La métaphore se situant avant une comparaison

L’emploi de la métaphore dans un texte poétique n’est pas soumis à un ordre fixe et il n’obéit pas à un schéma régulier. User de la métaphore n’est pas seulement privilégier le figuré et bannir le littéral, mais c’est aussi faire naître la variété et libérer la langue du canonique et du conventionnel. La poésie est en fait le domaine de l’écriture dans lequel nous devons accorder une grande importance à la disposition et à l’ordre des mots et des figures. Placer une métaphore après ou avant une comparaison n’a pas la même valeur stylistique, dans la mesure où à chaque emploi de cette figure au sein du texte correspond un effet de sens différent. Il apparaît ainsi que le recours à la métaphore suivie d’une comparaison peut s’expliquer de diverses manières. Les exemples suivants permettront de confirmer l’extrême redondance de ce type d’emploi dans l’écriture aragonienne, mais aussi d’expliciter les différents sens possibles. Nous notons alors :

‘Parfois la vague’ ‘Musique du sol et de l’eau’ ‘me soulève comme une plume’ ‘En haut. ’ ‘(«Lever», Feu de joie, p.54)’

Relatant les souvenirs de la jeunesse, tels que des tableaux se référant chaque fois à un cadre spécifique, le poète paraît grisé par les joies d’antan, en mettant en valeur la magie de la mer dont la désignation renvoie par homophonie à l’être maternel. Suggéré par métonymie, l’élément aquatique est présenté, par métaphore appositive, comme un équivalent de la «musique du sol et de l’eau », et de ce fait, il semble doté d’une harmonie qui lui est inhérente. Quant à la comparaison, « comme une plume », elle semble assurer une valeur explicative, dans la mesure où elle explicite l’action effectuée par la « vague » et qui consiste à soulever le poète aussi facilement qu’une plume emportée par le vent, en raison de la force considérable des éléments naturels, capables d’agir en toute aisance sur les hommes plus fragiles et plus vulnérables. Dans cette optique, nous relatons la présence d’une relation de dépendance et de continuité entre les deux figures, puisque l’idée mise en place par le procédé métaphorique trouve son prolongement dans la comparaison. Cette dernière ne peut être autonome, dans le sens où elle ne sert qu’à renforcer la métaphore et la rendre plus claire.

Nous proposons également un autre exemple où il est aussi question de la même structure, métaphore / comparaison :

‘La seule école buissonnière […] m’enseigna’ ‘cette ivresse couleur de lèvres’ ‘et les roses du jour aux vitres’ ‘comme des filles d’opéra.’ ‘(« Pour demain », Feu de joie, p.35)’

Le poète met en place deux métaphores réalisées principalement par le verbe « enseigner », qui entretient des rapports figurés avec ses deux compléments d’objet juxtaposés. En effet, à la suite d’une première occurrence de la figure par apposition, « ivresse couleur de lèvres », qui accorde à un état d’exaltation amoureuse une consistance matérielle, par le biais d’une couleur propre à une partie du corps humain, essentiellement féminine, « les lèvres », Aragon développe l’image, grâce à un second procédé métaphorique, « enseigner les roses du jour comme des filles d’opéra ». De ce point de vue, nous pouvons annoncer que la comparaison renforce le sens métaphorique, lorsqu’elle explicite davantage la nature des roses à dessiner, car elles sont bariolées, artificielles et surtout emprisonnées derrière les vitres, telles que les artistes d’opéra. Par conséquent, l’expression comparative fait écho à l’idée suggérée par la métaphore : L’artifice de la beauté.

Il est également intéressant d’analyser l’exemple suivant, suite à quoi nous pouvons vérifier que la fonction de la comparaison consiste à éclaircir et à développer la métaphore qui la précède :

‘Sur mon berceau parfois se penchait un lévrier triste comme les bijoux ensevelis dans la mer. ’ ‘(« Une fois pour toutes », Le Mouvement perpétuel, p.71)

