Le choix de la figure, et particulièrement de la métaphore, comme mode d’analyse et de fonctionnement du langage émane de la nature de l’œuvre choisie, dans la mesure où celle d’Aragon repose sur des mécanismes de la signification dérivée, et renferme donc plusieurs formes de représentation.
Dans cette étude, nous essayerons de saisir l’originalité de la métaphore aragonienne, et de démontrer qu’elle se distingue de l’image surréaliste proprement dite, qu’il existe une métaphore propre à Aragon. Nous tenterons, par conséquent, de montrer qu’il est un écrivain surréaliste à sa manière, tout en dégageant les aspects particuliers de son écriture sous ce jour, spécialement dans l’emploi de l’image et surtout du procédé métaphorique, dans la mesure où le poète affiche un souci constant pour la forme, à tel point qu’il n’adopte pas totalement l’automatisme, fondement de la production surréaliste.
Toutefois, nous n’avons pas la prétention de renouveler le discours déjà si abondant et si complexe sur la métaphore, pas plus que nous ne revendiquons de mettre en place une lecture qui se substitue à celles déjà connues des œuvres d’Aragon : nous voulons y apporter un complément que nous espérons intéressant. Par ailleurs, en raison de l’importance, en qualité et en nombre, des textes concernant la métaphore, et de la confusion qui particularise ces ouvrages théoriques, nous n’avons pas opté pour une école de pensée précise.
En outre, si une étude de la métaphore, dans une œuvre littéraire, ne peut se réduire à une énumération des tropes et des impressions qu’ils suscitent, ni même à un inventaire des champs conceptuels desquels l’auteur a tiré l’objet de ses métaphores, nous avons fait, d’abord, le relevé le plus complet possible des métaphores dans l’œuvre aragonienne. Mais, vu l’ampleur de cette liste, nous avons dû choisir des échantillons et des exemples que nous avons voulu les plus représentatifs de l’ensemble, et les plus pertinents possibles à notre démonstration. Ensuite, nous allons articuler l’analyse selon divers types ou niveaux, divisée en trois parties dont chacune comporte deux chapitres.
Dans le premier chapitre de la première partie, nous entreprendrons une analyse syntaxique, qui rendra compte de la structure de la métaphore et des formes grammaticales de l’expression métaphorique, en indiquant celles qui sont les plus fréquentes dans l’œuvre aragonienne, d’autant plus que l’auteur cherche à réinventer le monde réel, grâce au croisement de deux pôles qui semblent le plus souvent aussi éloignés que possible, la réalité et le rêve.
En outre, nous tenterons de vérifier si Aragon respecte ou transgresse les relations syntaxiques, lorsqu’il élabore le jeu figural et le travail métaphorique. Dans cette perspective, nous mettrons l’accent sur une pratique particulière au surréalisme et qui consiste à faire alterner des questions et des réponses rédigées par séries indépendantes, avant d’être réunies au hasard. Cette activité vérifie la puissance métaphorique du langage comme combinatoire infinie, et elle offre de la sorte de nouvelles images poétiques. Nous évoquerons également l’absence de la ponctuation et la récurrence des blancs, dans la mesure où ils stimulent dans la phrase des séquences ambigües, poussant quelquefois l’énoncé aux limites de la lisibilité, et, par conséquent, affranchissent le texte du découpage logique traditionnel de la phrase et permet l’organisation rythmique du vers.
Dans le deuxième chapitre, nous focaliserons notre attention sur les liens syntaxiques qui rattachent la métaphore aux autres figures, puisque cette analyse formelle ne peut être sans incidence sur la lecture que l’on peut en faire. Il est essentiel de ne pas disjoindre les figures, étant donné qu’elles sont des aspects différents d’un même procédé, l’image, et que la constance d’un même thème sous l’une ou l’autre forme peut être le signe d’une obsession continuelle ou d’une tendance stylistique significative. La métaphore n’est plus prise en compte comme un phénomène isolé, placé en dehors de l’énoncé textuel, mais grâce à ce rapprochement des différentes figures, ainsi que les effets stylistiques et sémantiques qui peuvent en résulter, d’autant plus que l’ensemble de ces procédés constitueront l’univers propre au poète et permettront de la sorte de rendre compte du système figuré qu’il met en place, de même que les différentes idées principales qu’il crée et développe par le biais de cet enchevêtrement du paysage figural. De ce point de vue, nous insisterons davantage sur l’association métaphore et comparaison, qui nous a paru particulière. Par la suite, nous entrerons en ligne de compte les autres tropes ou les figures alignés sur la métaphore, alliés ou littéralement fondus en elle. La figure additionnelle peut être de nature variée, en partant de la métonymie et de la synecdoque, jusqu’à l’oxymore, en passant par la personnification, la périphrase, sans oublier l’allégorie. De ce fait, les descriptions et les systématisations de ces figures s’alternent avec une quête perpétuelle d’une figure générale, qui les rassemble toutes, les récapitule dans une unité retrouvée.
