La métaphore

Au début de ce chapitre, il nous a paru indispensable de porter intérêt à la place de la métaphore dans la créativité en tant que figure de translation du réel et sur ce qui est dit sur le réel, puisqu’elle est définie par J. Cohen comme « une violation du code de la langue », dans le sens où « elle se situe sur le plan paradigmatique », où il existe « une sorte de dominance de la parole sur la langue, celle-ci acceptant de se transformer pour donner un sens à celle-là. L’ensemble du processus se compose de deux temps, inverses et complémentaires : position de l’écart (impertinence) et réduction de l’écart (métaphore)» 36 . Par ailleurs, si la métaphore a connu plusieurs modifications, nous allons mettre l’accent principalement sur celles qu’elle a manifestées pendant la période surréaliste. Ainsi, selon P. Caminade, « durant les périodes classique, romantique et naturaliste, la métaphore demeure simple et claire. Elle est souvent explicative ou sert d’interprétation, utilisée parfois à éclairer des idées ou à préciser des images, et d’autres fois, à relater des sentiments et des émotions humains, alors que les écrivains surréalistes, s’ils ne doivent rien nommer, ni expliquer, ils recourent à des symboles dont le sens reste caché, de même qu’à des images cumulées et fusionnées ensemble, à des correspondances verbales appropriées, dans le but d’évoquer le développement de notions qu’ils désirent présenter. Du coup, la métaphore perd sa clarté et sa simplicité pour devenir nuancée, faisant valoir un jeu complexe de rapports infinis et de contacts multiples» 37 .

De surcroît, nous remarquons que la notion d’image est remplacée, chez les surréalistes, par celle de métaphore, d’abord, pour créer un effet de surprise, mais aussi, parce que la première réactive les métaphores usées, alors que la seconde est une sous-catégorie qui sert principalement à la mise en place d’un langage poétique particulier, tel que le déclare Breton, selon qui « l’imagination poétique reste libre » et « le poète, à qui il appartient de s’exprimer dans un état social de plus en plus évolué, doit par tous les moyens ressaisir la vitalité concrète, que les habitudes logiques de la pensée sont pour lui faire perdre. A cet effet, il doit résolument creuser toujours davantage le fossé qui sépare la poésie de la prose ; il dispose pour cela d’un outil et d’un seul, capable de forer toujours plus profondément, qui est l’image et entre tous les types d’images, la métaphore […] C’est également ne pas se soucier de plaire ou de convaincre, c’est apparaître contrairement à l’éloquence, déliée de toute espèce de but pratique » 38 .

Toutefois, dans certains cas, ce chef de file unifiera la comparaison et la métaphore, car elles ne lui paraissent distinctes que d’un point de vue formel, « encore qu’à l’une soient attribués des ‘’avantages de suspension’’, à l’autre ‘’des ressources de fulgurance’’ » 39 . En outre, il déclare, en ces termes, que le processus métaphorique ne doit plus reposer sur la notion d’analogie : « on n’insistera jamais trop sur le fait que la métaphore bénéficient de toute licence dans le surréalisme, laisse loin derrière elle l’analogie » 40 , dans la mesure où elle offre un nouvel éclairage sur la beauté et permet de constituer une représentation inédite du monde réel, car elle « cumule à la fois l’étincelle destructrice du langage figé, que provoque le jeu des assemblages contrastés et l’étincelle, créatrice de langage nouveau, que déclenche le heurt des symboles subjectifs. Les deux mouvements n’en forment qu’un dans la lumière du merveilleux, dans la convulsion de la beauté » 41 .

D’autre part, si Joëlle Tamine déclare que la métaphore « est susceptible d’une caractérisation linguistique », dans la mesure où, « d’une part, il semble qu’elle se laisse décrire sans un détour par le référent […], et d’autre part, elle paraît impliquer […] une syntaxe », car appartenant à « diverses classes syntaxiques » et nécessite donc « une description syntaxique plus fouillée » 42 , il est essentiel de signaler que les surréalistes s’intéressent principalement à la signification structurale et formelle des métaphores (donc syntaxique) plus qu’à leur signification lexicale (donc sémantique), puisque, par le biais d’une réflexion particulière sur la syntaxe, ils réussissent à bouleverser le réel, se référant davantage à la fonction poétique du langage (comme pour Jakobson) qu’à sa fonction référentielle. En conséquence, ils recourent à la métaphore dans le but d’annuler les catégorisations figées dont l’homme se sert pour articuler le monde. Surréaliste, elle leur fournit donc un moyen pour revivifier la réalité, par un refus des occurrences facilement traduisibles de la figure classique et pour jouer sur un choc entre des réalités contraires, à tel point que « le monde s’ordonne par le langage en vue d’une métaphore inédite », celle qui constitue « l’essence de la poésie », et par laquelle « le surréalisme affiche de façon exemplaire cette attitude quasiment gnostique, à l’égard du temps et des choses » 43 , étant donné qu’elle n’a pas uniquement une fonction cognitive, mais, elle souligne le rôle de la symbolique, en particulier inconsciente, dans l’évolution intellectuelle.

Cependant, nous avons vu qu’il sera judicieux de reprendre certaines définitions de la métaphore, afin de mettre en place une de synthèse, sur laquelle nous nous appuierons tout au long de notre travail.

Notes
36.

J. COHEN, Structure du langage poétique, Paris, Flammarion 1966, p.114.

37.

P. CAMINADE, Image et métaphore, Paris, Bordas 1970, p.102.

38.

A. BRETON, « Situation surréaliste de l’objet », Manifestes du surréalisme, Paris, Pauvert 1962, p.284.

39.

P. CAMINADE, Image et Métaphore, Paris, Bordas, 1970, pp.50-51.

40.

A. BRETON, « Du surréalisme en ses œuvres vives » 1953, Manifestes du surréalisme, Paris, Pauvert 1962, pp.359-360.

41.

J.-F. DUPUIS, Histoire désinvolte du Surréalisme, Paris, L’instant 1988, p.118.

42.

J. GARDES-TAMINE, Description syntaxique du sens figuré : la métaphore, Thèse de Doctorat d’Etat, Paris 7, 1978, p.25.

43.

J. ROUDAUT, « L’Amour Fatal », in Magazine Littéraire, n°213, sept.1984, pp. 32-34.