissent à une technique littéraire » 5 . En d’autres termes, elle ne doit pas être recherchée, mais obligatoirement spontanée, « imprévisible » et essentiellement « un événement neuf », ce que confirme Reverdy en ces termes, « le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports » 6 .

Pour Stephen Ullmann 7 , le mot image revêt plusieurs sens différents, nécessitant d’être explicités, afin d’éviter la confusion de deux acceptions distinctes. D’un point de vue rhétorique, l’image peut être tantôt, dans un emploi générique, l’« expression linguistique d’une analogie », regroupant, par conséquent, divers types de figures d’analogie, telles que la comparaison, la métaphore ou l’allégorie, pour qu’elles soient définies comme l’identification ou seulement, dans le cas des comparaisons, d’un rapprochement de deux objets appartenant à des domaines plus ou moins éloignés ; tantôt dans un emploi particularisant, identifié par H. Meschonnic 8 , selon lequel le mot peut être réduit à un synonyme délimité à la seule métaphore. Du côté de la stylistique, « image » désigne une « représentation mentale d’un rapport linguistique entre deux objets » 9 , ou « l’emploi d’un lexème étranger à l’isotopie du contexte immédiat » 10 .

Dans cette perspective, il reste à recenser et classer les figures qui peuvent être nommées images. D’une part, il existe celles spécifiées par un rapport d’analogie entre deux termes – comparaison, métaphore, allégorie, symbole –, d’autre part, celles dont les constituants sont assemblés grâce à un lien de contiguïté – métonymie et synecdoque. Par ailleurs, il est possible d’enrichir cette énumération traditionnelle par deux autres occurrences figuratives particulières, que Le Guern propose. D’un côté, les synesthésies, définies comme une « correspondance sentie entre les perceptions des différents sens, indépendamment de la mise en œuvre des facultés linguistiques et logiques », elles sont donc prises en considération en tant qu’images, quoique d’un caractère « extra-linguistique ». D’un autre côté, nous citons les syllepses, qui ne sont pas par elles-mêmes des images, mais le sont par l’intermédiaire d’autres figures, étant donné qu’elles sont des « tropes mixtes » qui « consistent à prendre un même mot tout à la fois dans deux sens différents […] ; ce qui a lieu par métonymie, par synecdoque, ou par métaphore » 11 .

En outre, nous évoquons le point de vue de Pierre Caminade, qui fait de l’image un  concept complexe et vague, car lié généralement au processus de la représentation, considérée comme « la marque du langage poétique », en vue de la libération de ces formes, permettant de dissimuler ou de révéler une réalité donnée en l’exagérant ou en l’animant, d’insister sur l’un de ses aspects, ou de susciter un univers différent du monde des perceptions quotidiennes. Dans cette perspective, « elle présente en effet la particularité paradoxale d’être une composante essentielle du langage poétique, en même temps qu’une réalité linguistique difficile à définir, donc à appréhender » 12 . Toutefois, elle est couramment définie comme un rapprochement arbitraire de deux ou plusieurs signifiants dont les signifiés n’affichent aucun rapport imposé par le sens commun et vérifié par la logique. Par conséquent, sa valeur poétique est étroitement liée au degré d’arbitraire et d’inintelligibilité immédiate du rapprochement. Par ailleurs, et selon P. Caminade, « l’image est une création pure de l’esprit, un donné de l’imagination libre, de l’inconscient, de l’irrationnel. L’homme d’où elle jaillit est dans un état volontaire ou non, de pré-réflexion ou de dérèglement. L’image est aléatoire, portée par des mots qui n’ont aucun rapport logique. L’écriture est automatique » 13 .