Nous discernons un rapprochement entre le thème métaphorique, « lévrier triste » et le comparant, « bijoux ensevelis ». Pour la métaphore, elle est mise en place, d’une part, par une incompatibilité sémantique entre le verbe d’action « se pencher » et le sujet « un lévrier », et d’autre part, entre ce dernier et un adjectif qualificatif, « triste », puisque les deux termes attribués à l’animal sont exclusivement propres à l’humain. Le terme « lévrier » se trouve ainsi entouré par les deux éléments assurant le sens figuré de la phrase. Toutefois, l’emploi du comparatif est essentiellement destiné à justifier le choix de l’adjectif, étant donné que le poète accorde, en même temps, cette qualification au lévrier [animé, non humain] et aux bijoux [inanimé, non humain], dans le but de mettre en lumière l’aspect désolant et déplorable, commun aux deux éléments, car ils sont abandonnés et délaissés au fond des oubliettes. Dans la plupart de ces cas où le motif est métaphorique, la comparaison intervient comme un élément d’explication, particulièrement lorsque la métaphore introduite par le motif se déploie en un tableau. De surcroît, l’équivalente comparative tend généralement vers la concrétisation, en vue de rendre la métaphore plus explicite et plus claire, tel que dans cet exemple où le sentiment, abstrait, de tristesse, est explicité concrètement, grâce à une « figure argument, au centre d’un raisonnement par analogie ou par ressemblance [...] illustre une idée abstraite par un équivalent concret [et] l'objectivité présupposée de la référence concrète rend implicitement peu contestable le raisonnement » 134 .

D’un autre point de vue, le mode comparatif peut assurer la fonction d’un embrayeur, d’un générateur de processus qui participe à la progression du texte, en soulignant certains de ces mouvements évolutifs :

‘Tous les dormeurs du monde en gerbe aux bras tachetés de la mort’ ‘Un pied de pendu ressemble étrangement au pendule’ ‘d’argent’ ‘qui trouble à peine les profondeurs du miroir’ ‘[…] Un pied de pendu ressemble étrangement à la pièce d’argent qui paye à la femme de chambre la peine de laver le bidet. ’ ‘(« Mandragore », Persécuté Persécuteur, p.229)’

Ces vers s’articulent essentiellement autour de l’idée de la mort pouvant surgir à tout moment, dans le cadre propice de la nuit, et porter atteinte à l’existence des êtres à leur insu. La première métaphore de l’énoncé est déterminative, « dormeurs en gerbe », et qui sert à établir une identification entre l’humain et le naturel, conformément à une tendance constante chez le poète, procédant souvent par un mélange des règnes, de sorte que les hommes ensommeillés sont assimilés à un faisceau de tiges, spécialement coupées et portés par les « bras » de la mort. De ce fait, le complément circonstanciel de lieu, « aux bras tâchés de la mort », renforce l’apport figuré de la métaphore par le biais d’une personnification, du moment que la mort est implicitement rapprochée d’un être vivant, un monstre à bras multiples, pouvant de cette façon priver les hommes de leurs vies, coupés tels que les tiges et pris au piège de cette force funeste. En outre, taire le complément de l’adjectif « tachetés » accentue davantage sa présence implicite dans le contexte, dans la mesure où il s’agit probablement du sang, signe de l’atrocité de la mort. Nous relevons également l’emploi de la figure de la métonymie (la partie « bras » pour le tout, le corps monstrueux de la mort) qui confirme que la métaphore aragonienne fonctionne par un enchevêtrement de figures multiples. Il est de même dans la suite des vers où cette image du trépas sera prolongée, en premier lieu, par une autre métonymie de la partie pour le tout (pied pour la totalité du corps), et en second lieu, par deux comparaisons de même structure, « ressembler étrangement à ». Dès lors, le procédé comparatif se pose également en tant que « focalisateur », en ce sens qu’il engendre une sorte d’effet de redondance qui canalise l’attention du lecteur sur le terme comparé, « un pied de pendu », par la mise en place d’une équivalence avec plusieurs comparants à la fois, quoique « étrangement » : d’abord, avec le « pendule d’argent », réfléchi sur « les profondeurs du miroir » et caractérisé par une subordonnée relative, et qui exprime le caractère inaperçu du mouvement du pied du mort, mais aussi, avec cette « pièce d’argent », dont l’emploi suggère l’idée de la souffrance lors d’un travail pénible, mal apprécié et récompensé.