Dans la deuxième partie, nous effectuerons une analyse contextuelle, en ce sens que la tension instituée par l’incompatibilité apparente entre les termes de l’énoncé ou entre l’énoncé et le contexte qui enclenche généralement le procédé métaphorique.
Le premier chapitre sera consacré au rôle considérable que joue le contexte dans la distinction, l’explication et même dans le déclenchement de la métaphore, vu que celle-ci ne s’accomplit que dans un cadre textuel où elle affiche une présence qui lui est propre et où elle agit en assurant une fonction locale, celle d’être délimitée et spécifiée par ce qui précède et par ce qui suit, tout en étant enchâssée dans un environnement verbal aux frontières variables. Autrement dit, nous sommes loin d’obtenir une signification totale sans insérer la métaphore dans le cadre syntagmatique de l’œuvre, car le procédé métaphorique peut acquérir, grâce à certains types de rapports (d’opposition, de gradation, de répétition…), une signification distincte, même si le sens demeure le même, chaque fois qu’il est employé dans un contexte différent.
Dans le cadre de cette analyse formelle de la métaphore, nous allons, également, prendre en considération l’étendue de ce processus figural, suivant la théorie de J. Tamine qui souligne l’importance de « l’étendue de la figure », en tant qu’ « un critère […] aussi important que la notion de ressemblance qui fait indûment confondre des figures différentes » 84 . D’une part, nous analyserons les métaphores condensées, et d’autre part, celles étendues, parmi lesquelles la métaphore filée, dans le but de discerner leurs fonctions, de même que leur statut dans le texte aragonien, et dire laquelle est la plus employée et pour quelles raisons, et, par conséquent, discerner la nature de la poésie aragonienne surréaliste : est-elle caractérisée par la concision et la ponctualité ou, au contraire par la profusion et l’abondance ?
Dans le deuxième chapitre, nous essayerons d’établir un lien entre la métaphore et le genre littéraire auquel appartient le texte d’où elle est extraite, dans la mesure où la notion de genres a été associée à la théorie des tropes, par référence à la pensée de Jakobson. Ce dernier établit un rapport d’équivalence entre les fonctions du langage et les principaux tropes, considéré comme un fondement des axes constituants du langage. De plus, cet auteur désigne la métaphore telle que la figure éminente de la poésie. Et si Breton a annulé l’ensemble des classifications en genres, pour les regrouper dans une catégorie unique qu’il désignait par « le Poétique », considéré comme le principe fondateur et fondamental aussi bien du récit que du poème, nous nous sommes permise d’avancer que le « texte surréaliste », appartenant au mode lyrique, narratif ou autre, est nécessairement poétique, et donc, peut être analysé sur la base de la figure métaphorique, qui, dans son principe, est transgénérique.
Toutefois, il nous a semblé difficile de classer chacune des œuvres du corpus dans un genre déterminé, et par conséquent, de rattacher la métaphore à une classe générique particulière, d’abord, parce que l’écriture automatique va à l’encontre de toute distinction systématique des genres, mais aussi parce que nous n’avons pas pu trancher quant à la position d’Aragon de la notion des genres : refuse-t-il les catégorisations ou considère-t-il cette donnée comme un fondement incontournable du littéraire, étant donné qu’il partage sa production en deux éditions parallèles, baptisées Les Œuvres romanesques croisées et L’Œuvre poétique ?
