La structure restrictive N1 n’est que N2

Pour définir cette forme, il semble important de la comparer avec la forme illustrée par le schéma : N1 est N2, dans la mesure où elle accentue ce rapport d’identification. Si la métaphore in praesentia apparaît dans une phrase affirmative, elle dénote une correspondance et une symétrie entre les deux éléments rapprochés, alors que la métaphore présentée sous une forme restrictive réduit encore plus le sens du phore. Ainsi, « N1 n’est que N2 » renforce l’alliance entre les deux composants de la métaphore et accentue leur rapport d’identité, à tel point qu’aucune réfutation n’est permise, et l’identification se trouve confirmée. De plus, ce type de métaphore agit selon une double opération d’addition et de suppression de sèmes. Nous attribuons alors à N1 toutes les qualités de N2 et nous supprimons tous les attributs de N1 qui n’appartiennent pas à N2, tel que dans ces métaphores :

‘Ainsi la tristesse succède à la tristesse et le désir s’envole […] Ainsi nous ne sommes que fleur de soufre. ’ ‘(« Louis », Le Mouvement perpétuel, p.73)’

En disparaissant, le désir prive le monde des couleurs et ne laisse derrière lui que les hommes métamorphosés en « fleur », parce que fragilisés par « la tristesse » et dont la durée de vie est courte. Par ailleurs, nous notons que le thème pluriel, «nous », est identifié au singulier, « fleur », pour dire probablement l’union dans le malheur. D’autre part, le complément associé au phore, « de soufre », indique la couleur jaune clair, celle du soufre et probablement des souffrances.

Cette forme restrictive se rencontre également dans la phrase suivante, pour rendre, une fois de plus, hommage à la femme représentée telle une géante :

‘Montagnes, vous ne serez jamais que le lointain de cette femme […].’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.208) ’

Aragon offre alors une vision cosmique de la femme, qui aboutit principalement à une féminisation de l’univers. Par conséquent, la nature, et particulièrement les « montagnes », qui malgré leurs dimensions considérables ne représentent plus qu’une ombre, un «lointain » de la femme géante. Réduits et diminués, ils se prosternent devant leur rivale, puisqu’accablés et soumis face à sa grandeur. De même, l’homme se trouve surpassé par la créature féminine, car il ne parvient jamais à devenir son égal, comme dans cet exemple :

‘Voici que je ne suis plus qu’une goutte de pluie sur sa peau, la rosée. ’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.208)’

Ce sentiment d’infériorité est déchiffré grâce au déterminant indéfini «une», précédant N2 «goutte de pluie », car il est chargé d’une connotation dépréciative comme assumée syntaxiquement par la restriction. Néanmoins, pour parvenir à approcher la femme, seule réalité désirée par le poète, ce dernier crée l’union entre lui et la nature, par et pour l’être féminin, une fusion qui s’accomplit hors du temps et de l’espace, pour qu’il devienne «une goutte de pluie », « la rosée » sur la « peau » féminine.

Si la métaphore est souvent fondée sur une association de deux éléments aussi éloignés que possible, le poète recourt au rêve, qui est à l’origine de toutes les éventualités, mais aussi conformément à la pratique surréaliste qui considère l’onirisme comme l’un de ses principaux moyens pour mettre en place une écriture particulière, tel que dans ces vers :

‘Semeur’ ‘La poudre aux yeux n’est que le sable du sommeil.’ ‘(« Poésie », Le Mouvement perpétuel, p.76)’

Le poète offre une scène qui rappelle les contes fantastiques, dans la mesure où le « semeur », pouvant représenter le poète, ne répand plus des graines ou des mots, mais procure le sommeil grâce à «une poudre aux yeux », assimilée au «sable», en vue de la profusion des visions et des images oniriques dans l’œuvre surréaliste. Néanmoins, la restriction révèle un lien de ressemblance entre deux éléments, et met en question ce rapport installé. Ainsi, la création de la liaison entre le thème et le phore n’est point définitive. Et d’après les exemples relevés, nous marquons que, dans le cadre de la métaphore restrictive, l’association entre le thème et le phore s’établit avec expansion syntaxique de la figure, essentiellement par des compléments du substantif.

Par ailleurs, le cadre interrogatif participe aussi dans l’élaboration du mécanisme métaphorique en installant une forme d’ambiguïté, intrinsèque à la démarche même de l’interrogation, et qui contribue à la conversion du texte en un prisme sémantique. Le tour interrogatif sème alors le doute. Nous citons alors cet énoncé :

‘Mon cœur […] est-ce une fumée ?’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.227)’

Dans ce dernier exemple, le tour interrogatif annule l’univocité du discours déclaratif et traduit l’élargissement des éventualités d’interprétation. La portée de la métaphore est ici soutenue par la particularité de la formulation, bien plus que par le choix des phores correspondant à N2, dans la mesure où la métaphore du feu désignant l’amour est courante. Elle signifie ici l’épuisement du cœur du poète jusqu’à l’anéantissement.

En effet, par l’introduction d’une modification dans le schéma traditionnel de ce type de métaphore (N1 est N2), l’auteur motive l’acte de décodage, de même qu’il renvoie tacitement à cette ambiguïté qui est le propre de la démarche poétique surréaliste.