Métaphore ou comparaison ?

Si Proust « baptisait métaphore toute figure d’analogie » 130 , Lautréamont, dont l’emprise sur le surréalisme ne cessera de croître dès 1917 par le registre de ses comparaisons, confond parfois la métaphore avec la figure de la comparaison, dans la mesure où il considère cette dernière comme une activité métaphorique, tel que dans cette phrase, extraite des Chants de Maldoror, et dans laquelle l’auteur affiche explicitement la confusion des deux figures, puisqu’il emploie une métaphore verbale avec « être », qui sert à établir une identification entre « tu » et l’océan, tout en la désignant par le terme même de « comparaison » :

[…] tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre : j’aime cette comparaison. 131

Il est pareil dans un autre exemple, mais cette fois, il assimile une métaphore nominale déterminative, « visage d’hyène », à une comparaison, par le biais d’une incise à valeur explicative, dans laquelle il recourt à de véritables figures comparatives de supériorité, avec « plus que » :

[…] si vous croyez apercevoir quelque marque de douleur ou de crainte sur mon visage d’hyène (j’use de cette comparaison, quoique l’hyène soit plus belle que moi, et plus agréable à voir), soyez détrompé [...]. (Ch. I, st.10)

Toutefois, la série des « beau comme » vérifie davantage cette probable confusion des deux figures anciennement apparentées, dans la mesure où nous percevons la présence du terme caractéristique du mécanisme comparatif « comme », quoiqu’il existe une jonction inattendue qui va jusqu’à l’abstraction entre les deux éléments coexistants :

‘Le grand-duc de Virginie, beau comme un mémoire sur la courbe que décrit un chien en courant après son maître […] Le vautour des agneaux, beau comme la loi de l’arrêt de développement de la poitrine chez les adultes […] Le scarabée beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme [...]. (Ch. V, st.2)’

Il procède de la même manière dans cet énoncé, devenu la formule la plus représentative de l’œuvre lautréamontienne :

‘[…] beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! (ch.VI)’

Mais pourquoi une telle confusion, puisqu’elle semble consciente ?

Une telle pratique est reprise par Aragon dans un passage du Paysan de Paris, où il use de toutes les tournures grammaticales possibles permettant des rapprochements divers, en tant que manifestation considérable de cette indifférence affichée face aux distinctions rhétoriques concernant les figures de style. Nous citons alors :

Et brusquement, pour la première fois de ma vie, j’étais saisi de cette idée que les hommes n’ont trouvé qu’un terme de comparaison à ce qui est blond : comme les blés, et l’on a cru tout dire. Les blés, malheureux, mais n’avez-vous jamais regardé des fougères. J’ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J’ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d’hystérie. Blond comme l’hystérie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser […] Qu’il est blond le bruit de la pluie, qu’il est blond le chant des miroirs !

(« Le passage de l’Opéra », p.51)

Quant à Breton, il refuse catégoriquement de placer son propos sur l’image sous l’enseigne des modèles rhétoriques d’usage (métaphore, métonymie, comparaison…). Et lorsqu’il classe, dans le Manifeste de 1924, les images, selon leur degré d’arbitraire, il insiste sur la dénégation des classifications formelles, alors que la plupart des images qu’il énumère sont en fait des métonymies ou des comparaisons. Ces dernières sont considérées par ce chef de file comme une démarche exclusivement mentale indépendamment de sa forme, d’autant plus que le mot « comme » est « le plus beau mot de la langue française qu’il soit prononcé ou tu » 132 . Dire que x est comme y, c’est aussi bien dire que x reste distinct de y - ce que tend à faire oublier la métaphore pure. Mais en 1929, dans le Second Manifeste, nous lisons :

Le surréalisme, je le répète, a supprimé le mot comme ». Alors qu’en 1947, il unifiera les deux figures (métaphore et comparaison) en affirmant que leur différenciation est exclusivement de forme, « encore qu’à l’une soient attribués des ‘’avantages de suspension’’, à l’autre ’’des ressources de fulgurance’’. 133

Ce rapprochement jusqu’à la confusion entre la métaphore et la comparaison incite à réfléchir sur le lien unissant ces deux figures, qui consistent à représenter et à donner une image particulière du monde extérieur. En effet, la présence considérable de la comparaison avant ou après la métaphore est révélatrice de nouvelles significations. Et si la comparaison présente une analogie limitée et motivée, alors que la métaphore ouvre, au contraire, toutes les voies de l’imaginaire, la tendance à introduire ou à conclure la métaphore par une comparaison possède des valeurs stylistiques variées, dans la mesure où la vision s’élargira dans le cas où la comparaison se situe, en premier lieu, alors qu’elle se précisera dans le cas contraire.

Notes
130.

G. GENETTE, « la rhétorique restreinte », in Figures III, Seuil, 1972, pp. 21-40.

131.

LAUTREAMONT, Les Chants de Maldoror, Paris, Le livre de poche 2001, ch. I, st.9, pp.98.99.

132.

A. BRETON, Signe ascendant, Paris, Gallimard 1968, p.10.

133.

Cité par P. CAMINADE, Image et métaphore, Bordas 1970, p.51.