La métaphore et les figures tropes

Nous désignons par les figures-tropes les métonymies et les synecdoques, constituant avec la métaphore la catégorie des figures qui effectuent un changement au niveau du sens.

La métaphore et la métonymie

Comme la définit P. Fontanier, la métonymie est un trope par correspondance consistant « dans la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet qui fait comme lui un tout absolument à part, mais qui lui doit ou à qui il doit lui-même plus ou moins, ou pour son existence, ou pour sa manière d’être » 138 . Dans cette perspective, la figure métonymique est basée sur un écart paradigmatique exécuté lors d’un remplacement d’un terme par un autre, sans porter atteinte à l’interprétation du texte. Il s’agit donc d’une opération de sélection entre des réalités extralinguistiques, indépendamment des structures linguistiques l’exprimant. En tant que trope, la métonymie se présente parfois dans certaines configurations, d’abord distinguées comme des métaphores à un premier degré, mais qui sont aussitôt reconnues telles que des métonymies lors d’une lecture plus élaborée. Cette considération préalable, parce que suggérée par l’intuition, trouve éventuellement son explication grâce aux conditions de production du trope, dans la mesure où ce dernier contribue, dans les poèmes aragoniens, à un déploiement métaphorique de l’image de base. Par conséquent, la métonymie est employée, non pour elle-même, mais parce qu’elle rend possible une corrélation impertinente, à laquelle elle sert uniquement de support ou de prétexte. A cet égard, il semble intéressant de constater que la majorité des « substitutions » métonymiques, réalisées uniquement au niveau du nom, et à l’exclusion des autres classes de mots, sont enchâssées par des formules métaphoriques. Nous citons :

‘Mon âme fulgurante’ ‘S’élève jusqu’aux cieux.’ ‘(«Falparsi», Les Destinées de la poésie, p.108)’

Nous avons déjà analysé cet exemple en tant qu’énoncé renfermant un mécanisme métaphorique, mis en place essentiellement par un rapport figuré installé grâce à l’adjectif « fulgurante », et qui attribue à l’entité abstraite « âme » une consistance concrète, dans la mesure où nous distinguons des sèmes qui lui sont ajoutés, telles que la luminosité et la sonorité, pour se représenter capable d’effectuer une ascension dans l’espace, « jusqu’aux cieux », par le biais du verbe d’action, « s’élève ». Toutefois, nous relevons de la même séquence textuelle une métonymie de la partie pour le tout, en ce sens que le poète est représenté particulièrement par son « âme », lui permettant de réaliser sa libération, du moins intellectuelle. Dans ce cas, ce trope sert à mettre en évidence un aspect précis d’une réalité : de la dualité humaine, corps et âme, l’auteur choisit de se présenter grâce à son essence spirituelle, qui le mène vers sa délivrance de la réalité et de ses jougs.

Dans la même perspective, nous proposons une autre occurrence métonymique, par laquelle le poète continue de se montrer au moyen d’un élément particulier, à citer « les ailes » :

‘mes ailes oublieront les bras et les travaux.’ ‘(« Eclairage à perte de vue », Feu de joie, p.40)’

Inscrite suite à une énumération d’éléments appartenant à un même champ lexical se référant aux oiseaux « l’oiselle, gorge-de-pigeon, la mésange, passereau », la métaphore permet au poète de se transformer à son tour en un être fabuleux et volant qui « file au ras des rêts », dans le but de se libérer des chaînes qui l’oppressent et qui le privent de sa liberté, à savoir «les bras » qui non seulement le clouent à la terre, mais l’obligent à effectuer « les travaux ». Il est clair que ce vers renferment une métaphore « métonymique », en ce sens qu’elle établit d’une part, une métamorphose du « je », mise en lumière, toutefois, par le biais d’un détail, « mes ailes », appartenant à une vision globale, et qui représente le mieux l’idée essentielle sur laquelle l’auteur insiste, celle d’une libération espérée et face à laquelle « la Nature se plie et sait ce qu’ [il] vau [t] ».