Pour dépasser ces contraintes, nous avons choisi de dépasser l’hétérogénéité des textes aragoniens, pour les subordonner à une catégorie englobante. Dans cette optique, nous nous appuierons particulièrement sur un concept baptisé la « dominante », et accolé surtout au nom de Jakobson. Cette notion sert principalement à indiquer la hiérarchie différente des « traits du genre », et, par la suite, à désigner une présence suffisamment prépondérante des caractères propres à un genre particulier dans une œuvre. Dans notre cas, le genre est en rapport avec la forme graphique de l’énoncé, dans la mesure où nous traiterons les recueils Le Mouvement Perpétuel et Feu de joie selon une dominante lyrique, vu que le vers et le poème à forme fixe ou libre sont les moyens favoris du lyrisme, même au sein du surréalisme quis’exprime essentiellement par la poésie. En d’autres termes, nous nous demanderons en quoi ces deux recueils sont lyriques, sans oublier que la réponse doit être formulée en prenant en compte la figure de la métaphore, qui contribue à classer les textes aragoniens sous l’étiquette du lyrisme.
Quant au Paysan de Paris, il sera examiné selon une dominante narrative, puisque nous avons remarqué un emploi particulier du descriptif, la mise en place d’une quête philosophique, ainsi qu’une dimension autobiographique sous-jacente, et surtout, parce qu’Aragon a toujours privilégié l’écriture romanesque. De surcroît, nous avons découvert qu’il existe des métaphores spécifiques au genre narratif, par référence à L. Vigier et N. Piégay Gros.
Néanmoins, nous examinerons, dans un premier temps, l’emploi de la métaphore dans « Les Ecritures automatiques » d’Aragon, pourtant corpus réduit, dans le but de démontrer que cette figure constitue l’un des fondements de l’écriture automatique, de vérifier que cet auteur a pratiqué d’une certaine manière ce type d’écriture, malgré que plusieurs le nient, en s’appuyant sur le fait qu’il écrit naturellement à une grande vitesse égalable à celle de l’automatisme. En conséquence, nous tenterons de mettre en lumière l’originalité de cet auteur, dont le style lui est propre, mais en même temps approprié à la dictée automatique, tout en s’écartant des pastiches et des poncifs proprement surréalistes.
Dans la troisième partie, nous introduirons le lecteur en tant que facteur considérable conformément à la théorie de la réception qui relie une œuvre littéraire à celui qui la reçoit. Prendre en considération le récepteur devrait contribuer à l’analyse textuelle.
Dans cette optique, nous avons décidé de vérifier, dans un premier chapitre, s’il existe, d’abord, un rapport à trois entre l’émetteur (l’auteur), le récepteur (le lecteur) et l’objet de leur communication (le texte, et plus précisément la figure de la métaphore), d’autant plus que le mouvement surréaliste aspire à un nouveau statut du lecteur, basé sur une participation active. Nous allons donc essayer de définir la position du lecteur dans l’œuvre surréaliste d’Aragon et les types de rapports que ce dernier entretient avec le récepteur de son texte, en mettant par ailleurs l’accent sur les formes de présence du lecteur dans le texte aragonien, de même que sur les difficultés d’identification et d’interprétation des métaphores.
Suite à la prise en considération du rôle du lecteur dans l’interprétation de la métaphore, nous allons nous intéresser à d’autres facteurs qui peuvent contribuer à éclaircir davantage le fonctionnement de cette figure. D’une part, nous essayerons de saisir le rapport entre la métaphore et le signe linguistique, aussi bien arbitraire que motivé, et d’une autre part, nous expliciterons le rôle de la subjectivité, dans l’invention et la compréhension des figures métaphoriques.
En second lieu, nous tenterons de reconsidérer le lien entre la figure et la dichotomie sens propre / sens figuré, dans l’intention de discerner le rôle de l’ambigüité sémantique que la métaphore installe dans le texte. En effet, quoique complémentaires, ces deux notions provoquent souvent une hésitation quant au choix de la signification grammaticale ou de la signification rhétorique lors de l’interprétation d’un énoncé. De ce point de vue, nous devrons montrer que le sens propre, qui fonctionne au niveau connotatif, aussi bien que le sens second, qui assure la cohérence dénotative, contribuent à la création des figures métaphoriques. Par conséquent, il nous a paru intéressant de voir si cette association du propre et du figuré facilite la compréhension de la métaphore.
