Les subordonnées relatives :

L’analyse des verbes au sein de la relative a dégagé une majorité de subordonnées bâties sur le pronom « qui », une proportion à peu prés égale de « où » et de « dont », le pronom le moins représenté étant « que ». Ce recours donc à la structure relative accentue davantage une tendance continuelle chez Aragon pour la profusion de détails et l’étalement du procédé métaphorique. De ce fait, nous tenterons de démontrer, grâce à certains exemples, si cet emploi de la relative sert à rendre la métaphore plus claire ou au contraire plus opaque :

‘les jeunes gens’ ‘en bande par la main par les villes’ ‘en promenade’ ‘Pour chanter’ ‘à bride abattue à gorge déployée’ ‘la beauté la seule vertu’ ‘qui tende encore ses mains pures. ’ ‘(« Lever », Feu de joie, p.57) ’

Dans ce long poème, après avoir étalé les souvenirs de l’adolescence durant les quatre saisons de l’année, Aragon regrette amèrement le passage et la fin des délices de l’âge ingrat, duquel « les jeunes gens » n’ont gardé qu’une valeur à célébrer par le chant, « la beauté ». Celle-ci est exaltée dans un aveu final, où le poète l’identifie, par une métaphore appositive, à une « vertu », mais pas seulement « une » mais « l’unique », qui demeure malgré les changements et l’effet dévastateur du temps, vu son importance dans la vie des humains qui la considèrent comme fondement d’une existence encore possible. Ce procédé métaphorique est également enrichi par une relative qui accentue le sens déjà mis en place par le phore, à savoir la nature inestimable de la beauté et son rôle libérateur. Elle est ainsi identifiée à une déesse ou un être fantastique, possédant des mains qualifiées par l’adjectif « pures », et qu’il tend comme le signe d’une présence et d’une aide continuelle pour sauver les jeunes de l’emprise du désespoir et de la laideur. La métaphore est donc doublée par la figure de la personnification, puisque la « beauté » devient humaine, sujet du GV « tendre ses mains » et caractérisée par la pureté pour pouvoir préserver la joie et les illusions de la jeunesse.

Dans la même perspective, le poète évoque encore l’impuissance des humains face à l’écoulement du temps et ses conséquences dévastatrices :

‘[…] Entends le cri des femmes’ ‘Qui mêlent leurs cheveux au sable de leurs jours. ’ ‘(« Aux prunes », Les Destinées de la poésie, p.121) ’

L’emploi du terme « cri » signifie la peur et l’angoisse face au passage rapide des jours. Cet écoulement du temps est donc assimilé, grâce au procédé métaphorique in absentia, « au sable», dans la mesure où les deux entités sont insaisissables, passent ou filent rapidement entre les doigts de la main, pour apporter changement et vieillesse sur les êtres, spécialement féminins. Dans cet exemple, tous les termes entretiennent entre eux des rapports propres, à l’exception du groupe prépositionnel « de leurs jours » qui fait basculer le sens vers le figuré. De la sorte, le complément d’objet indirect, « sable de leurs jours », constitue le noyau métaphorique, puisque le poète invente ainsi une nouvelle entité n’existant pas auparavant dans le monde des réalités. De plus, en reliant deux termes distincts et n’appartenant pas au même champ lexical, la préposition « au » renforce la métaphorisation, dans la mesure où elle permet de considérer sur un même plan les « cheveux » et le « sable des jours », reliés par le verbe «mêler». Par conséquent, il est possible de supposer que le poète suggère le vieillissement des femmes par la couleur de leurs cheveux, celle du sable, blanc doré.

Quant au pronom relatif « dont », nous le rencontrons dans l’exemple suivant où le poète affiche une attitude de dérision pour porter atteinte au sentiment amoureux :

‘L’amour dont tu parlais n’est qu’une tombola.’ ‘(« Le soleil d’Austerlitz », Le Mouvement perpétuel, p.81)’

Ce sentiment est totalement identifié à « une tombola », une assimilation mise en lumière dans une structure restrictive, « A n’est que B », qui signifie l’exclusivité, ainsi que la totalité de ce rapprochement jusqu’à la fusion, dans la mesure où l’amour, tel une loterie, peut procurer la joie du gain ou les malheurs de la perte. Toutefois, cette conception de la relation amoureuse, tel un jeu de hasard, n’est pas offerte par le poète, mais par son interlocuteur, « tu ». Donc, nous dirons qu’Aragon, par le biais de la relative affiche un éloignement, un refus probable de considérer l’amour comme un divertissement, qu’on pourrait supporter aussi bien les bénéfices que les défaites. Il s’agit donc d’un sentiment plus profond, plus grave sur lequel règne souvent une atmosphère grave faite de souffrances, comme dans les vers qui précèdent le mécanisme métaphorique étudié :

‘Les nuits de lait il saigne la crosse’ ‘D’un oiseau mort de son amour tombeau’ ‘Ah superstition Machines vous chantez’ ‘Il règne un air fatal aux chimères’ ‘L’amour dont tu parlais n’est qu’une tombola.’

