La métaphore se situant après une comparaison

La répartition de la comparaison par rapport aux métaphores s’effectue selon différentes structures : la figure comparative peut « devancer » l’énoncé métaphorique, soit pour le préparer ou pour le développer dans la suite du texte. Ces cas de figure démontrent suffisamment l’étroite corrélation associant les deux types de rapprochement ou d’image. En effet, la préexistence de la comparaison par rapport à la métaphore renvoie au souci du poète pour créer une sorte de progression au niveau des rapprochements établis. Cette progression s’explique par le passage d’une figure « dans laquelle aucun terme n’est pris au sens figuratif et où le parallélisme opère entre deux lignes de termes littéraux » 136 , tel est le cas de la comparaison, présentée comme une figure dans laquelle « quelques termes sont pris littéralement et d’autres métaphoriquement » 137 , et qui permet le passage du littéral à une coexistence entre ce dernier et le figuré.

Si la comparaison annonce une ressemblance entre deux objets en explicitant leur différence, la métaphore au contraire dissimule les caractères propres à chaque élément pour mettre l’accent sur leur propriété commune. Autrement dit, la comparaison crée un lien entre deux éléments sans affirmer leur parenté absolue et la métaphore approfondit la similitude et la ressemblance entre le thème et le phore au point d’aboutir à une équivalence parfaite entre eux. L’usage de la métaphore précédée par une comparaison correspond à des intentions variées de la part du poète. L’étude stylistique de quelques cas de métaphores situées après une comparaison est significative, en vue des différentes valeurs exprimées par un tel emploi. Nous citons alors ces vers qui soulignent la présence d’une comparaison introduisant une métaphore :

‘Comme des corps privés de sépultures’ ‘les hommes se promènent dans le jardin de mes yeux’ ‘Rêveurs incompréhensibles.’ ‘(« Lycanthropie contemporaine», Persécuté Persécuteur, p.234)’

Cette figure est déterminative, relevée au niveau du complément circonstanciel de lieu « dans le jardin de mes yeux », dont le dernier terme « mes yeux » fait basculer la signification de l’énoncé vers le figuré, au point que le regard du poète se transforme en un miroir qui reflète l’image du monde et des autres. Accablé par ses maux existentiels et ses douleurs perpétuelles, il affiche une certaine indifférence face à ses semblables, voire même un sentiment de cruauté considérable, puisqu’il les rapproche « des corps privés de sépulture », et donc il les représente comme abandonnés et non honorés. De ce fait, Il leur ôte la vie, aussi bien que la paix dans la tombe. Dans cette optique, l’antéposition du comparant est significative, du moment qu’elle assure le sens figuré de l’image.

De surcroît, d’autres vers de ce même poème justifient le recours au cadre naturel choisi par le poète, nous citons :

‘ou seul suis-je frappé par une main desséchée’ ‘dans ce désert peuplé parmi ces arides fleurs.’

Les hommes sont ainsi identifiés aux « arides fleurs », pour dire la nature de leurs cœurs froids et dénués de sentiments, évoluant dans un cadre antithétique, « désert peuplé », où la solitude règne malgré la présence de l’autre. Dans cette perspective, un autre énoncé métaphorique nécessite d’être analysé, celui par apposition, « mes yeux / Rêveurs incompréhensibles». Il consolide, d’une part, l’idée de souffrance du poète affronté à l’ignorance de son entourage, et d’autre part, la prédilection du savoir onirique. Dans ces cas, la métaphore permet la métamorphose du concret vers l’abstrait et ouvre la voie à l’imaginaire.

