Adjectifs coordonnés

Dans d’autres occurrences, l’adjectif sert à élargir la métaphore nominale en formant avec le substantif métaphorique un syntagme étendu, qui sert à mettre au clair le sens véhiculé par la figure. Nous sommes donc face à des adjectifs coordonnés, tels que :

Les feuillages viennent cacher tout ce qui s’agite […] dans les plis profonds et poussiéreux de mon cerveau.

(« L’épingle stérilisée », Ecritures automatiques, p.146)

Les adjectifs coordonnés, « profonds » et « poussiéreux », constituent avec leur complément, « de mon cerveau », le noyau de la figure métaphorique. Ainsi, renfermant une multitude de pensées, d’idées et de préoccupations, le « cerveau » du poète s’assimile à un labyrinthe. Il semble également perdu dans une forêt ou une jungle, et dont les détours demeurent inexploités, « profonds », car abandonnés, et surtout « poussiéreux ». Par conséquent, il paraît possible d’affirmer que le rôle de l’adjectif dans l’énonciation métaphorique est toujours dynamique, dans la mesure où il n’a pas uniquement une fonction ornementale, mais au contraire, il contribue considérablement à la production du sens.

Dans le but aussi d’exposer les structures métaphoriques adjectivales, nous rassemblerons sous la catégorie « Adjectif = tm », les adjectifs qualificatifs, largement majoritaires, et les participes présents et passés moins récurrents. Ces adjectifs sont, dans la plupart des cas, en relation étroite avec un syntagme nominal, comme dans les exemples suivants :

[…] le désir s’envole en secouant ses ailes colorées et douces.

(« Louis », Le Mouvement perpétuel, p.73)

Chassé par une tristesse croissante, le « désir » prend la fuite et laisse derrière lui un être tourmenté par les regrets causés par une absence, et ne gardant qu’un souvenir lointain de cette évasion comme seul remède pour son âme. Alors, le poète décrit le désir tel un être surréel possédant des ailes qu’il a qualifiées grâce à deux adjectifs coordonnés « colorées » et « douces », précédés par un gérondif introduisant une circonstance de manière. Ils véhiculent un sens mélioratif qui révèle une importance considérable de la sensualité amoureuse. Par ailleurs, nous remarquons qu’Aragon recourt souvent à des adjectifs en couple, pour répondre ainsi à un goût pour la profusion et le détail, de même qu’une tendance confirmée pour la concrétisation, dans la mesure où les adjectifs choisis indiquent des qualités souvent perçues par les sens.

Parmi les autres adjectifs regroupés en « doublets » coordonnés, nous citons cet exemple où l’auteur est confronté, lors de sa promenade de découverte des lieux parisiens, à l’inconnu, transformé en un être fantasmagorique :

Démon des suppositions, fièvre de fantasmagorie passe dans tes cheveux d’étoupe tes doigts sulfureux et nacrés […].

(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.113)

Coordonnés, les deux adjectifs, qualifiant le même élément « doigts », sont contradictoires : d’une part, « sulfureux » qui véhicule une valeur dépréciative, puisqu’il renvoie au démon et rappelle l’enfer, et d’une autre part, « nacrés » indiquant l’éclat irisé ou la couleur du prisme, et permettant de voir la réalité déformée, par renvoi aux « suppositions ». Cet exemple affiche le principe de « la beauté convulsive », constituée spécialement par des couples d’adjectifs en tension, afin de marquer dans la langue ce point paradoxal où les contraires se réconcilient sans pour autant s’annuler.