Dans le même cadre, nous fournissons cette série de métaphores, où l’une est déterminative, tandis que les deux autres sont verbales, mais qui semblent contenir chacune un procédé métonymique :

‘Je m’étends je m’étends par des chemins étranges’ ‘Mon ombre se dénatte et tout se dénature’ ‘La forêt de mes mains s’enflamme’ ‘Mes cheveux chantent.’ ‘(« La faim de l’homme », Les Destinées de la poésie, p.139) ’

En premier lieu, nous notons que le poète acquiert une dimension cosmologique, car il paraît être appréhendé à l’échelle de l’univers. Cette transformation est déjà signalée par le contexte, par la métaphore verbale du premier vers, « je m’étends je m’étends », où la répétition du verbe « s’étendre » confirme, avec insistance, cette expansion dans l’espace d’une entité censée se limiter à une grandeur réduite, le « je ». Quant à l’adjectif « étrange », il signifie aussi le caractère particulier et surréel de la vision rapportée. En effet, en tant que géant incommensurable, le poète se décrit par le biais de certaines de ses parties, à noter l’ombre, la forêt de ses mains et finalement par les cheveux. Ce choix signifie la difficulté de discerner, en une seule fois et par la simple vue, la totalité de cet être fantastique. Ainsi, l’« ombre », sujet d’un verbe qui lui est habituellement incompatible, « se dénatte », renvoie à une autre réalité mentionnée dans la suite, les « cheveux ». Par conséquent, cette figure hybride octroie à l’image un caractère plus concret. En second lieu, la « main », partie du corps extrêmement significative, car elle est symbole la création, se transforme en un paysage immense dans lequel Aragon distingue une « forêt » (une partie de la partie). D’où, la métaphore déterminative, « la forêt de mes mains », inscrite dans une vision fantastique de l’univers. En outre, ces deux mécanismes analysés s’inscrivent dans le contexte pour illustrer une même idée, le changement. Cependant, il s’agit d’une mutation vouée à la destruction jusqu’au bout, dans la mesure où « les cheveux chantent…la chanson des colonies », celle de l’oppression et de la torture, d’autant que la dernière métaphore, mise en place grâce au verbe « chantent », dont le sujet est « cheveux » (inanimé et non humain), se trouve justement dédoublée par une synecdoque et non par une métonymie comme dans le cas de « l’ombre » et de « la forêt des mains ». Ces entités entretiennent avec la personne du poète un lien abstrait, parce qu’elles sont considérées comme surnaturelles et irréelles, réinventées par les mécanismes métaphoriques, tandis que les cheveux gardent un rapport concret avec la personne, même s’ils sont dotés d’une voix chanteuse.

Généralement, la métonymie consiste en un procédé de langage exprimant un concept, par le moyen d’un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire d’appartenance ou de contiguïté, réalisée dans un même champ sémantique et exigée par la langue elle-même. Dans cette optique, nous ne pouvons pas cerner aucune forme d’inventivité de la part de l’auteur. Toutefois, inscrite dans le cadre métaphorique, la métonymie se caractérise, à l’image de sa « parente », par le fait de laisser libre cours à l’imagination créative, permettant l’invention de nouvelles entités, de créatures insolites, comme dans les exemples précédents. En conséquence, nous pouvons dire que la figure de la métonymie permet la description, ainsi que l’expression d’une manière de voir et de sentir. Elle enrichit la fonction référentielle normale du langage, en associant à la désignation de la réalité décrite une indication sur la façon particulière dont le locuteur aperçoit cette réalité.

Dans ce qui précède, nous avons pris en considération uniquement les procédés métonymiques appartenant à une seule classe, celle de la partie pour le tout, et cette partie est souvent concrète. Nous analyserons alors un autre exemple où le poète (un tout) est représenté par son essence, la parole (une partie) :

[…] ma parole Image monstre Rêve souterrain des banquets mortels […].