D’un autre côté, la comparaison répond à la tendance « expansive » de la poésie aragonienne par l’agencement de correspondances infinies qu’elle permet de souligner. Elle s’avère également capable, en dépassant un simple effet de redondance, de développer tout un système itératif qui attribue un rythme incantatoire au texte. Dans cette perspective, la figure ne s’affiche plus uniquement en tant qu’outil exemplaire pour la création d’analogies plus ou moins motivées, mais disposerait en parallèle d’une valeur emphatique, que la prosodie rendrait possible. Ce rythme accordé au texte par la figure « voisine » est essentiellement discerné grâce à l’abondance des structures symétriques dans lesquelles elle s’intègre. Cette symétrie peut être perceptible dans les limites du vers, comme dans l’exemple précédent, ou dans les cas où elle s’étend tout au long d’une séquence entière. En outre, le support comparatif peut être relevé dans des compositions à dédoublement pluriel, c’est-à-dire grâce à des comparaisons juxtaposées dans le cadre de plusieurs vers ou phrases, présentées telles que des énumérations d’équivalence.

Nous avons souligné essentiellement cette forme de répartition amplifiée de structures comparatives, caractérisées par une expansion considérable dans Le Paysan de Paris où Aragon s’amuse à parodier la série des « beaux comme » de Lautréamont, en se livrant à une sorte d’hymne à la blondeur féminine :

‘J’ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J’ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d'hystérie. Blond comme l’hystérie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser [...] Le blond ressemble au balbutiement de la volupté, aux pirateries des lèvres, aux frémissements des eaux limpides. ’ ‘(« Le passage de l’Opéra », pp.51-52)’

L’exemple donné est assez significatif, du moment qu’il pose une série de rapports hétéroclites constituant autant de comparants à cette entité de base, la chevelure, considérée, selon Aragon, comme l’attribut féminin par excellence. Pour mettre en valeur ce dernier, le poète associe à la fois le naturel (fougère, ciel, eau), le minéral (topaze) et l’humain (cheveux, lèvres), de même que le concret (résine, topaze) et l’abstrait (hystérie, fatigue). Et si la métaphore lui paraît insuffisante pour rendre compte du caractère exceptionnel de la blondeur célébrée, il recourt à la figure de la comparaison pour renforcer le premier procédé. Étendu de la sorte, le procédé comparatif (avec comme ou ressembler), en juxtaposant une multiplicité de combinaisons similaires, associe simultanément des thématiques diverses et même de niveaux de langue différents, conformément aux exigences de l’écriture automatique qui abolit toutes les frontières imposées par l’intelligence logique, dans le but de créer un univers aussi bien poétique, et qui se substitue aussi au monde des réalités grâce à l’imagination.

Dans cette optique, les relations illustrées par la comparaison se réalisent lorsque la figure leur applique un rapport analogique. Toutefois, le mécanisme comparatif revêt typiquement une valeur aragonienne, celle d’un « adjuvant phorique », et comme l’indique le terme « adjuvant », la figure sert à soutenir le phore, à mieux l’expliciter en dépassant quelques fois l’opacité de l’interprétation. Nous citons à titre d’exemple :

‘Et tu ne trouvais que […]’ ‘Des sons du sang pour nommer […]’ ‘Tout ce qui dansait entre deux corps comme la flamme du désir. ’ ‘(« Sommeil de plomb », Le Mouvement perpétuel, p.66)

Le rapport figuré réside essentiellement au sein de la métaphore déterminative, « des sons du sang », sans que nous parvenions à discerner le lien existant entre le thème, « sons » (entité abstraite) et le phore, « sang » (entité concrète). Dans ce cas, l’emploi de la comparaison, « comme la flamme du désir », permet de justifier ce rapport, au moyen d’un processus de sélection sémique, qui fait que les constituants de la métaphore peuvent avoir en commun la couleur rouge, celle du sang et de la flamme, mais aussi qui suggère que la douleur est causée par le désir par référence à la blessure saignante. Par conséquent, nous pouvons dire que la comparaison sert aussi au renouvellement de la métaphore du feu, représentant la passion amoureuse. Elle lui accorde une nouvelle dimension, dans la mesure où elle transforme la figure en une « métaphore vive », celle qui donne lieu à des entités différentes et leur accorde une identité inédite, par le simple fait de les nommer. En outre, le processus comparatif se transforme ici en un « conducteur » qui favorise la réception de la métaphore en expliquant les termes du phore, dans la mesure où il fonctionne comme un exemple ou un élément d’une énumération, telle que « la flamme du désir » qui fait partie d’une longue série, celle de « tout ce qui danse entre deux corps », spécialement provoqué par le sang et la douleur.