Dans cet autre exemple, la métaphore est également précédée par un énoncé comparatif :

‘Comme le cinéma que fige une panne le film du monde’ ‘est un pont suspendu sous lequel un fleuve immatériel’ ‘d’irritation’ ‘coule en silence à l’heure qu’il est. ’ ‘(«Mandragore», Persécuté Persécuteur, p.228)’

Après avoir évoqué l’importance octroyée au rêve, Aragon relate dans ce poème la scène d’une ville fléchie sous l’emprise du sommeil. Cette image se trouve renforcée par une métaphore déterminative, « le film du monde », qui ne crée aucune dissonance au sein même de l’isotopie créée par la comparaison et renforce davantage le champ sémantique instauré par la figure parente, dans la mesure où le terme « film », comparé et thème, s’inscrit dans le même champ lexical mis en place par le comparant, « cinéma ». Nous distinguons également une structure symétrique entre les deux figures : alors que le comparant, « cinéma », est déterminé par une relative, « que fige une panne », le comparé, « film du monde », est identifié à un « pont suspendu » par le sommeil, grâce à une métaphore verbale avec « être ». De ce point de vue, le poète suggère l’idée d’une suspension dans le temps, afin de saisir une image momentanée du monde. Le flux métaphorique se poursuit aussi au sein de la relative, complément circonstanciel de lieu, « sous lequel un fleuve immatériel / d’irritation / coule en silence à l’heure qu’il est », dans la mesure où le sens figuré est mis en place, en premier lieu, en accordant un adjectif abstrait « immatériel » à une entité concrète, « fleuve », et en second lieu, par l’emploi du complément du nom, « irritation » qui ne coïncide point avec le thème «fleuve », mais qui renvoie au domaine des sentiments abstraits, essentiellement celui de la colère, et en dernier lieu, par le verbe « couler » ne pouvant être assuré par la nouvelle entité créée par le poète, « fleuve immatériel d’irritation ». De plus, nous pouvons relever, de la dernière figure métaphorique, un autre cas d’opposition des sèmes entre le complément du nom « irritation » qui dit l’agitation et l’emportement, et le complément circonstanciel de manière « en silence » qui signifie le calme et la douceur. Il est possible de signaler, à ce niveau, que la comparaison sert essentiellement à introduire, mais aussi à développer plusieurs mécanismes métaphoriques dans un même énoncé. Tel que dans cette citation où le procédé comparatif prépare l’apparition de deux métaphores :

‘En vain comme une mer langue tu te retires’ ‘caresses du passé belles au bois dormant. ’ ‘(« Poème de sang et d’amour », Les Destinées de la poésie, p.127)’

Dédié à Max Ernest, peintre surréaliste des plus inventifs et qui introduit la technique du collage dans le mouvement, le poème semble à l’image de ce personnage, dans la mesure où il regroupe plusieurs scènes sans lien apparent les réunissant, et par conséquent, un nombre considérable d’images hétérogènes. Ainsi, la « langue » tirée, en tant que signe de moquerie ou d’insouciance s’assimile étrangement à la « mer », alors qu’il difficile de découvrir le sème commun aux deux entités, sauf si nous prenons en considération la qualité du mouvement signalé, mise en lumière par la locution adverbiale « en vain ». La disparition de l’entité aquatique est assurément impossible, de même que la manifestation d’indifférence, du moment qu’elle n’empêche pas le surgissement des souvenirs amoureux d’antan, évoqués par le poète grâce à une métaphore appositive où les « caresses » sont identifiées, sans intermédiaire syntaxique, aux « belles aux bois dormant », celles qui subsistent toujours, somnolant dans les méandres de la mémoire, et en acquérant une existence réelle, par l’intermédiaire de la comparaison qui sert à concrétiser les éléments de la métaphore. Toutefois, le terme « langue » peut être polysémique et indiquera non seulement le membre humain, mais aussi le langage, la parole, celle de la mer, vaine, car incompréhensible et indéchiffrable, d’où l’emploi du verbe « se retirer » qui signifie, dans ce cas, le fait de fléchir et de céder. Le poète suggère de cette manière la gratuité du langage humain.

A la fin de cette partie, il paraît essentiel de souligner l’importance de la métaphore dans le développement des motifs de l’association et dans l’accentuation de la dimension poétique du poème. En outre, le rôle de la comparaison et de la métaphore, dans ces exemples, est de dépasser un code langagier et des conventions linguistiques pour le déploiement d’un champ discursif donnant au lecteur une nouvelle vision du monde. Une vision qui met en lumière ce que la vie du poète a de commun avec d’autres éléments de la réalité et ce qu’elle partage avec eux.

Notes
136.

P. RICŒUR, La Métaphore vive, Paris, Seuil 1975, p.242.

137.

Idem.