Définir la métaphore

Les définitions de la métaphore abondent et les théories mises en place autour de cette figure changent d’une époque à l’autre, même s’il est admis en général que la métaphore est un « procédé d’expression considéré comme un transfert d’une notion abstraite dans l’ordre du concret par une sorte de comparaison abrégée ou plutôt substitution » 44 . En effet, la métaphore a toujours occupé une place centrale dans tout dispositif de caractérisation relatif à la production langagière, en général, et littéraire, en particulier. Cette position renvoie tant aux problèmes de définition, qu’à ceux relatifs aux mécanismes mis en œuvre dans la production que dans le traitement de cette figure. Ainsi, nous proposons, en premier lieu, de retracer l’évolution des différentes théories au sujet de la métaphore et des processus employés dans des usages particuliers. Cette évolution est marquée par un grand nombre de divergences, essentiellement dues à la particularité des mises en perspective. Cette présentation doit permettre de proposer une approche plus personnelle, orientée vers une meilleure appréciation du texte aragonien.

Nous commencerons d’abord par la théorie d’Aristote, premier fondement pour cette notion problématique. Il déclare alors que « la métaphore est l’application d’un nom impropre, par déplacement, soit du genre à l’espèce, soit de l’espèce au genre, soit de l’espèce à l’espèce, soit selon un rapport d’analogie » 45 . Il la redéfinit également dans la Rhétorique, en insistant sur sa provenance, dans la mesure où «il faut, quand on emploie la métaphore, [...] ne la tirer que d’objets propres (au sujet), mais non pas trop évidents » 46 . Dans cette perspective, la métaphore est présentée tel un procédé qui fonctionne par analogie, référant au monde réel, mais qui va faire subir à ce dernier une transposition ou un transfert, pour qu’il se transforme en un autre vraisemblable et imaginaire. En d’autres termes, si un auteur fait usage de la figure métaphorique, il va la recréer à l’image de ce qui l’entoure, sans pour autant calquer la réalité, mais en empruntant des éléments réels, qui seront ensuite appliqués sur d’autres de pure invention. Nous citons à titre d’exemple cette représentation métaphorique d’une chevelure féminine, où le réel et le surréel fusionnent :

‘La chevelure’ ‘descend des cendres du soleil se décolore ’ ‘entre mes doigts. ’ ‘(« Eclairage à perte de vue », Feu de joie, p.40)’

Nous remarquons donc que le poète décrit un attribut féminin réel, quoiqu’il recoure à des rapports métaphoriques entre les mots employés, d’abord, entre le sujet « chevelure » et le verbe « descendre », ensuite, entre celui-ci et le complément circonstanciel de « lieu » « des cendres du soleil », sans oublier que ce même constituant de l’énoncé renferme un lien figuré, par détermination, entre « cendres » et « soleil ». Néanmoins, cette image est fondée sur l’analogie, puisque nous supposons que « la chevelure » a en commun avec le « soleil », la couleur blonde et brillante, mais qui ternit suite à un contact avec « mes doigts », pour devenir celle « des cendres », grise et fade. La métaphore sert donc à représenter le monde, en associant le réel et l’imaginaire.

De ce point de vue, nous soulignons l’influence considérable de la théorie d’Aristote sur toutes celles qui l’ont suivi, puisqu’on discerne dans chaque définition des renvois à cette première ressource. Comme chez Fontanier qui reprend la définition aristotélicienne de la métaphore, celle qui l’expose comme « l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger», et qui exige pour être formulée qu’« on transporte, pour ainsi dire, un mot d’une idée à laquelle il est affecté, à une autre idée dont il est propre à faire ressortir la ressemblance avec la première» 47 , tel que dans cette métaphore employée par Aragon :

‘mes ailes oublieront les bras et les travaux .’ ‘(« Eclairage à perte de vue », Feu de joie, p.40)’

Nous remarquons effectivement que le poète a remplacé un mot, « bras », même s’il est mentionné, par un autre, « ailes » quoiqu’il ne s’applique pas à l’humain. Toutefois, cette substitution peut être justifiée, en raison d’une ressemblance au niveau de la fonction, dans le sens où les deux éléments permettent à leurs possesseurs d’exécuter certaines activités, travailler ou voler, et si le poète s’est doté étrangement de cet organe propre aux oiseaux, c’est qu’il a voulu exprimer son désir de liberté, en reniant les exigences de la société moderne. Néanmoins, après avoir exposé les principaux préceptes de la théorie aristotélicienne, nous allons s’intéresser à certaines autres définitions de la figure métaphorique.

Notes
44.

MAROUZEAU, Lexique de la terminologie linguistique, Paris, P. Geuthner 1951, pp.143-144.

45.

ARISTOTE, Poétique, ch.XXI, Paris, Seuil 1980, p.107.

46.

ARISTOTE, Rhétorique, L.III, ch. XI, Paris, Librairie générale française 1991, p.338.

47.

P. FONTANIER, Les figures du discours, Paris, Flammarion 1977 p.261.