La métaphore est une figure d’expression :

Nous allons démonter que la métaphore est une figure d’expression, d’autant plus que Pierre Guiraud la considère à la fois comme « un mode de vision ou de représentation d’un univers où tout est de correspondances et symboles, où l’intellect, l’affectivité, la sensibilité plongent des racines communes dans un réel qui nous invite à ressaisir son unité », aussi bien qu’ « un mode d’expression : elle sensibilise la substance sémantique des mots […] en même temps qu’elle enrichit et approfondit le sens, elle le plonge en perspectives ambiguës, en un jeu de résonances polyvalentes qui orchestrent le mystère essentiel au charme ; un mode de création chez un tempérament qui va du mot à l’image et à l’idée » 48 . Mais avant, nous avons jugé qu’il est essentiel de définir la notion de figure, en prenant comme point de départ la définition proposée par Fontanier. Il présente alors « les figures de discours » comme « les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune » 49 . La figure est donc un fait de langue qui relève le plus souvent de l’expressivité que de la grammaire, considérée telle une transgression de la norme, puisqu’elle établit un écart entre le mot habituellement employé, de sens propre ou littéral, et le mot « figuré », dont le sens semble opaque, tout en se focalisant sur un attribut imprévu qui va caractériser la contingence de l’être à un moment donné. Le concept de figure s’est ainsi trouvé associé à l’idée d’un sens second à décrypter, celui qui existe « entre la lettre et le sens, entre ce que la poète écrit et ce qu’il a pensé, se creuse un écart, un espace » qui « possède une forme. On appelle cette forme ‘’figure’’ » 50 . De ce point de vue, Molinié la décrit comme « une différence, une quantité langagière différentielle, entre le contenu informatif et les moyens lexicaux et syntaxiques mis en œuvre » 51 , alors que Joëlle Tamine présentent les figures comme « des ‘’scandales sémantiques’’ réglés par des transformations par rapport à ‘’l’usage normal’’ du langage » 52 .

Suite à cet exposé des définitions, nous pouvons confirmer que la figure consiste particulièrement en un écart de sens, tel que le suggère Jean Cohen en ces termes : « la figure ne trouve sa finalité que si elle opère un changement non plus du contenu, mais de la forme du sens, si elle change le concept en image, l’intelligible en sensible […] ». Elle a donc « pour but la transmutation mentale du signifié. Elle substitue l’imaginaire au conceptuel » 53 . Toutefois, nous accordons plus d’intérêt à la définition de la figure proposée par K. Gaha, parce que nous a semblé la plus adéquate par rapport à l’image surréaliste, et spécialement à la métaphore, puisqu’il s’agit d’«un jaillissement de la signification né du rapprochement imprévisible de deux réalités que rien ne réunit sinon l’intention ou le désir du locuteur ou du sujet de l’énonciation 54 », comme lorsque Aragon recourt à une figure métaphorique associant deux éléments incompatibles, dans le but de mettre en valeur sa détresse :

‘La cloche de mon cœur chante à voix basse un espoir très ancien.’ ‘(« Air du temps », Le Mouvement Perpétuel, p.80)’

En effet, le poète transforme une partie du corps humain, « cœur », à tel point qu’elle renferme un instrument sonore, « la cloche », uniquement pour qu’elle soit dotée de voix, et par conséquent, exprimer le partage douloureux qu’il vit entre espoir et désespoir.

La métaphore est donc une figure, et en particulier, une figure de type microstructural dont « l’existence dans un énoncé est manifeste, soumise d’emblée à l’interprétation et matériellement isolable » 55 , et qui dépend du matériel langagier mis en jeu dans un segment déterminé. Elle est également une figure expressive, dans la mesure où elle peut être considérée comme une force irremplaçable dans l’expression de la subjectivité, la sensibilité et l’imaginaire, car, à l’opposé de la comparaison « plus analytique », « elle détaille, elle explique », et donc, elle s’avère être « plus synthétique », dans la mesure où « elle repose sur une impression qu’elle s’efforce de transmettre globalement » et « comporte nécessairement une part d’exagération et par là elle constitue un instrument particulièrement propre à l’expressivité et à l’impressivité » 56 , tel que dans cet exemple où le poète offre une vision particulière sur l’amour, métamorphosée en un objet matériel, « tendre literie », sans que nous devinons le point commun entre les deux éléments, sauf si nous supposons qu’il veuille exprimer un lien étroit entre lui et ce sentiment, comme celui existant entre la literie et l’édredon (le tout et la partie) :

‘L’amour tendre literie ’ ‘dont mon cœur est l’édredon.’ ‘(« Couplet de l’amant d’opéra », Feu de joie, p.41)’

En dernier lieu, nous allons exposer la définition proposée par P. Caminade qui atteste que « la métaphore expressive perturbe la temporalité, [car] elle est un défi au temps », dans le sens où « en elle, se cristallisent et se condensent des perceptions, des impressions, des appréhensions, qui ont pu être vécues à des moments très éloignés les uns des autres », et de ce fait, « elle oblitère l’oubli ». Mais encore, « par elle, se manifestent des pouvoirs de condensation qui sont un des caractères essentiels du langage poétique ». En conséquence, « Elle est synthèse ou contraction du temps, de la sensibilité et du langage» 57 . Il est ainsi, dans le poème « Lever », où le poète expose ses souvenirs de jeunesse, et plus précisément ces vacances en mer :

‘On me donnerait dix-sept ans’ ‘Avec mon canotier ’ ‘mon auréole’ ‘Elle tombe et roule’ ‘sur le plancher des stations balnéaires’ ‘Le sable qu’on boit dans la brise’ ‘Eau-de-vie à paillettes d’or. ’ ‘(Feu de joie, pp.54-55)’

Dans un premier temps, il nous communique une image singulière de lui-même, puisqu’il apparaît tel un ange, doté d’une « auréole ». Toutefois, en associant cet attribut, comme par équivalence à « canotier », et en annonçant sa chute, par le biais de deux verbes métaphoriques, « tombe et roule », parce qu’incompatibles avec leur sujet, il renie aussitôt cette représentation candide, car les aventures vécues aux « stations balnéaires » font perdre leur innocence aux jeunes. Quant à la métaphore appositive, elle exprime la fascination du poète face au spectacle de la mer, et particulièrement au « sable » des plages, identifié à l’«eau-de-vie à paillettes d’or », en raison de sa couleur dorée, mais aussi parce que l’été procure plaisir et excitation.

Notes
48.

P. GUIRAUD, Langage et Versification d’après l’œuvre de Paul Valéry, Paris, Klincksieck 1953, p.188.

49.

P. FONTANIER, Les figures de discours, Paris, Flammarion 1977, p.64.

50.

G.GENETTE, Figures, Paris, Seuil 1969, p.207.

51.

G. MOLINIE, Eléments de stylistique française, Paris, PUF 1986, p.83.

52.

J. GARDES-TAMINE, Description syntaxique du sens figuré : la métaphore, Thèse de Doctorat d’Etat, Paris 7, 1978, p.43.

53.

J. COHEN, Le haut langage, Théorie de la poéticité, Paris, Flammarion, 1979, p.144.

54.

K. GAHA, Métaphore et métonymie dans le polygone étoilé, Publication de l’université de Tunis, 1979, p.184.

55.

M. POUGEOISE, Dictionnaire de rhétorique, Armand Colin, 2001, p.163.

56.

M. CRESSOT, Le style et ses techniques, Paris, PUF 1980, p.72.

57.

P. CAMINADE, Image et métaphore, Paris, Bordas, 1970, p.96.