La « comparatio »

Après avoir analyser la comparaison dans son sens large, nous nous rapporterons à l’étude élaborée par M. Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, inscrite dans cette même perspective, et dans laquelle il affirme, d’après la terminologie grammaticale, que le terme comparaison se substitue à deux mots latins qui coïncident à des concepts différents : il s’agit de la « comparatio» et de la « similtudo». La première met en lumière tous les procédés qui relatent les notions de comparatif de supériorité, d’infériorité et d’égalité, et en d’autres termes, qui fait intervenir un élément d’appréciation quantitative. La « similitudo », au contraire, relate une valeur qualitative, que nous avons essayée de démontrer dans la partie précédente de ce travail. Nous allons donc, essayer dans cette suite de prendre en considération la « comparatio », grâce à un ensemble d’exemples où la comparaison se trouve dans un même contexte que la figure de la métaphore. Il est ainsi dans ces vers :

‘[…] mes ailes oublieront les bras et les travaux’ ‘Plus léger que l’argent de l’air où je me love’ ‘je file au ras des rêts et m’évade du rêve.’ ‘(« Eclairage à perte de vue », Feu de joie, p.40)’

A la suite d’une métaphore verbale établie grâce à un rapport figuré entre le groupe verbal « oublier les bras et les travaux » et le sujet « mes ailes », Aragon a eu recours à un comparatif de supériorité, « plus que », pour signifier sa libération totale des jougs de la vie sociale, accablant les hommes par des exigences asservissantes, tel que le travail. Dès lors, il acquiert une légèreté et une volatilité extrêmes surpassant celles de l’air. Cependant, ce dernier semble étrange, puisqu’il s’agit de « l’argent de l’air », qui semble une autre invention imaginaire du poète, signifiant aussi bien la préciosité de l’ascension, que son caractère incontestable, d’où, l’emploi de la relative « où je me love ». En outre, le mouvement de libération se prolonge, par l’intermédiaire des verbes « filer, s’évader », vers une issue certaine, située au-delà des pièges et des songes.

Dans la totalité du corpus, nous n’avons pas distingué aucun exemple de comparatif d’infériorité ou même d’égalité, au point que nous pouvons dire qu’Aragon privilégie le comparatif de supériorité. Nous proposons alors d’analyser ces deux autres exemples :

‘Je saute ainsi d’un jour à l’autre’ ‘rond polychrome et plus joli’ ‘qu’un paillasson de tir ou l’âtre. ’ ‘(« Parti Pris », Feu de joie, p.42)’

Dans ce poème, le poète, par contradiction, ironise sur son malheur, attendu que la scène de guerre est évoquée implicitement tel un tableau plus agréable, dans lequel les obus deviennent « mille soleils peints sur le sol » et les « pleurs », présentés comme ceux « du pétrole sur la route ». Le « je » se métamorphose lui-même en un « rond polychrome » qui offre une vision faussée et embellie de la réalité atroce, en octroyant à celle-ci d’autres couleurs (« la flamme est couleur du vent ») et des aspects plus joyeux (« Je danse au milieu des miracles » ou « Vie ô paisible automobile »). D’où, la comparaison, « plus joli », qui contribue à remplacer la réalité désolante et triste des combats, que nous devinons grâce à certains de ses éléments, « paillasson de tir ou l’âtre ». Par ailleurs, le poète présente son mouvement dans le champ de bataille, comme une action plaisante, car il est question d’une « danse au milieu des miracles » et d’« un joyeux péril de courir au devant ». En effet, la métaphore, doublée par un comparatif de supériorité, contrebalance la représentation vers le meilleur.

En fin de cette analyse, nous proposons d’analyser ces vers :

‘[…] les plumiers qui regardent [...] les cheveux embroussaillés des gamins plus tendres que les bancs ou les lunettes de femmes. ’ ‘(« L’institutrice », Ecritures automatiques, p.143)’

La métaphore verbale est mise en place par une structure relative qui établit un rapport imagé entre le sujet, « plumiers », et son verbe, « regarder ». De même, il existe au sein du premier procédé métaphorique un autre de nature adjectivale, « les cheveux embroussaillés », à tendance hyperbolique qui ramène aux confins du merveilleux. La série d’images est, de surcroît, complétée par une autre comparaison de supériorité, comme si le poète n’admet que des entités supérieures. Cependant, le comparant paraît opaque, dans la mesure où la tendresse ne peut coïncider ni avec les « cheveux » couvets de végétations sauvages, ni avec « les bancs ou les lunettes de femmes ». Il est, par ailleurs, difficile de discerner le motif regroupant ces différents éléments et le mécanisme comparatif obscurcit davantage la métaphore au lieu de la rendre plus compréhensible.

En conclusion de cette séquence, il est concevable d’affirmer que le procédé métaphorique se définit davantage par le biais des relations qu’il entretienne avec les termes l’entourant, avec les figures (spécialement la comparaison) qui l’appuient, l’obscurcissent ou au contraire le dévalorisent en dévoilant de manière trop évidente son mécanisme analogique. Suite à cette analyse des relations entre la métaphore et sa « parente », nous entrerons en ligne de compte les autres tropes ou figures alignés sur la métaphore, alliés ou littéralement fondus en elle. En effet, la figure additionnelle peut être de nature variée, en partant de la métonymie et de la synecdoque, jusqu’à l’oxymore, en passant par la personnification, le symbole, la catachrèse, la périphrase, sans oublier l’allégorie. De ce point de vue, les descriptions et les systématisations de ces figures s’alternent avec une quête perpétuelle d’une figure générale, qui les rassemble toutes, les récapitule dans une unité retrouvée.