(« Au café du commerce », Ecritures automatiques, p.148)

Ce constituant métonymique est mis en valeur par une série de métaphores appositives. La première est elle-même composée par deux termes juxtaposés sans aucun lien syntaxique et qui peuvent aussi former deux procédés métonymiques, dans la mesure où nous pouvons considérer que, par le substantif « image », le poète représente le constituant « parole » par le constitué. De même que par le mot « monstre », il signale la cause par son résultat, étant donné que la parole surréaliste peut faire surgir de nouvelles créatures inédites. En outre, la métonymie prépare la réception de la métaphore, « rêve souterrain des banquets mortels », et rend possible son évolution dans la suite du texte, car elle se trouve justifiée par le fait que les mots permettent de formuler les songes, alors qu’ils existent dans un inconscient inconnu et abstrait.

Nous analyserons également d’autres vers où le mécanisme métonymique, celui de la partie pour le tout, s’inscrit dans un registre du fantastique et du surnaturel :

Mains du soleil mains fainéantes

S’envoleront.

(« Chanson du président de la république », Le Mouvement perpétuel, p.85)

Nous avons examiné auparavant cet énoncé en tant que métaphorique formé de deux mécanismes à la fois, dont le premier par détermination, (A de B), et le second fondé grâce à un adjectif, « fainéantes », qui ne convient pas au substantif qu’il qualifie, « mains », puisque propre à l’animé humain. Ce substantif produit aussi une métonymie de la partie pour le tout, la main pour le corps, même si nous l’avons attribuée à l’entité « soleil », devenue de la sorte humaine, et dont le trait vivant est confirmé par le verbe d’action « s’envoler ». Le deuxième emploi du terme « main » réinstalle le mécanisme métonymique par allitération, mais aussi grâce à l’épithète « fainéantes », qui, au lieu d’être accordée à une personne, se trouve attachée à un élément corporel qui n’est pas censé afficher une telle attitude de paresse, dans la mesure où la main est souvent symbole ou outil de l’action. Toutefois, il est essentiel de signaler que ces deux vers certifient le caractère hybride de la figure de la métaphore, vu qu’elle regroupe plusieurs procédés figurés, à noter dans ce cas la personnification, et principalement la métonymie. Alors que cette dernière réalise un glissement de référence ne modifiant pas l’organisation sémique, la métaphore accomplit un autre glissement qui s’explique sur le plan de la communication logique par l’élimination, ou plus précisément par la mise entre parenthèse d’une partie des constitutifs du lexème employé. De plus, ne bouleversant pas la structure sémique, la métonymie joue toujours sur les signifiés et se présente, par conséquent, comme une substitution par contiguïté sémantique qui relève aussi d’un déplacement sémantique.

D’autre part, nous passerons des métonymies spécifiques à Aragon à une figure souvent rencontrée chez la plupart des écrivains, celle de la ville pour ses constituants (habitants ou composantes) :

un rayonnement violet s’abattait […] sur la ville assise dans des amoncellements de pavés.

(Ecritures automatiques, p.145)

Alors qu’il s’agit d’un cliché, cette métonymie se trouve rénovée chez Aragon, dans le but d’accéder à un procès qui contribue à détourner l’esprit du récepteur d’une relation de contiguïté objective, et donc pour réaliser et soutenir un autre genre de rapport, indiqué généralement comme un rapport de similarité entre le lieu (la ville) et ses différentes parties (pancartes renversées, fenêtres convulsées…), quoique dans un état de désolation. En effet, la transition d’un glissement métonymique préexistant à l’énoncé vers une prédication subjective arbitraire, édifiée par le locuteur, est réellement assuré par le lien métaphorique, distinctement mis en lumière au sein du texte. La métonymie se parachève en une métaphore, et oriente dans le sens d’une approche moins motivée et, par conséquent, moins rigide. La personnification qu’elle amène, « la ville assise », est prise en considération par l’énoncé qui développe l’image première, au point que nous pouvons avancer que la métaphore féminine surpasse le jaillissement d’un processus métonymique probable.