Et comme nous pouvons le remarquer, les termes « tombeau » et « tombola » sont situés à la fin du vers, et un tel choix est significatif, parce qu’il met en place deux conceptions opposées de l’amour. D’autre part, les deux mots sont constitués par les mêmes syllabes à l’exception de la dernière du mot « tombola », qui peut permettre de dire que ce dernier renferme à la fois l’autre terme « tombeau » avec une indication spatiale « là ».

Des sentiments, nous basculons du côté de la logique et de la raison en choisissant une métaphore qui s’articule autour du terme « ainsi », pouvant être un adverbe de manière ou de comparaison, une conjonction de subordination ou de coordination, pour assurer donc un enchaînement  rationnel et cohérent d’une argumentation ou d’un commentaire :

‘L’ainsi chasse ces ombres opprimantes, c’est un balayeur gigantesque, dont les cheveux se perdent parmi les étoiles, dont les pieds pénètrent par les soupiraux dans les caves des maisons humaines. ’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le Paysan de Paris, p.185)’

Par le biais de ces phrases, Aragon s’inscrit dans la lignée des surréalistes qui s’opposent particulièrement à la logique, car elle délimite les pouvoirs de la pensée et réduit son champ d’activité en rejetant l’apport de l’imagination. De ce fait, le poète transforme ce connecteur logique en un géant, qui accapare l’univers des hommes, « scandalise les poètes dans leur lit de plumes » et enchaîne les imaginations, par le biais d’une métaphore avec «être », qui sert à identifier « ainsi » à un « balayeur », pour dire qu’il repousse toute inspiration fantastique n’ayant aucun fondement rationnel, et qu’il répond à un besoin incessant de clarté et de justesse, surtout lors de cette promenade nocturne aux Buttes-Chaumont :

‘[…] Voilà l’ainsi qu’attendait frénétiquement ton besoin de logique, mon ami, l’ainsi satisfaisant, l’ainsi pacificateur […] et les ténèbres des Buttes-Chaumont flottaient quelque part dans ton cœur. L’ainsi chasse ces ombres opprimantes [...].’

Quant aux deux propositions relatives, elles énumèrent les pouvoirs, mais aussi les dimensions à l’échelle du cosmique de l’outil grammatical, métamorphosé en un être animé, doté de membres humains, «cheveux» et «pieds » qui atteignent la totalité de l’espace des hommes, des «étoiles » jusqu’aux « caves ». Toutefois, et par dérision, Aragon étale cette aspiration perpétuelle à la logique, par le biais de plusieurs phrases comprenant le terme « ainsi », à tel point qu’il devient possible de dire que la répétition sert à prouver la gratuité d’un recours aussi fréquent à ce connecteur :

‘[…] Ainsi j’éprouve la force de mes pensées, ainsi je me demande ce qui est mort en moi […] ou bien ainsi je fais le chien et je gueule au crevé […] ou bien ainsi prêt à passer des chapeaux aux couronnes, l’homme est averti des révolutions de son sort […] ou bien ainsi je vous emmène à la remorque avec ma gaffe de mots [...]. ’ ‘(Le paysan de Paris, p.185-186) ’

Par conséquent, le poète met en place deux attitudes à l’égard du raisonnement cartésien : celle de « l’ami », soucieux face au merveilleux et qui exige l’intervention de la raison et celle des poètes que la raison entrave leur pouvoir de création.

