La métaphore et les figures d’exagération

Les figures d’exagération sont, d’une part, les hyperboles qui rendent plus intense la portée d’une image, et d’autre part, les oxymores, qui, en associant deux termes contradictoires, accentuent l’originalité d’une perception.

La métaphore et l’hyperbole

Selon Bacry, cette figure consiste en « une exagération de l’expression par rapport à la réalité de référence. Elle peut être frappante, grandiose ou bien devenir humoristique quand elle atteint à l’inconcevable » 145 . Elle est également définie comme une «manière de s’exprimer outrancière » 146 , d’autant plus que Ch. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca 147 citent Dumarsais, qui explicite le fonctionnement de la figure hyperbolique en ces termes :

‘Lorsque nous sommes vivement frappés de quelque idée que nous voulons représenter, et que les termes ordinaires nous paraissent trop faibles pour exprimer ce que nous voulons dire, nous servons de mots qui, à les prendre à la lettre, vont au-delà de la vérité, et représentent le plus ou le moins, pour faire entendre quelques excès en grand ou en petit. Ceux qui nous entendent, rabattent de notre expression ce qu’il en faut rabattre […]. 148

Dans cette optique, nous admettons que le mouvement démesuré qui résulte de l’hyperbole sert à accroître l’intensité d’une formule, métaphorique ou non. Or la puissance poétique aragonienne, l’énergie qui anime les mots de ses poèmes ne peuvent accomplir leur réalisation linguistique et rhétorique que par le biais de la métaphore hyperbolique et dans l’oxymore.

Nous commencerons d’abord cette étude par un exemple où le mot même d’ «hyperbole » s’inscrit dans le cadre énonciatif :

‘Bras en sang Gai comme les sainfoins’ ‘L’hyperbole retombe […]. ’ ‘(« Acrobate », Feu de joie, p.33)’

Ce poème répond à un goût pour le décousu et l’inconséquence, dans la mesure où il est constitué par plusieurs séquences ou montages qui perturbent, à côté du sens, la syntaxe, comme si le poète, en procédant par des jeux de mots, s’identifie à l’« acrobate » exécutant des figures aériennes. De ce point de vue, nous remarquons des bribes de discours sans rapport évident les reliant, tel que « Bras en sang » qui témoignent de l’atrocité de le guerre, par opposition à l’adjectif « Gai », alors que la comparaison, « comme les sainfoins », n’explique point l’emploi de cette qualification qui suppose un comparant animé humain, et non pas une plante herbacée cultivée comme fourrage. D’un autre côté, si nous avons mal interprété le terme « hyperbole », suite à une première lecture, supposant qu’il désigne la figure du discours, nous nous sommes aussitôt aperçue que la poésie aragonienne prête parfois à la confusion, et qu’Aragon représente, en la personnifiant, la courbe géométrique. Et si nous avons maintenu l’idée que ces vers renferment un certain sens de l’exagération, c’est que nous avons établi un lien d’identification entre « les bras en sang » et « l’hyperbole » qui « retombe », constituant, selon nous, une image métaphorique par référence à l’« acrobate », qui, suite à une chute fatale, met à la féerie du spectacle.

En outre, un poème peut progresser vers une identification figurale extrême, seule capable de transcrire cette tension de la représentation poétique, comme dans cet extrait :

‘Ses deux jambes sont des ciseaux’ ‘Le vent s’y coupe. ’ ‘(« Chanson du président de la république », Le Mouvement perpétuel, p.84)’

Au moyen d’une métaphore avec « être », associée à une hyperbole, le poète représente une femme dangereuse par l’une des parties de son corps, « les jambes ». Ces dernières sont assimilées aux « ciseaux », en raison des lames tranchantes de cet outil, supposées blesser et couper même « le vent ». A ce niveau, nous estimons qu’Aragon procède par exagération, dans le but de dresser un portrait excessif de l’être féminin, en signalant le danger que court un amant potentiel, attiré par la beauté trompeuse d’une femme castratrice.

La tension hyperbolique ramenée au seul fait de l’exagération nécessite d’être associée à cette intensité de la perception et de la sensation spécifique à l’esthétique aragonienne, d’autant plus que les disparités courantes entre la terminologie poétique et la représentation à laquelle elle peut être associée (quand le figuratif s’offre comme tel) ne peuvent qu’être reliées par l’auteur.

D’un autre côté, la résolution d’accentuer le plus possible la perception installe le choix de l’hyperbole comme son adéquation rhétorique la plus parfaite, dans la mesure où la formule exagérée exige une alliance avec l’autre figure de la tension, la métaphore. Dans cette perspective, nous allons différencier certains types de l’hyperbole : en premier lieu, les figures construites sur un seul terme, qui peut être, comme dans cet exemple, un adjectif numéral :

‘Le monde à bas je le bâtis plus beau’ ‘Sept soleils de couleur griffent la campagne. ’ ‘(« Secousse », Feu de joie, p.38)’

Dans le but de transformer le monde réel, perçu ordinairement par le reste des hommes, le poète recourt à une force surnaturelle, celle de « sept soleils » dont le nombre hyperbolique symbolise l’action fondamentale et générale, que nécessite un changement radical de la réalité vécue.