Il est de même dans cet autre exemple :

[…] le vaste corps de Paris […] fleuve humain qui transporte [...] d’incroyables flots de rêverie et de langueur […].

(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.22)

Aragon offre à la ville de Paris une existence humaine, par le biais de la figure de la personnification en lui accordant un « vaste corps », constituant au même moment une métonymie de la partie (corps) pour le tout (homme). Cette dernière prépare le surgissement de la métaphore in absentia, « fleuve humain », que nous relevons dans la suite du texte, dans le sens où le substantif « fleuve » renvoie au corps de la ville, tandis que l’adjectif « humain » insiste sur ce trait et reproduit la figure de la personnification. Aussi, nous pouvons signaler que les « incroyables flots » désignent à leur tour les habitants de cette ville, au moyen de leur rêverie et leur sentiment de langueur. De ce fait, nous relevons une autre métonymie de la partie pour le tout, inscrite au sein d’une métaphore déterminative qui dit, avec exagération, la multiplicité de ces parisiens. Nous notons également un entremêlement perpétuel de la métaphore et de la métonymie.

En effet, après l’analyse de ces métonymies, nous affirmons que l’écriture aragonienne découle d’une conception synoptique et généralisante, dont le but est de regrouper les différentes impressions visuelles et de les ramener à une instance métonymique supérieure ou globalisante. Cette écriture favorise donc l’élargissement de la perspective, mais aussi le surgissement d’une atmosphère fantastique, dans laquelle toute activité est dévalorisée, car elle est supposée vaine, équivoque et risible. Néanmoins, il existe une autre conception particularisante qui s’oppose à la précédente, permettant de passer d’un élément général à ses composantes, par le biais d’une énumération d’impressions distinctes, auditives et visuelles à la fois, par lesquelles on opère une restriction de la perspective, et, par conséquent, on affine la vision par une insistance sur le détail. De ce point de vue, nous passons du thème de la ville à celui des saisons et particulièrement du printemps :

AVRIL renaît Voici ses rubans et ses flammes

Ses mille petits cris ses gentils pépiements

Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes.

(« La naissance du printemps », Les Destinées de la poésie, p.114)

Le procédé de lecture essentiellement métaphorique, qui se pratique généralement sur des énoncés renfermant une métonymie placée au second plan, a été souligné par J. Tamine dans son article « Métaphore et Syntaxe ». Dans le cas des figures « in praesentia », cet auteur prouve particulièrement que la structure syntaxique de la métaphore se charge de l’interprétation métaphorique, tout en dissimulant le lien synecdochique ou métonymique constituant les fondements des deux termes en présence (N1 et N2 des métaphores « in praesentia ») 139 . Tel est le cas dans ces vers où la structure par apposition établit une assimilation entre les deux éléments mis en relation, « cheveux » et « algues », à mesure qu’il s’agit d’une identification directe sans outil grammatical, en intercalant le mécanisme métonymique au second plan, comme nous l’avons pratiqué dans cette étude (nous nous sommes intéressée d’abord à l’analyse des énoncés en tant que métaphores, pour ensuite cerner la métonymie en rapport étroit avec la première). Nous citons :

Les cheveux longs du flot Les algues

s’enroulent au bras du nageur.

(« Lever », Feu de joie, p.54)

Nous évoquons, en premier lieu, les sèmes communs permettant de réunir les deux réalités (cheveux et algues), à savoir la forme et la longueur, mais aussi l’entremêlement avec le corps du nageur, dans le but de le paralyser, de suspendre ses mouvements, et pour le plonger dans la splendeur de la mer, celle « qui va droit au cœur », représentée également par une métonymie de la partie (flot) pour le tout. Par ailleurs, à l’image du nageur, la mer possède à son tour un corps immense, mais que les cheveux-algues sont uniquement pris en considération. Dans cette optique, nous remarquons que, pour mettre en place cette image métaphorique, le poète a eu recours à la métonymie de la partie pour le tout, d’une part, celle des cheveux par référence à l’être humain et particulièrement au nageur, et d’autre part, celle des algues par renvoi au milieu aquatique, auquel on a alloué une action spécifiquement humaine, « s’enrouler ». Dès lors, les deux milieux (humain et marin) sont devenus en symbiose complète, grâce à l’enchevêtrement des mécanismes métaphoriques et métonymiques qui se révèlent complémentaires.