A l’opposé, la figure de la comparaison est capable de déclencher un effet de rupture ou d’incohérence, tel que dans cette citation où, située après un verbe dont elle accroît la portée et le sens, elle pose une sorte d’amplification ou d’analogie inattendue et que le lecteur ne peut deviner :

‘Plus besoin de voir les hommes […]’ ‘Plus besoin de parler tout seul la nuit […]’ ‘Plus besoin de soulever mes paupières’ ‘Ni de lancer mon sang comme un disque 135 ’ ‘ni de respirer malgré moi’ ‘Pourtant je ne désire pas mourir.’ ‘(« Air du temps », Le Mouvement perpétuel, p.79)

La métaphore est mise en lumière par une incompatibilité sémantique entre le verbe « lancer » et son complément « sang », dans le sens où le changement de signification porte sur ce dernier. En d’autres termes, le verbe suppose un complément à signification non seulement matérielle, mais aussi solide, tel que le suggère la comparaison, « comme un disque », à la différence du terme « sang », dont le sème principal est la liquidité. Dans ce cas, le processus comparatif ne sert point à clarifier la métaphore, mais à obscurcir davantage le lien du thème et du phore, sauf si nous inscrivons la métaphore dans un contexte plus large, de sorte que la comparaison employée révèle un désir de quitter la vie (plus besoin de voir, de parler ou de respirer), et, par conséquent, de cesser d’agir, et surtout d’avoir le sang affluer à grande vitesse dans les veines, dans le but de dire l’excitation et ce goût intense pour vivre, comme lorsqu’on joue au lance disque.

Ce recours particulier au procédé comparatif, pour augmenter en particulier le caractère énigmatique de la métaphore est exploité de la même manière dans ces vers :

‘Le sable de la mer fatigué par les pieuvres’ ‘est tombé dans la drague où les hommes qui crachaient’ ‘l’ont pris pour le jeter comme une coupe de Thulé’ ‘dans le four […]. ’ ‘(« Demi-Dieu », Persécuté persécuteur, p.201) ’

Le poète accorde au « sable » un adjectif qui lui est incongru, « fatigué », propre à l’humain, et la métaphore s’enrichit par la personnification. Cette première manifestation métaphorique à valeur adjectivale est appuyée également par une seconde à valeur, cette fois-ci, verbale, «est tombé dans la drague », qui permet de transformer le « sable » d’une matière généralement insaisissable en une autre compacte, attrapée par le filet, probablement tel un poisson. Dans cette optique, il nous faut mettre entre parenthèse le fait que le « sable » n’est pas un objet inerte, afin de rétablir la cohérence logique de l’énoncé. Par ailleurs, cette métamorphose de l’élément appartenant au monde marin s’accomplit grâce à la comparaison, « comme une coupe de Thulé », d’autant plus que ce procédé final semble clôturer l’image et mettre en place la touche finale, dans le sens où le sable acquiert une forme bien précise, celle d’une œuvre d’art, mais aussi, il se dote d’une portée mythique par référence à « Thulé », la terre la plus septentrionale du monde connu, qui semble pourtant non respectée et non appréciée par les humains, qui cherchent à la détruire, « dans le four ».

Plus encore, la comparaison peut constituer le point suprême d’un mouvement ascendant au sein d’une phrase et qui évolue jusqu’à l’exagération. Il est ainsi dans ces vers :

‘[…] le rire sauvage de l’existence’ ‘Retentit comme le tonnerre dans la campagne au-dessus des lits défaits.’ ‘(« L’enfer fait salle comble », Les Destinées de la poésie, p.137)

Le sens figuré est mis en lumière principalement par le groupe prépositionnel, « de l’existence », complément du groupe nominal « rire sauvage », dans la mesure où l’entité abstraite ne peut avoir de manifestations concrètes, et notamment un attribut humain. Quant à la comparaison, elle paraît une continuation logique du thème en l’absence du déterminant métaphorique, mais surtout elle redonne de l’ampleur au verbe « retentit », du moment que nous passons d’un « rire », élément restreint, « au-dessus des lits sauvages », à une force naturelle d’une ampleur considérable, « le tonnerre », dans le temps et dans l’espace, « dans la campagne ». Nous remarquons également une construction quasi identique des deux figures, car, à chaque élément de la métaphore correspond un autre de la comparaison : un sujet, « rire sauvage de l’existence / tonnerre », un verbe commun « retentit » et un complément circonstanciel de lieu, « dans la compagne / au-dessus des lits défaits ».

