Les termes comparatifs

Il est, par ailleurs, intéressant de relever la diversité des termes introduisant les comparaisons : à côté d’une profusion de figures au moyen de l’adverbe « comme » qui établit une identité totale entre deux éléments ou l’un de leurs aspects, nous relevons également, dans le texte aragonien, certains cas où le gestus comparatif s’actualise aussi avec les locutions conjonctives « ainsi que », « pareil à », ou encore par les verbes « rappeler » et «ressembler » qui ne sont pas sans agencer un rapport analogique entre deux entités sémantiquement hétérogènes :

‘Sur la carte du ciel commande un forban’ ‘Pareil à l’homme’ ‘Les nuits de lait il saigne la crosse’ ‘D’un oiseau femme mort de son amour tombeau.’ ‘(« Le soleil d’Austerlitz », Le Mouvement perpétuel, p.81)

La métaphore de cet exemple est de nature verbale, vu que le complément obligatoire de lieu, « sur la carte du ciel », paraît d’un usage incohérent par rapport au verbe « commander », puisque cet acte ne peut s’appliquer sur un objet abstrait, impalpable et d’aussi grandes dimensions, tel que le ciel ou sa carte. De même, le sujet semble inadéquat relativement au groupe verbal le précédant, en ce sens que le corsaire règne communément sur les mers et non dans les cieux. Toutefois, grâce à cette image, ce pirate acquiert un caractère mythique et fantastique le haussant au-dessus du rang des humains, une position aussitôt rectifiée grâce à la comparaison, « pareil à l’homme », qui fait en sorte que ce personnage soit semblable aux être ordinaires souffrant d’amour et fragilisés par les passions. En effet, le terme « pareil à » n’établit qu’une identification atténuée, de sorte que ce « forban » peut être également un double du poète, ce « je » qui « croi[t] comme un marin au jeu de la vague », et possède, par conséquent, un pouvoir sur les mots et sur le monde.

Nous relevons également d’autres vers extraits du recueil Persécuté Persécuteur où la comparaison est introduite par la locution conjonctive « ainsi que » :

‘Ainsi que le cœur qui se déchire au début de l’absence’ ‘le grisou sautera dans Paris’ ‘avec un long bruit de luxe brisé. ’ ‘(« Tant pis pour moi », p.223)’

Ces vers s’inscrivent dans un poème où se célèbre la révolte, « où CIEL se lira DRAPEAU ROUGE » et dont la première des manifestations est le feu. Cependant, cet acte de violence, faire « sauter Paris », se trouve assimilé, par une comparaison, aux souffrances de l’amour suite à une privation du bien-aimé. D’un autre côté, les deux pôles de l’image sont rapprochés à cause d’une particularité commune, « un long bruit de luxe brisé » : « long » pour dire la continuité des deux actions dans le temps, « de luxe brisé » pour suggérer à la fois la destruction des édifices de la ville dont l’apparat somptueux est aboli, de même que l’intensité de la peine, quoique éphémère comme le faste, dans la mesure où elle est réduite à une période déterminée, celle du « début de l’absence ». Cette association des deux pôles est construite suivant un même modèle, en ce sens que chacun des éléments de la comparaison correspond à un autre de la métaphore (le cœur / le grisou, se déchire / sautera, au début de l’absence / dans Paris).

Il est possible aussi que la comparaison soit insérée, dans un énoncé, par un verbe dit comparatif, comme dans ces vers du poème « Chanson à boire », où nous mettons en relief la seule occurrence dans l’œuvre aragonienne avec « ressembler », employé avec l’adverbe « comme ». Véhiculant la même valeur comparative que « comme », ces verbes ont le privilège de mettre en place un développement plus au moins étendu à partir de la ressemblance qu’ils formulent. Aussi, ils affichent une parenté manifeste, par le biais de leur structure même, avec la métaphore attributive (N tp V N tm), dont ils constituent une forme de projet, plus qu’avec la comparaison proprement dite, supposant une explicitation du mécanisme de rapprochement. Nous citons comme exemple :

‘Colombes vous n’êtes pas seulement redoutables’ ‘pour le ballon captif qui me ressemble’ ‘comme un frère mais’ ‘Aussi pour le plomb de la plaine.’ ‘(La Grande Gaîté, p.295)’

La métaphore initiale est adjectivale par l’attribution de la qualification spécifique à l’humain, « redoutables », aux êtres aériens, « colombes », qui, quoique généralement, symbolisent la paix, elles terrorisent cette fois le poète. Ce dernier se représente en tant que «ballon captif », par l’intermédiaire du verbe « ressembler », mais également par un appariement, « comme mon frère », qui permet de créer une fusion, et plus encore une entité à double facette. Par ce rapprochement, le poète se met en scène tel un être vulnérable, du moment qu’il est comme éthéré et principalement claustré sous l’emprise de ces nouvelles créatures qui ne craignent plus le « plomb » de la chasse. En conséquence, les « colombes » représentent pour le poète l’ennemi effrayant durant la guerre, d’où, les vers suivants se référant à cette dernière, « Mains qui étreignent le grisou / […] Elles savent plier l’échine des moutons / Craquez vertèbres ».

A la suite d’un tel emploi des comparaisons, nous pouvons affirmer que l’analogie chez Aragon aspire principalement vers son expression absolue, la métaphore avec « être », comme il apparaît dans la totalité des exemples examinés, dans la mesure où le poète ne se suffit pas à établir un rapprochement plus ou moins vraisemblable, mais élabore un mouvement de fusion ascensionnelle entre les éléments constituant l’image. En effet, l’usage de la comparaison, avant ou après une métaphore, permet essentiellement le développement de ce trope en se basant sur des techniques d’écriture variées.