Conclusion

Si le projet poétique du surréalisme s’est inscrit dans la relation du langage à la réalité, et si l’image, en tant que mode de signifier, et, par conséquent, en tant que réalité du langage, nous avons vu qu’il est judicieux d’étudier la métaphore, en mettant l’accent sur sa dimension syntaxique. Ainsi, nous pouvons dire que, par l’étude syntaxique de la métaphore, nous avons démontré le rôle considérable que joue la syntaxe dans la construction et le fonctionnement du processus, d’autant plus qu’Aragon accorde autant d’intérêt à la structure formelle de ses figures aussi bien qu’à leur signification lexicale (et donc sémantique), contrairement aux surréalistes qui se préoccupent davantage de la forme aux dépens du sens. Il a conservé, dans cette perspective, une syntaxe « normale », même si elle donne lieu à plusieurs incohérences sémantiques, causées suite à des associations inédites des termes employés. De ce point de vue, nous pouvons confirmer qu’Aragon conserve une construction linguistique rigoureuse et met en place une poétique consciente et maîtrisée, qui s’oppose à la gratuité du message automatique.

En effet, par le recours à des structures syntaxiques conformes à la norme et à l’attente du lecteur, pour réaliser ses figures métaphoriques, Aragon adhère aux préceptes du mouvement surréaliste, qui respecte la syntaxe, même lors de la production de textes automatiques, censés réaliser des messages arbitraires. Nous avons aussi remarqué qu’Aragon établit à la fois des rapports logiques et d’autres spontanés entre les éléments, tout en gardant caché un fil conducteur et unificateur de ces différentes métaphores. Il lui arrive aussi de modifier le langage au moyen de l’image poétique, en inventant une réalité nouvelle et jusqu’alors inimaginable, grâce à une association de mots et de sèmes en principe incompatibles dans le but d’abolir les catégories logiques et imposer une recatégorisation et une redistribution où se manifeste une vision personnelle et imaginaire.

Par ailleurs, cette analyse nous a permis de dégager les formes de la métaphore qui se révèlent spécifiques du discours poétique aragonien, celles que l’auteur préfère ou estime comme les plus aptes à faire valoir ses analogies. De plus, quoiqu’elles adoptent toutes les variations des tournures traditionnelles, les figures métaphoriques présentent le plus souvent une part d’originalité, établie grâce à des combinaisons inédites. Néanmoins, parmi les structures, nous avons relevé dans les œuvres du corpus un nombre considérable de métaphores avec « être », alors que les surréalistes trouvent que ce type de figures est facilement explicable, vu que le verbe « être » est amplement explicite. De ce fait, ils optent jouer sur le choc de deux réalités contraires.

Nous avons noté également que les métaphores analysées reposent en particulier sur une tendance prononcée qu’avait Aragon à rapprocher des objets concrets et celle à traduire l’abstrait par le concret.

En outre, les métaphores aragoniennes soulignent un emploi particulier de la syntaxe, dans la mesure où elles sont parfois fondées sur des rapports syntaxiques complexes, mises en place grâce à un emboîtement des liens entre les différents termes, ce qui engendre une imprécision au niveau de ces rapports, à tel point que les valeurs contextuelles surpassent la précision logique de l’expression, et que la structure métaphorique surréaliste échappe à peu prés à la syntaxe. D’un autre côté, malgré la relative clarté des figures qu’Aragon invente, nous avons remarqué que certaines restent pourtant « indéchiffrables », dans la mesure où il paraît problématique de désigner le terme métaphorique, mais aussi lorsque nous relevons l’emploi d’un terme unique qui surgit soudainement et fait basculer le sens vers le figuré.

En second lieu, nous avons vérifié que, pour éclaircir davantage le fonctionnement du procédé métaphorique, et surtout pour entrevoir l’imagination créatrice de l’auteur, il est essentiel de distinguer l’ensemble des relations que la métaphore entretient avec les différentes figures, appartenant au même cadre textuel, puisque celles-ci la mettent en évidence et contribuent particulièrement à déchiffrer le message qu’elle véhicule. De plus, l’ensemble des figures employées dans une œuvre représentent les différents aspects d’un même procédé, qui n’est autre que l’image, et la présence d’un même thème sous l’une ou l’autre forme peut être le signe d’une constante obsessionnelle ou d’une tendance stylistique caractérisant l’œuvre étudiée.

Les métaphores d’Aragon s’assemblent effectivement avec d’autres figures, qui contribuent à les éclaircir, et principalement à enrichir les œuvres aragoniennes par un jeu compliqué d’analogies et de correspondances.

D’ailleurs, en alternant toutes ces figures, Aragon tente de réaliser une figure générale, qui les rassemble toutes et qui soit propre à son œuvre, une métaphore « hybride », qui renferme plusieurs types de relations figurées, dont le rôle principal consiste à étaler le fonctionnement du mécanisme métaphorique dans le texte. Dans cette optique, nous sommes passée d’une conception restrictive de la métaphore, prise en considération comme un phénomène isolé, placé en dehors de l’énoncé textuel, à une conception plus large, où cette figure s’avère être un phénomène plus complexe, et surtout contextuel, grâce à ce rapprochement des différentes figures, ainsi que les effets stylistiques et sémantiques qui peuvent en résulter. Par ailleurs, l’ensemble de ces procédés nous ont aidée à découvrir l’univers propre au poète, dans la mesure où nous sommes parvenue à retracer approximativement le système figuré qu’il met en place, de même que les différentes idées principales qu’il crée et développe par le biais de cet enchevêtrement du paysage figural.

En d’autres termes, la métaphore d’Aragon trouve souvent son prolongement dans une comparaison, une métonymie, une synecdoque, une périphrase ou autre, à tel point que les deux figures combinées peuvent être considérées comme des manières particulières de faire voir ou de faire ressentir ce que le poète lui-même observe ou éprouve, mais aussi comme un moyen pour traduire la présence d’une réalité personnelle s’opposant à la réalité objective. En conséquence, la figure métaphorique peut être une figure générale et globalisante, en ce sens qu’elle se déploie, dans la plupart des cas, dans l’ensemble d’un texte, par le biais d’une corrélation figurale enrichissante qui va d’un élément général vers la mise en lumière du détail.

En somme, la métaphore chez Aragon se définit clairement par le biais des rapports qu’elle entretient avec les autres figures (spécialement la comparaison) qui parfois la rendent plus claire ou plus énigmatique, qui la valorisent ou la dévalorisent, dans la mesure où elles contribuent à expliciter son fonctionnement. Dans chaque poème, Aragon réinvente de nouveaux rapports métaphoriques, de nouvelles correspondances entre signifiés ou entre signifiants, dans le but de transformer le monde des réalités, en ayant recours au langage métamorphosé par son imagination créative.