Il est de même dans ces vers :

‘Sur la tombe Mille regrets’ ‘où dort dans un tuf mercenaire’ ‘Mon sade Orphée Apollinaire. ’ ‘(« Un air embaumé », Le Mouvement perpétuel, p.67)’

L’effet hyperbolique est mis en lumière grâce à l’adjectif numéral, « mille », qui dit l’énormité du sentiment du regret, ressenti par le poète face à la perte du précurseur du mouvement surréaliste, et plus généralement de la poésie moderne, « Apollinaire » qu’il identifie à la figure mythique d’Orphée. Aussi, l’emploi de l’expression « un tuf mercenaire », constituant la métaphore se révèle exagéré, puisque nous avons accordé à une roche, élément inanimé, un adjectif nécessitant un sujet humain, « mercenaire ».

Cependant, d’autres métaphores hyperboliques sont enchâssées dans une structure interrogative ou exclamative qui permet une mise en relief de l’image et du dépassement :

‘Ma tête, écarquille les yeux. Ne sont-ce pas des images brouillées d’un reflet de moi-même ? Entends-tu le sabir que la brise draguant les blés humains t’apporte ? Ce sont des mots déments, qui parlent du bonheur.’ ‘(« Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont », Le Paysan de Paris, p.228)’

A l’image du héros de Lautréamont, le poète s’imagine décapité et se perd dans une rêverie surnaturelle où tout s’entremêle. De cette manière, il ne peut s’empêcher de se poser plusieurs interrogations, afin d’éclaircir cette vision qui l’entraîne vers des landes inexplorées. Il dote ainsi les éléments naturels d’une existence vivante, tels que la brise « draguant les blés humains », les « mots » qualifiés par un adjectif humain « déments », et assurant un verbe propre aux humains, « parler ».

Il existe aussi d’autres procédés qui occasionnent l’hyperbole, à savoir l’accumulation des superlatifs ou une comparaison qui devance parfois la réalité qu’elle est supposée décrire. Nous proposons d’analyser cet extrait du poème « Eclairage à perte de vue » :

‘mes ailes oublieront les bras et les travaux’ ‘Plus léger que l’argent de l’air où je me love’ ‘je file au ras des rêts et m’évade du rêve. ’ ‘(Feu de joie, p.40)’

Le poète use d’une comparaison à valeur superlative pour exprimer sa libération et son ascension, à tel point qu’il surpasse la légèreté de l’air.

La restriction peut aussi véhiculer la figure hyperbolique :

‘Montagnes, vous ne serez jamais que le lointain de cette femme […] de cette magicienne […] femme sans limite, dont je suis entièrement baigné. ’ ‘(« Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont », Le Paysan de Paris, p.208)’

La femme acquiert chez Aragon des proportions grandissantes, qui dépassent celles de la nature, dans le sens où il est question de la femme géante qui accapare tout son entourage.

De ce fait, nous pouvons dire que la métaphore peut être formulée, et par conséquent, intensifiée par des procédés figuraux variés qu’elle cherche à mettre en valeur, puisque le «rendement sémantique » acquis est amplement renforcé par cette connexion. À la limite de l’hyperbole, le procédé métaphorique aboutit à un procès de transmutation où nous percevons le gestus concrétisant qui semble prescrire plusieurs images.

La particularité de ces métaphores consiste donc dans la mise en relation de verbes et de sujets sémantiquement inappropriés, nous citons à titre d’exemple ces vers :

‘Quel froid le vent me perce à l’endroit des feuilles’ ‘des oreilles mortes. ’ ‘(« Personne pâle », Feu de joie, p.49)’

Le poète exagère l’effet du froid sur sa personne, en employant un verbe à sens fort, « percer », dans le but d’assimiler implicitement le vent à une épée ou à une dague blessant ces oreilles substituées à leur tour par des « feuilles mortes ».

Il est aussi manifeste que l’hyperbole se montre comme une propriété des textes apologiques où la frénésie du ton engendre une production excessive de métaphores, au point que la dimension intellectuelle de la métaphore apparaît, en raison de la relation évidente qu’elle entretient avec l’abstraction, que nous remarquons dans les périphrases qui reposent sur elle, et qui définissent de façon détournée et énigmatique des réalités parfois simples et même triviales. Le goût de l’exagération périphrastique, de l’éclatement multiple établi par un procès synecdochique se développant en métaphore, ainsi que l’amplification hyperbolique sont autant de manifestations de l’interprétation de la poésie aragonienne. Un autre type figural complètera cette richesse du dispositif rhétorique, l’oxymore, forme mettant en relief les dualités du poète.

Notes
145.

P. BACRY, Les figures de style, Paris, Belin 1992, p.223.

146.

Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation, Tome Second, Paris, PUF 1958, p.390.

147.

Idem.

148.

DUMARSAIS, Des tropes ou des différents sens, Flammarion 1988, p.131.