Cette mise en place des deux figures selon un même modèle se rencontre fréquemment dans la poésie aragonienne, dans le but, par exemple d’élucider chacun des composants de la métaphore, comme dans les vers suivants :

‘La divine élégie s’est assise en pleurant […]’ ‘Ses voiles sont pendus à son beau corps d’albâtre comme la lyre d’or au fronton d’un théâtre’ ‘Elle murmure un mot que l’écho lui redit. ’ ‘(« Une solitude infinie », Les Destinées de la poésie, p.111)’

Ainsi, les « voiles » de l’élégie sont assimilées à la « lyre » et « son beau corps » au « fronton d’un théâtre ». De la sorte, Aragon inscrit la comparaison dans le même champ sémantique développée au sein de la métaphore, dans le sens où la « lyre d’or», symbole de l’art poétique renvoie à l’élégie, antique poème lyrique composé d’hexamètres et de pentamètres alternés, de même qu’au « théâtre» en tant que siège des arts. D’un autre côté, le comparant et le comparé sont faits chacun d’une matière précieuse, « or » et « albâtre » pour confirmer la valeur de l’inspiration poétique. Néanmoins, le verbe commun aux deux figures, « être pendu » paraît ambigu, puisqu’il est en contraste avec la beauté suggérée par les autres éléments. Il signifie effectivement la souffrance endurée par le poète et l’incompréhension qu’affronte sa production, un sens justifié par l’emploi du gérondif « en pleurant ». Toutefois, la métaphore dans cet exemple paraît enrichie par plusieurs autres figures du discours, en premier lieu, la personnification parce qu’on a attribué les verbes « être assis » et « pleurer » à l’élégie, alors que cette dernière est représentée par métonymie, celle de la partie pour le tout, par « ses voiles ».

L’interaction entre la métaphore et la comparaison, malgré quelques transgressions, reste valable dans la majorité des cas, dans la mesure où le mécanisme comparatif est souvent confiné à l’intérieur des limites de l’énoncé métaphorique, même si le texte peut parfois lui fournir une certaine autonomie par rapport à la métaphore. C’est le cas pour l’image suivante qui, à la suite de la prédication métaphorique, se présente aussi comme l’objet d’une comparaison qui s’étend indépendamment dans la suite de l’énoncé et s’affirme comme telle :

‘Ici les deux grands mouvements de l’esprit s’équivalent et les interprétations du monde perdent sur moi leur pouvoir. Deux univers [de la connaissance et de l’apparence] se décolorent à leur point de rencontre ; comme une femme parée de toutes les magies de l’amour quand le petit matin ayant soulevé sa jupe de rideaux pénètre doucement dans la chambre. ’ ‘(« Le passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.61)’

La métaphore mise en place par le poète est réalisée grâce au rapport figuré entre le verbe, «se décolorer », et ses sujets, « connaissance » et « apparence », dans la mesure où les domaines mentionnés ne peuvent acquérir de présence concrète, et encore moins des couleurs pour les perdre. Cependant, le terme (se décolorer) peut être reconsidéré comme pour signifier leur impact, ainsi que et leur portée. Une signification que la figure comparative justifie, dans le sens où, au lever du jour, la femme, ayant été rayonnante grâce à la jouissance amoureuse, perd son éclat, pour laisser place à la lumière matinale. Par conséquent, femme et jour deviennent à leur tour « deux univers », autres que les premiers et qui s’excluent également « à leur point de rencontre », de sorte que nature et être féminin paraissent équivalents. Toutefois, nous remarquons que cette image s’écarte de la métaphore première pour poursuivre indépendamment son évolution, et nous relevons un rapprochement qui va jusqu’à l’identification entre le « petit matin » et la femme : d’abord par un échange d’attributs, puisque l’être féminin est « paré », alors que le début de la journée a ôté « sa jupe » faite de « rideaux », pour laisser entrer la lumière ; et ensuite, par une entrée théâtrale et sensuelle à l’image de celle de la femme.

A côté de cette première disposition de ces deux figures, métaphore puis comparaison, nous inscrivons, dans certains cas, le renversement de ce schéma où l’ordre devient comparaison puis métaphore. Les mécanismes du fonctionnement de cette seconde disposition seront mis en lumière dans ce qui suit.

Notes
134.

C. FROMILHAGUE, Les figures de style, Nathan, Paris 1995, p.91.

135.

C’est nous qui soulignons.