Par ailleurs, dans les figures « in absentia », ce dépassement de la métonymie devient automatique, d’autant plus que le poète se suffit à installer un seul terme du trope dans le vers ou la phrase. Dans cette perspective, le procédé métonymique semble fournir un point de départ propice pour une détermination ou une prédication métaphorique. Nous citons à titre d’exemple :

Il arrive qu’on rentre chez soi tard dans la nuit, ayant croisé je ne sais combien de ces miroitements désirables, sans avoir tenté de s’emparer d’une seule de ces vies imprudemment laissées à ma portée.

(« Préface à une mythologie moderne », Le Paysan de Paris, p.12)

Nous discernons deux métaphores in absentia, dont le thème unique, désigné par l’adjectif démonstratif « ces » ne se trouve pas dans le contexte immédiat, mais précédemment dans le texte : il s’agit des « femmes ». Ces créatures sont représentées grâce à une première métonymie particularisante, « miroitements désirables », une désignation vérifiée par des sèmes communs entre les deux éléments, vu qu’à l’image d’un miroir, la femme renvoie la lumière et offre des reflets changeants, dans le but de donner une nouvelle vision de la réalité, déformée et métamorphosée à cause d’un tel prisme de luminances. L’adjectif « désirables », qui concerne davantage l’humain, justifie ce rapprochement. Quant au second procédé métonymique, il établit plutôt une extension de la vision, dans la mesure où l’être féminin n’est plus cerné comme un objet de désir, mais comme une « vie » avec tout ce qu’elle renferme d’émotions, d’expériences et de sens. Par le moyen de la métonymie, l’auteur met en place ses métaphores, car un seul terme du trope lui permet d’étaler toute une vision imagée.

A présent, nous allons énumérer les différentes classes métonymiques. Nous relevons donc une métonymie qui se construit sur la base d’un rapport de contenant à contenu :

Tant pis si les dames d’un air

Désapprobateur

Verrouillent leurs portes métaphysiques

Sur mon passage.

(« Déclaration définitive », La Grande Gaîté, p.226)

L’effet figuré est réalisé au niveau du complément d’objet du verbe « verrouiller », dans le sens où le groupe nominal « leurs portes métaphysiques » forme, à la fois, un procédé métaphorique à valeur adjectivale, en accordant une épithète abstraite à un objet réel et concret, et aussi un mécanisme métonymique, car les femmes choisissent de clore leurs portes, non celles matérielles, mais celles de leurs cœurs, et qui symbolisent dans ce cas le contenu de ce siège des sentiments, renfermant leur secrets. Ainsi, cette « porte » mystérieuse indique d’une part, le cœur féminin et particulièrement son contenu affectif.

Il y a aussi la métonymie de l’effet pour la cause. Nous choisissons de mettre en lumière une réalité par ses conséquences sur les autres entités se trouvant à proximité. Nous mentionnons alors celle de la nuit, étant donné qu’elle favorise le surgissement des illusions, à tel point qu’elle se métamorphose pour devenir elle-même à l’image de ses effets :

[…] la nuit […] Cette grande illusion noire suit la mode, et les variations sensibles de ses esclaves.

(« Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont », Le Paysan de Paris, p173)

Il est de même au sein de l’hymne destiné à la blondeur, comme une des caractéristiques féminines les plus célébrées par Aragon. Cette couleur s’assimile à ses résultantes, à savoir un reflet, une ombre et un souffle :

Le blond […] C’est une espèce de reflet de la femme sur les pierres, une ombre paradoxale des caresses dans l’air, un souffle de défaite de la raison.