Dans le fil de cette définition, cet auteur établit une distinction considérable entre les deux notions : image et métaphore. Il installe de ce fait un parallélisme entre les deux figures, fondé essentiellement sur la contradiction et à plusieurs niveaux. Alors que le rapprochement mis en lumière par l’image est caractérisé par son arbitraire, la métaphore établit une jonction motivée et réfléchie de deux ou plusieurs signifiants dont les signifiés sont associés par le biais de ressemblances, de similitudes ou d’homologies, en tant que critères qui constituent le fondement de l’analogie, sur laquelle repose la figure de la métaphore. Par contre, l’analogie ne s’appuie sur aucune base, dans le cas de l’image, dans la mesure où cette dernière est « littérale, intraduisible, ne renvoie à rien, sinon à elle-même », devenue ainsi « cause de son sens, non-sens et phénomène d’être », d’autant plus qu’« en elle code et message sont confondus.». L’avantage est ainsi accordé au signifiant. En contrepartie, la métaphore « peut toujours être traduite, puisqu’elle est un écart par rapport au langage ordinaire, transfert ou changement de sens. Elle porte un message complexe, sémantiquement polyvalent », en ce sens qu’elle procède par « un jeu complexe entre le sa et le sé », en leur accordant, de la sorte, le même intérêt et le même statut. D’autre part, si l’image ne fournit existence qu’à elle–même, le processus métaphorique est un phénomène d’existence, qui donne naissance à de nouvelles créations» 14 .

En tant que dernier motif de différenciation, P. Caminade évoque la valeur poétique : celle de l’image découle de l’arbitraire de l’association et procure donc un plaisir d’ « une forte charge mentale », tandis que celle du processus métaphorique, provient d’un « degré d’impertinence » caractérisant les signifiés, vis-à-vis du code de la parole, et « dépend » d’un « potentiel de connotation » et d’une « charge affective », propres à la métaphore, et qui font en sorte que son caractère culminant soit de l’ordre du sensible. En effet, non arbitraire parce que « portée par des mots dont le rapprochement peut être soumis à une épreuve de vérité », cette figure est poétique parce qu’elle est le produit « d’une recherche, à laquelle prennent part une sensibilité et une imagination, contrôlées par l’esprit critique du poète » 15 . En conséquence, elle concrétise une impression généralement inexprimable grâce aux pouvoirs de l’imagination.

Néanmoins, si cet auteur insiste sur la distinction de ces notions, il indique pourtant que dans l’œuvre surréaliste, l’image et la métaphore coexistent jusqu’à la fusion, vu qu’elles résultent d’une pratique automatique de l’écriture, leur octroyant le pouvoir de provoquer un effet de choc et d’engendrer la surprise chez leur récepteur. En effet, les deux notions deviennent arbitraires, parce qu’elles consistent en une intervention stimulée par l’irrationnel, l’inconscient, et l’imagination libre dans le cadre du texte.

De ce fait, nous allons rejoindre la théorie élaborée par Irène Tamba-Mecz qui confirme que les surréalistes ont regroupé toutes les figures d’analogie en une seule catégorie, celle de l’image. Employés dès lors tantôt dans leur acception ancienne, tantôt comme synonyme d’image, les termes de métaphore et de comparaison en viennent à désigner toutes les expressions figurées qui ont l’analogie pour ressort, qu’il s’agisse de symboles, d’allégories. Nous citons I. Tamba-Mecz :

‘Loin d’être une reproduction du réel, [l’image] produit une réalité autre, fabriquée par l’imagination 16 .’
Notes
1.

C. ABASTADO, Introduction au Surréalisme, Paris, Bordas 1971, p.81.

2.

H. MESCHONNIC, Pour la poétique I, Paris, Gallimard 1970, pp.101-102.

3.

P. REVERDY, Le Gant de crin, Paris, Librairie Plon 1926, p.32.

4.

P. CAMINADE, Image et métaphore, Paris, Bordas 1970, p.3.

5.

Ibidem, p.13.

6.

P. REVERDY, Le Gant de crin, Paris, Librairie Plon 1926, p.34.

7.

S. ULLMANN, « L’image littéraire, quelques questions de méthode », in Langue et Littérature, Actes du 8e congrès de la fédération des langues et littératures modernes (1960), Paris, Belles Lettres 1961, p.43.

8.

H. MESCHONNIC, Pour la poétique, Paris, Gallimard 1970, p.101.

9.

S. ULLMANN, Ibidem.

10.

M. Le GUERN, Sémantique de la métaphore et la métonymie, Paris, Larousse 1972, p.53.

11.

FONTANIER, Les figures du discours, Paris, Flammarion 1977, p.105.

12.

G. DESSONS, Introduction à l’analyse du poème, Paris, Bordas 1991, p.58.

13.

P. CAMINADE, Image et Métaphore, Paris, Bordas 1970, pp.135-136.

14.

Idem.

15.

Ibidem., pp.135-136.

16.

I. TAMBA-MECZ, Le sens figuré, Paris, PUF 1981, p.26.