La métaphore et la comparaison

Pour la rhétorique classique, et nous prendrons comme représentant principal Pierre Fontanier, la métaphore suppose un rapport nécessaire de ressemblance entre les termes, et, par conséquent, un certain nombre de sèmes communs qui justifient ce lien entre les termes associés. La relation doit être motivée et fondée nécessairement sur la similitude, tandis que la comparaison est une figure « par rapprochement » de deux entités dont le rapport pouvait être aussi bien de similitude que de dissimilitude. En d’autres termes, il est possible de comparer deux éléments qui se ressemblent ou qui se différencient, tout en établissant diverses sortes de rapports, ceux de supériorité, d’infériorité, d’égalité ou par différenciation. Si cet auteur définit la métaphore comme le fait de « présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue, qui d’ailleurs, ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie » 122 , il présente la figure de la comparaison, dans son ouvrage Les Figures du Discours, comme celle qui sert « à rapprocher un objet d’un objet étranger, ou de lui-même, pour en éclaircir, en renforcer, ou en relever l’idée par les rapports de convenance ou de disconvenance : ou si l’on veut, de ressemblance ou de différence ». Il rajoute, par ailleurs, que « si les rapports sont de convenance, la comparaison s’appelle Similitude ; elle s’appelle Dissimilitude, s’ils sont de disconvenance. Mais, comme c’est bien plus souvent pour la convenance que pour la disconvenance que l’on compare, il en est résulté que le nom de Comparaison a été presque toujours confondu avec celui de Similitude » 123 . Dans cette perspective, nous pouvons récapituler en disant que Fontanier considère la métaphore essentiellement comme une figure d’analogie, alors que la comparaison est principalement un équivalent de similitude, sans oublier de marquer qu’il spécifie distinctement les deux notions, de même que les deux mécanismes figurés.

D’un autre point de vue, dans leur Introduction à l’analyse stylistique, C. Fromilhague et A. Sancier établissent un parallélisme entre les deux figures :

‘La comparaison pose donc un rapport explicite entre un comparé et un comparant qui restent distincts, la métaphore crée un lien immédiat entre un comparé et un comparant dont les référents sont assimilés l’un à l’autre, par transfert de signification. La comparaison est analytique (elle explique, elle détaille) et présuppose en principe une volonté de clarté. La métaphore est synthétique (elle repose sur une impression qu’elle s’efforce de transmettre globalement et donne une densité accrue à la représentation). Elle comporte nécessairement une part d’exagération et par-là elle constitue un instrument particulièrement propre à l’expressivité et à l’impressivité. 124

Si les deux auteurs établissent, en premier lieu, des points communs entre les deux mécanismes, par le fait qu’ils relient, par un certain rapport, deux termes désignés pareillement (comparé et comparant), elles énumèrent quelques aspects permettant de spécifier chacun des deux mécanismes. D’abord, par la nature même du rapport entre les deux éléments, qui, d’un côté (dans le cas de la comparaison), est manifeste, et donc il paraît facile de deviner le motif les reliant, vu que Ca et Cé gardent la totalité de leurs caractéristiques, distincts l’un de l’autre. D’un autre côté, le lien est mis en place au niveau de la référence, par identification, à la suite d’un déplacement de la signification. Dans cette optique, nous notons que la nature du lien dépend de la nature même de la figure concernée, dans la mesure où la métaphore semble plus complexe que la comparaison. Cette dernière s’oriente vers « la clarté » et le connu, alors que le procédé métaphorique est déterminé par « l’exagération », et a pour conséquence la modification de la représentation, en tant que figure qui contribue à l’enrichissement de la valeur expressive du langage. Néanmoins, « ce sont deux figures associées » 125 , car elles semblent complémentaires, permettant d’effectuer à la fois l’analyse de l’image et la synthèse des « impressions ».

