La métaphore : une figure d’analogie

On parle d’analogie quand il existe « une ressemblance partielle entre deux objets, notions ou phénomènes appartenant à des domaines différents et qui n’ont rien en commun dans leur aspect général […], mais qui présentent des similitudes mises en place par ce rapprochement » 58 et réalisées grâce à la notion du motif, basée sur un ensemble de traits communs permettant de faire le lien entre ces deux objets, et qui rend pertinent ce qui ne l’était pas à première vue. Cette relation comporte donc une part de subjectivité, comme l’expriment Breton et Eluard, en ce sens que « l’analogie universelle implique une solidarité secrète entre toutes les choses : il appartient à l’esprit de ratifier le rapprochement, de penser la corrélation, mais le sens est partout, constant » 59 .

Dans cette optique, J.J. Robrieux certifie que la conception analogique de la métaphore « a l’avantage de présenter le transfert sémantique comme une donnée fondamentale du langage, autrement dit comme un fait linguistique à part entière, avant d’être éventuellement un écart, c’est à dire une figure de style proprement dite » 60 . En d’autres termes, il voit que « la métaphore comme une figure d’analogie associe des éléments sémantiques (appelées sèmes) communs à deux isotopies. Ainsi, l’analogie qui permet la métaphore repose sur l’identité de sèmes caractérisant les deux signifiés » 61 . Nous donnons à titre d’exemple ce poème extrait du recueil Le Mouvement Perpétuel :

‘J’aime une herbe blanche ou plutôt’ ‘Une hermine aux pieds de silence’ ‘C’est le soleil qui se balance ’ ‘Et c’est Isabelle au manteau’ ‘Couleur de lait et d’insolence. ’ ‘(« Isabelle », p.68) ’

Intitulé « Isabelle », il consiste en une description particulière de ce personnage, dont l’apparition est retardée, afin de le mettre davantage en valeur. Elle est donc identifiée, par une première métaphore in absentia, à « une herbe blanche », en raison de la couleur blanche, ainsi que de la fraîcheur de sa peau. Elle est également présentée telle « une hermine aux pieds de silence », grâce à une seconde figure métaphorique, parce que la femme et l’animal ont en commun la blancheur extrême, mais encore la douceur du mouvement. La dernière métaphore avec « être » transforme « Isabelle » en un « soleil qui se balance », car elle est aussi lumineuse et majestueuse que l’astre.

La métaphore n’est donc pas en soi figurative. Elle l’est parce qu’elle organise une représentation symbolique du monde, fondée sur l’analogie, et dans laquelle l’image du comparant ou du terme métaphorique reste virtuelle, dans la mesure où elle ne fait pas partie de l’univers référentiel, réel ou fictionnel, mis en place dans le texte. De ce fait, la métaphore sert à établir une recatégorisation subjective et imaginaire, par l’abolition des frontières entre les catégories sémantiques et référentielles présupposées stables par l’entendement, comme le démontre cet exemple :

‘Ainsi la tristesse succède à la tristesse et le désir s’envole en secouant ses ailes colorées et douces. Ainsi nous ne sommes que fleur de soufre.’ ‘(« Louis », Le Mouvement Perpétuel, p.73)’

Nous constatons que, par la métaphore, le poète transforme aussi bien une notion abstraite, « le désir », que des êtres humains, « nous ». Au premier élément, il accorde un mouvement, grâce au verbe « s’envoler », et surtout des « ailes colorées et douces », pour le rapprocher davantage des oiseaux, uniquement dans le but de manifester métaphoriquement un état de détresse, qui fait que toutes les sensations euphoriques disparaissent, et parmi lesquelles « le désir ». Quant au second élément, il s’est métamorphosé en un végétal particulier, « fleur de soufre », grâce à une métaphore avec « être », probablement à cause de la fragilité caractérisant la fleur, ou de la couleur jaune qui réfère à une souffrance physique.

D’un autre point de vue, si nous admettons que toute figure d’analogie est essentiellement motivée, les métaphores surréalistes constituent l’exception par rapport à cette règle, car le jeu surréaliste est essentiellement fondé sur la réunion, dans une forme traditionnellement réservée à l’analogie, de deux termes apparemment sans dénominateur commun. D’ailleurs, selon Breton, la figure de l’analogie consiste à rendre plus appréhensible l’interdépendance de deux objets de pensée situés sur des plans différents, entre lesquels le fonctionnement logique de l’esprit n’est pas apte à jeter aucun pont, comme lorsque nous tentons d’interpréter ces vers :

‘Mon corps mon corps c’est une danse rouge c’est un mausolée un tir ’ ‘aux pigeons un geyser. ’ ‘(« Sommeil de plomb », Le Mouvement Perpétuel, p.66)’

Alors qu’il est possible de saisir le lien entre le « corps » et « un mausolée » ou « un tir aux pigeons », puisqu’il s’agit de manifestations en rapport avec la mort, il nous parait plus difficile de déchiffrer l’identification avec « une danse rouge », sauf si le rouge réfère au sang, aussi bien qu’avec « geyser » à moins qu’il est question d’un jaillissement sanguin. Et l’image demeure pourtant obscure.

Notes
58.

N. RICALENS-POURCHOT, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin 2003, pp.26-27.

59.

M.-P. BERRANGER, Le Surréalisme, Paris, Hachette 1997, p.125.

60.

J.J. ROBRIEUX, Les figures de style et de rhétorique, Paris, Topos 1998, p.22.

61.

Idem.