Par ailleurs, nous avons choisi de discerner le rôle de ce rapport binaire, d’une part, dans la création d’un sens nouveau par la métaphore, et dès lors, dans la mise en place d’une représentation inédite et curieuse du monde, par le biais d’un détournement du sens, et grâce à des images surprenantes. D’autre part, nous essayerons de prouver que la métaphore est estimée comme « vive » à la suite d’un passage du sens propre au sens figuré, et qu’elle se lexicalise lors d’un transition inverse du figuré au littéral.
Dans le deuxième chapitre, une analyse sémantique déterminera les principaux champs conceptuels où l’auteur puise la matière de ses métaphores. En effet, nous focaliserons notre attention sur le macrocosme du monde tel que le réinvente Aragon, en essayant de justifier que le poète refait l’univers réel, selon une vision qui lui est propre et dont l’outil principal semble la métaphore, au point qu’une tension poétique s’installe entre un monde de référence et un monde recréé.
Dans cette optique, nous tenterons, d’abord, de rattacher la métaphore à la métamorphose, en ce sens que le surréalisme exalte les processus de mutations même les plus étranges, dans le but de modifier la réalité, de transformer l’aspect des objets et même la nature des êtres, grâce à des associations inattendues de mots et d’éléments qui ne présentent aucun point commun. Reproduire subjectivement le réel ne correspond en aucun cas à une reprise littérale, mais s’effectue obligatoirement par un rapprochement des référents, voire même par leur modification, afin de recréer le réel sous la forme d’une représentation propre à l’auteur. En effet, la métamorphose « métaphorique » offre une vision imagée du monde, en annulant les frontières, ainsi que toute distinction nette entre la réalité et le fantastique qui finissent par fusionner, tel que dans le mythe, d’autant plus que nous allons relever, de notre corpus, l’ensemble des légendes mythiques que l’auteur a choisies d’exposer et même de reformuler grâce à la métaphore.
Ensuite, nous soulignerons, pour les analyser, un certain nombre de thèmes récurrents, établis et développés essentiellement par le recours à cette figure, dans le but de découvrir les systèmes d’images et leurs interférences, mais aussi pour montrer que les métaphores sont fondées selon un système d’intertextualité, puisque la répétition d’un thème est un signe d’obsession, d’une volonté de reconstruire le monde dans une continuation figurale. Nous en particulier, la représentation descriptive de la femme surréaliste, et en conséquence, le sentiment de l’amour qui lui est relié. Par la métaphore, Aragon décrit l’être féminin, mais encore il le magnifie, suivant une démarche centrée sur le regard, qui fait aboutir à une image « divinisée » de la femme. Pour l’amour, il est mis en valeur telle que la voie idéale permettant de se redécouvrir grâce à la relation de l’homme avec l’autre, la femme.
Nous avons également choisi de traiter un autre thème développé d’une manière considérable dans l’œuvre aragonienne. Il s’agit de l’équivoque des lieux, puisqu’autour du paysage urbain, les surréalistes ont élaboré une nouvelle poétique, fondée sur l’imagination qui transforme le spectacle quotidien. Dès lors, aussi bien la ville de Paris, que la nature, deviennent les hauts lieux surréalistes, car, quoique réels, ils sont métamorphosés grâce à la vision transformatrice du spectateur surréaliste. Par ailleurs, nous signalons que nous nous sommes appuyée sur des exemples extraits pour l’essentiel du Paysan de Paris. En somme, cette étude permet de démontrer que les associations métaphoriques aragoniennes s’organisent autour d’un même motif thématique, en offrant la possibilité de discerner la présence des leitmotive et en mettant en lumière la persistance et la récurrence de plusieurs images.
Pour récapituler notre projet, nous pouvons dire que, dans un premier temps, nous allons nous intéresser au microcosme de la figure et vérifier l’importance du contexte dans la saisie et l’interprétation du trope. Dans un second temps, nous allons nous orienter vers le macrocosme du monde tel que le réinvente Aragon, principalement grâce à la métaphore.
J. GARDES-TAMINE, «Métaphore et syntaxe », Langages, n°54, Paris, Larousse 1979, p.79.