Par ailleurs, si nous passons en revue les différentes positions concernant le sujet, nous discernons un accord implicite, confirmant, à quelques exceptions, ce rapport incontestable reliant les deux figures, comme le confirme Pierre Fontanier :

‘[…] si la métaphore a lieu par la comparaison, et par une comparaison mentale, n’a-t-elle pas cela de commun avec les autres tropes ? N’est-ce pas en vertu d’une comparaison mentale que l’on transporte le nom de la cause à l’effet ou de l’effet à la cause ? N’est-ce pas enfin une telle sorte de comparaison qui fait saisir tous les rapports quelconques entre les objets et entre les idées ?  126

Cet auteur présente la comparaison, non seulement comme une figure parente de la métaphore, mais comme l’origine de cette dernière, et de tout autre procédé figuré. Toutefois, il a spécifié la comparaison par l’adjectif « mentale », pour dire que la figure métaphorique fonctionne au niveau des idées (comme il l’a indiqué dans la définition de la métaphore), et dont l’une se substitue à une autre, en raison d’une analogie se situant du côté du signifié. Nous faisons référence également à G. Dessons, qui affirme que « la comparaison, comme la métaphore, est d’abord une syntaxe. Elle met en relation deux éléments sans provoquer leur assimilation, sans qu’ils s’identifient l’un à l’autre » 127 .

Comme l’ont déjà souligné C. Fromilhague et A. Sancier, la parenté des deux figures se manifeste, en premier lieu, dans le rapport qu’elles créent entre les deux termes sans pour autant les confondre, de sorte que chaque élément reste distinct, essentiellement pour mettre en valeur leur point commun ou le motif d’une telle ou telle association. En conséquence, si les deux figures affichent une parenté aussi évidente, il paraît intéressant de mettre en valeur le rapport qu’elles entretiennent au sein des œuvres aragoniennes, dans la mesure où nous avons remarqué une présence constante des deux procédés stylistiques qui se côtoient tout au long du corpus choisi. La métaphore trouve souvent son prolongement dans une comparaison, à tel point que ces deux figures d’analogie peuvent être considérées comme des manières de faire voir ou ressentir, mais aussi comme un moyen pour traduire la présence d’une réalité personnelle s’opposant à la réalité objective.

Par ailleurs, le « est » métaphorique signifie à la fois « n’est pas » et « est comme » 128 . Cette affirmation tend à expliciter une affinité entre la métaphore et la comparaison, dans la mesure où on définit la métaphore comme une sorte de comparaison elliptique, étant donné que Ricœur atteste que « seule l’élision du terme de comparaison distingue la métaphore de la comparaison » 129 .

Cette importance attribuée à la comparaison, ainsi qu’à la « parenté» établie entre les deux figures, mise en place par Quintilien, pour qui, la métaphore n’était qu’une « comparaison abrégée », doivent être explicitées en dégageant les occurrences où nous rencontrons cette association, et que nous démontrerons qu’elle est particulière, dans l’écriture aragonienne, et qu’elle donne des fonctions particulières à chacun des deux procédés. En effet, la métaphore est constamment associée à une comparaison, qui, en la précédant ou lui succédant, concourt à établir sans équivoque le rapport métaphorique, ainsi que l’image telle quelle (sans ellipse ou effacement de jonctifs). En effet, la comparaison est capable, soit, de discerner ou de fragmenter le mécanisme de fusion ou d’identification métaphorique, soit, de procurer à l’énoncé une espèce de troisième dimension qui consiste essentiellement à dépasser le sens propre et le sens figuré, dans le but de signaler les sources analogiques où Aragon puise ses métaphores et l’essence même de sa poésie.

Notes
122.

P. FONTANIER, Les Figures du Discours, Paris, Flammarion 1977, p.99.

123.

Ibidem., p.377.

124.

C. FROMILHAGUE et A. SANCIER, Introduction à l’analyse stylistique, Paris, bordas 1991, p.134.

125.

Idem.

126.

P. FONTANIER, Commentaire raisonné des «Tropes» de Dumarsais, Genève, Slatkine Reprints 1967, p.161.

127.

G. DESSONS, Introduction à l'analyse du poème, Paris, Bordas 1991, p.67.

128.

P. RICŒUR, La Métaphore vive, Paris, Seuil 1975, p.11.

129.

Ibidem., p.222.