(« Le passage de l’Opéra », Le Paysan de Paris, p.52)

Pour rendre plus explicite le « blond », le poète élabore trois métaphores in absentia, introduites par le présentatif « c’est » qui sert à établir une équivalence entre ces différents éléments. En effet, il est question, en premier lieu, d’un « reflet de femme », et donc d’un éclat lumineux qui se réfléchit sur une surface sombre, ici les « pierres ». Le thème est mis en place grâce à ses propriétés (luminosité et éclat). Dans la deuxième figure, il est assimilé étrangement à l’ombre, et donc nous passons à l’autre extrême, celui de l’obscurité. Cependant, cette « ombre » est contradictoirement celle des « caresses dans l’air », aussi bien impalpables l’un comme l’autre, d’où l’emploi de l’adjectif « paradoxale ». Finalement, le blond s’identifie à un « souffle », celui de la « défaite de la raison », parce que fasciné, l’homme n’arrive pas à saisir l’essence de cette couleur particulière malgré le recours à ses facultés raisonnantes.

La métaphore peut être bâtie sur une métonymie de l’instrument pour le maître de l’instrument ou l’agent :

Nous nous réjouissons d’être des encriers.

(« Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont », Le Paysan de Paris, p.179)

Dans cette phrase, le poète, avec ses confrères, fusionne avec le récipient d’encre, substance première qui donne aux mots une existence concrète. Par ce lien étroit avec la plume, les écrivains deviennent eux-mêmes l’outil de l’écriture, puisqu’ils éprouvent du plaisir en accomplissant cet acte de création.

Ces systèmes interférentiels permettent alors de mettre en place une figure qui présente des éléments communément pris en considération dans les limites d’une relation métonymique, mais qui acquièrent une certaine autonomie, par le biais du processus métaphorique. Dans ces vers, les parties choisies du corps féminin, « peau » et « doigts », assurent, au moyen de la métaphore, le caractère imagé de l’énoncé, dans la mesure où la peau, par son éclat, ressemble aux enseignes qui doivent être voyantes, afin d’attirer l’attention. Toutefois, dans le cas de la dame, elle choisit, par pudeur, de dissimuler cette beauté étincelante « dans l’armoire métaphorique de ses doigts », et nous remarquons l’emploi même du terme « métaphorique», au sein d’une figure déterminative, et qui signifie le caractère fabuleux aussi bien des doigts que de cette femme :

[…] la dame […] qui recèle

ses étendards de peau dans l’armoire métaphorique de

ses doigts.

(« Le progrès », Persécuté Persécuteur, p.207)

Néanmoins, l’emploi de la métonymie en association avec la métaphore se réduit, chez Aragon, uniquement aux classes déjà analysées, puisque nous n’avons relevé aucune figure qui exprime : la cause pour l’effet, le signe pour la chose signifiée, le lieu d’origine pour le produit, la matière pour l’objet qui en est fait, le vivant par l’inanimé.

Notes
138.

P. FONTANIER, Les Figures du discours, Flammarion, Paris 1968, p.79.

139.

J. TAMINE, « Métaphore et syntaxe » in Langages, n°54, Paris, 1979, pp.71-72. : « En l’absence de tout lien préconstruit entre N1 et N2, la syntaxe à elle seule, impose entre eux une relation, classification, identification […] si bien que la figure en définitive repose plus sur le cadre syntaxique que sur les liens sémantiques de ressemblance ou d’analogie que la tradition rhétorique met en avant pour l’expliquer. Et de fait, la part de la syntaxe est telle que dans ces configurations «in praesentia » elle conduit nécessairement à une interprétation métaphorique alors même que N1 et N2 présentent des relations de partie à tout ou de contiguïté qui, dans cette même tradition, sont données comme fondant les synecdoques et les métonymies ».