Nous rencontrons aussi, dans notre corpus, une structure relative avec le pronom relatif « où » :

‘[…] je demeure muet de surprise en constatant la présence d’un petit cercueil confortable où dansent des poissons rouges. ’ ‘(« Ici palais des délices », Ecritures automatiques, p.144)’

Dans les « neuf textes surréalistes inédits », le poète cherche à mettre en valeur les pratiques de l’écriture automatique. Il se met dans un état de réception totale de la dictée révélatrice de son inconscient, libéré des jougs de la raison. Dés lors, il note des visions semblables à celles du rêve, où les mots, dans leur surgissement aléatoire, ne signifient pas, mais rendent visible ce qui était caché. Il en est ainsi dans l’exemple où l’aquarium se transforme en « cercueil confortable», antécédent d’une relative qui met en place un lien figuré entre l’entité « poissons » et le verbe «danser», mais aussi entre l’action et le lieu où elle se réalise, puisque « cercueil », en tant qu’espace mortuaire ne permet pas les mouvements du corps, à moins qu’il s’agisse d’un bal funèbre.

A côté des visions oniriques qui cherchent à modifier le monde du réel, les surréalistes rêvent de mettre en place des grands mythes modernes, qui contribueront à la création d’un nouvel univers qui leur est propre. Ils rejettent ainsi les légendes anciennes, de même que la religion chrétienne, puisqu’ils entravent la liberté humaine et sa tendance vers la créativité imaginative. Dans cette perspective, nous citons cet extrait :

‘On n’adore plus aujourd’hui les dieux sur les hauteurs. Le temple de Salomon est passé dans les métaphores où il abrite des nids d’hirondelles et de blêmes lézards […] c’est la vie qui fait apparaître ici cette divinité poétique à côté de laquelle mille gens passeront sans rien voir, et qui, tout d’un coup, devient sensible, et terriblement hantante […]. ’ ‘(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.19) ’

Le mécanisme métaphorique est discerné, en premier lieu, par le terme même de « métaphores », qui sert à la mise en place d’un complément de lieu insolite, et qui, en rapport avec le verbe « passer », suggère une modification d’une situation première. Des hauteurs, les dieux, indiqués par métonymie grâce au « temple de Salomon », descendent de leur piédestal vers la dégradation et la détérioration. D’où, le recours aux deux prépositions, d’une part, « sur » qui marque une position supérieure, et d’autre part, « dans » qui exprime un rapport d’intériorité, donc, du haut, nous accédons à un dedans dévalorisant. En effet, la métaphore ici est synonyme de métamorphose, conformément à la technique surréaliste qui cherche principalement à créer une nouvelle vision du monde qui subit toute sorte de transformations. La relative vient donc expliciter les changements subis par les lieux de culte, en suggérant alors leur état désertique, puisque les fidèles sont uniquement les hirondelles et les lézards. Aragon exerce de l’ironie, par le biais de l’adjectif dépréciatif « blême », antéposé pour révéler la position propre et subjective du poète lui-même, qui nie et dévalue les divinités antiques, les détrône pour annoncer la nouvelle les remplaçant. Il s’agit en effet de « la divinité poétique », qui prend un essor considérable après tant de délaissement, grâce au mouvement surréaliste qui lui redonne éclat et importance.

Nous avons déjà signalé que l’emploi du pronom relatif « que » est minoritaire dans l’œuvre aragonienne, nous proposons donc la seule relative introduite par cet outil grammatical :

‘Les flammes que je fais couper de temps en temps chez’ ‘le coiffeur’ ‘trahissent seules le noir enfer intérieur qui m’habite.’ ‘(« Lycanthropie contemporaine », Persécuté persécuteur, p.234)’

Il s’agit d’une métaphore in absentia dont le thème, les cheveux, se laisse deviner par le contexte (« couper, coiffeur »), mais principalement par la relative dont le verbe « faire couper » est en rapport figuré avec son antécédent, « les flammes ». Ainsi, la chevelure, identifiée au feu, désignant la lumière et l’ardeur, révèle, par opposition, « le noir enfer intérieur », par référence à la couleur sombre du trône capillaire. Nous pouvons dire également que le choix du thème, « flammes », trouve sa justification dans le terme d’« enfer » qui dévoile les passions et les souffrances endurées par le poète, d’où le recours à la figure de l’oxymore, « noir enfer », puisque douleur et obscurité torturent le « je ». Nous remarquons alors une alternance du clair-obscur, aussi bien dans cet exemple, que dans l’œuvre aragonienne.

Nous avons donc tenté de faire apparaître les principales caractéristiques des structures métaphoriques « verbales », dans la mesure où nous avons relevé une abondance des verbes transitifs qui témoignent d’une préférence continuelle de la profusion et de l’explication, tout en accordant de l’importance à l’objet.