Les temps du verbe « Etre »

Pour enrichir cette analyse des métaphores in praesentia de nature verbale, et dans lesquelles le rapport d’inclusion est mis en lumière par l’usage du verbe « être », il faut évoquer l’emploi de ce verbe d’état dans des temps ou des modes différents du présent de l’indicatif. Alors que le présent énonce une définition générale, en élargissant les limites du temps et en ancrant le fait ou l’action dans un temps absolu, les autres temps ou modes, contrairement à cet usage, délimitent la réalité des actions et véhiculent ainsi des valeurs stylistiques variées. Nous distinguons alors, dans les textes du corpus, plusieurs exemples qui affichent l’emploi du verbe « être » au passé simple dont la valeur aspectuelle est le duratif, et qui peut également signifier une vérité générale (le passé gnomique), dans la mesure où la femme aimée et non conquise demeure une source éternelle de souffrance, tel que dans cet exemple du Paysan de Paris :

‘Et la femme qui vient des confins des plaisirs, celle qui fut un cerne, une lèvre mordue […]. ’ ‘(«Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », p.150)’

Introduite par le pronom démonstratif à valeur anaphorique, la métaphore relate l’état d’âme du poète par l’intermédiaire d’une description de la femme, vu que le « cerne » révèle le manque du sommeil à cause des soucis, alors que la «lèvre mordue» signifie le regret et les tourments qui martyrisent l’amoureux. Le seul refuge n’est possible que dans les bras de la nature promise, d’où le recours au futur simple qui véhicule la valeur temporelle d’une action envisagée dans un futur immédiat, et la promenade dans le parc des Buttes-Chaumont se transforme en une conquête d’un espace historique et d’une civilisation fabuleuse :

‘[…] ce parc […] sera pour eux la Mésopotamie. ’ ‘(« Le sentiment de la nature aux buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.165)’

Nous retenons également l’emploi de l’imparfait dont la valeur aspectuelle essentielle est le duratif, alors la «Provocation» personnifiée rassemble entre ses mains les contraires, « neige et flamme » pour en faire son unité et agir sur le poète :

‘Ses deux mains étaient la flamme et la neige’ ‘Et quand elle eut versé dans ma bouche l’alcool’ ‘de l’incendie’ ‘je la saluai par son nom la Provocation.’ ‘(«Sans famille », La Grande Gaîté, p.267)’

Nous donnons, en dernier, cet exemple où l’usage du subjonctif correspond à la présentation d’un fait comme indéterminé, soumis à une restriction quelconque :

‘Crachons veux-tu bien […]’ ‘Sur les étoiles fussent-elles’ ‘Tes yeux’ ‘Sur le soleil fût-il’ ‘Tes dents’ ‘Sur l’éternité fût-elle’ ‘Ta bouche’ ‘Et sur notre amour’ ‘TON amour.’ ‘(«Poème à crier dans les ruines », La Grande Gaîté, p.301)’

Le poète use du subjonctif pour délimiter le caractère absolu de la relation fusionnelle entre les deux éléments de la métaphore, « étoiles / yeux, soleil / dents, éternité / bouche, notre amour / ton amour », dans la mesure où ce mode paraît susceptible de mettre en valeur le statut de l’énonciateur, le « nous », dont la présence nuance la souveraineté de l’identité créée entre le thème et le phore. La relation d’inclusion totale se voit ainsi rétrécie, voire même anéantie, puisqu’elle est précédée par cette invitation amère à nier le passé de l’amour, « crachons sur l’amour ».

En somme, la métaphore verbale détruit le littéral de la langue commune pour faire apparaître une nouvelle vision des réalités et des objets. Ce nouveau regard sur le monde est plus ou moins individuel et l’étude détaillée des termes qui introduisent cette figure et du temps de l’emploi du verbe « être » révèle le lien qui unit le locuteur à son énoncé.