La métaphore est un mode de création poétique

Depuis Jakobson, nous considérons généralement la métaphore comme une figure surtout utilisée en poésie, ou encore comme un procédé typiquement poétique. Par conséquent, nous définissons la poéticité du langage par la figuralité, dans la mesure où « paradoxalement, et dans la poésie d’une façon marquée, l’association de termes évoquant des référents très éloignés produit un fort effet de littérarité et de poéticité, la littérature devenant le lieu où le monde se structure, trouve une unité et un sens » 76 .

« Dans un sens strict », la métaphore est signalée en tant que « transfert de sens par similitude, ressemblance et analogie », elle acquiert aussi « un sens très large, pour désigner tout transfert de sens, voire comparaison, jusqu’à qualifier une fonction, à l’instar de l’image. Ici et là, elle est un des modes fondamentaux du renouvellement du langage, de la nomination sémantique, de la constitution du langage poétique » 77 . Par conséquent, « il n’y a pas de poésie sans métaphore, car elle est dans son essence métaphore généralisée. Les termes d’analogie, d’allégorie, comparaison, synesthésie, nous ramènent tous à cette notion de transcendance qui est toute l’alchimie du verbe » 78 .

Dans la métaphore, nous notons la concomitance de deux vocables au lieu d’un dans la conscience de l’interlocuteur. C’est là où réside l’avantage de cette figure (et des tropes en général) puisqu’«elle permet de présenter en un seul mot le sens de deux mots, donc d’enrichir le contenu de l’énoncé de tout ce que le mot métaphorique apporte, sans pour autant perdre le poids sémantique du terme remplacé » 79 . En effet, contrairement à la position ancienne qui définit les tropes comme un changement de sens, la métaphore réalise une « concentration du sens de deux mots en un seul, chargement de sens, et non changement de sens » 80 . Cette mise en place d’un double sens constitue le phénomène de la polysémie, qui permet la compréhension et la lecture d’un texte poétique, dans lequel la figure de la métaphore, entre autres moyens, parvient à réaliser un sens neuf, inhérent à la création poétique. Elle permet donc de forger des termes nouveaux, de suppléer à l’indigence du vocabulaire, d’accorder à l’expression plus de vigueur et plus de recherche. Sans oublier pourtant de signaler que cette figure contribue à mettre en place l’illusion, voire une vision particulière du monde, en créant entre les objets des jonctions nouvelles et imprévues, en inventant des analogies entre des choses contradictoires en apparence, et en conciliant des contrastes. Nous citons à titre d’exemple ces vers où le poète représente d’une manière originale le « sable » des plages :

‘Le sable qu’on boit dans la brise ’ ‘Eau-de-vie à paillettes d’or.’ ‘(Lever », Feu de joie, p.54) ’

Cet élément du paysage marin se trouve transformé, par une métaphore appositive, en « eau-de-vie à paillettes d’or », dans la mesure où il se caractérise, d’une part, par une couleur jaune et brillante, mais encore parce qu’il procure des sensations fortes tel que le liquide alcoolique. Nous relevons également un rapport figuré que le verbe « boire » entretient, à la fois, avec son complément d’objet « le sable », et le complément circonstanciel de temps, « dans la brise », puisqu’il suppose habituellement un élément liquide, alors que le « sable » est solide, de même que le moment où se déroule cette action nous semble étrange. En effet, par la métaphore, le poète établit une vision inédite du monde, parce qu’il métamorphose les éléments, même les plus insignifiants, pour les faire autres.

Par ailleurs, en tant qu’image, la métaphore ne consiste pas dans l’illustration ou l’ajout d’un élément externe pour éclaircir ou orner un thème, mais au contraire, elle représente une logique interne au texte, au langage même de l’œuvre, dans laquelle elle se met à mi-chemin entre l’ancien, qui n’a plus à être énoncé puisque connu, et le nouveau, qui est irréductible aux données dont nous disposons, puisque non encore connu. La métaphore traite donc de la compréhensibilité des situations et des émotions nouvelles par rapport aux anciennes, dont elle change le sens, tout en le conservant et c’est cette dualité qui caractérise les expressions métaphoriques. Tel est le cas dans ces vers :

‘Bras en sang Gai comme les sainfoins’ ‘L’hyperbole retombe Les mains’ ‘Les oiseaux sont des nombres ’ ‘L’algèbre est dans les arbres. ’ ‘(« Acrobate », Feu de joie, p.33)’

Quoique le poète mentionne un ensemble d’éléments connus, il les transforme aussitôt, en effectuant un échange sous forme d’un « chiasme » entre deux domaines distincts, grâce à deux métaphores avec « être ». En conséquence, notre connaissance du réel se trouve bouleversée et nous chercherons à saisir le motif à l’origine de telles métamorphoses que met en place la figure, sans oublier de mettre en considération le goût pour les jeux de mots qu’affichent les surréalistes, et comme le suggère le titre du poème.

Par un phénomène de sélection de quelques traits sémiques communs, la figure rapproche deux termes sémantiquement disjoints, pour réaliser un effet stylistique comparable à une impropriété, et c’est pour cette raison que la métaphore est prise en considération en tant qu’« anomalie » associant au niveau syntaxique des unités lexicales normalement incompatibles (animé/ non-animé ; humain/ non-humain…). Par cette mise en relation, elle crée une sorte de similarité interne entre les éléments, dépassant par la suite l’analogie pour réaliser une identification qui contribue à l’invention d’une autre réalité. La métaphore est donc une source permanente de création et elle contribue largement à l’enrichissement de la langue, dans la mesure où elle « fait violence au réel puisque exposée plus à la fantaisie et à l’élucubration. Elle demande plus d’inspiration et elle ouvre des chemins nouveaux » 81 . Par conséquent, « les poètes, depuis Baudelaire surtout, n’ont cessé d’exalter la métaphore », car elle « assurerait le passage du sens notionnel au sens émotionnel […] En d’autres termes, grâce à la métaphore, une connotation se substitue à une dénotation. La métaphore poétique serait celle qui fait passer de la langue dénotative à la langue connotative » 82 . Tel est le cas dans cet extrait du poème intitulé « Louis » :

‘D’innombrables sauterelles sortent de ma bouche […] Mes paroles de coton poudre, je les enflamme dans les oreilles des hommes sans méfiance. ’ ‘(Le Mouvement Perpétuel, p.73) ’

Par une métaphore in absentia, le poète identifie, contre toute attente, ces « paroles » à des « sauterelles », parce qu’elles sont aussi abondantes, mais aussi parce qu’elles peuvent nuire les autres, comme les insectes qui détruisent les récoltes. Par ailleurs, il associe « paroles » (élément abstrait » et « coton poudre » (élément concret), par une métaphore déterminative, pour mettre en relief le pouvoir blessant et même menaçant des mots, capables de soulever des révoltes et de mener à l’échafaud des peuples entiers.

Notes
76.

C. FROMILHAGUE et A. Sancier, Introduction à l’analyse stylistique, Paris, Bordas 1991, p.97.

77.

P. CAMINADE, Image et métaphore, Paris, Bordas 1970, p.72.

78.

P. GUIRAUD, Langage et versification d’après l’œuvre de P. Valéry, Paris, Klincksieck 1953, p.188.

79.

P. BACRY, Les figures de style, éd. Belin 1992, p.52.

80.

Idem.

81.

A. HENRY, Métonymie et métaphore, Bruxelles, édition Académie royale de Belgique 1983, p.74.

82.

Ibidem, p.64.