Les limites du contexte 

Toutefois, aussi importante qu’elle soit, cette action réciproque, entre les deux entités, pose problème, car, pour M. Mahmoudian, « […] le mot, même hors contexte, a du sens ». Mais, nous avons vu que c’est toujours un sens qui n’acquiert sa consistance que lorsqu’il est situé dans un cadre déterminé. Par ailleurs, « le sens du mot subit certes l’influence de celui du contexte, mais il influence aussi la réalisation sémantique des unités avoisinantes (qu’est le contexte) ». Cependant, on ne parvient jamais à donner réponse quant au point de départ de cette interférence, c’est à dire « quand le mot est-il cible de cette action et quand source ? » 190 .

Par ailleurs, il est possible que la notion du contexte soit imprécise, dans la mesure où elle exerce et subit à la fois une influence vis à vis d’une unité (ici la figure). En outre, le recours au contexte peut ne pas répondre aux fonctions d’explicitation qui lui sont rattachées, et la séquence figurée reste ainsi énigmatique, parce qu’on ne devine pas sa signification. Il s’agit, en effet, d’un problème que M. Mahmoudian a soulevé en ces termes :

‘Il est évident que dans bien des cas, le contexte _ contribue à déterminer le trait qui se réalise dans une séquence. Il n’en subsiste pas moins des cas où les indications contextuelles ne suffisent pas ; il y a alors ambiguïté, c’est-à-dire une indétermination quant au trait de sens qui se réalise. 191

De ce point de vue, nous prendrons en considération cet extrait du poème « Angélus » :

‘Regardez dans leurs doigts les putains qu’ils manient’ ‘Leurs yeux comme des loteries’ ‘Leurs yeux immenses où saute à la corde ’ ‘Un cygne noir devenu fou.’ ‘(« Angélus », La Grande Gaité, pp.235-236)’

Le rapport métaphorique est établi entre une relative et son antécédent, en ce sens que l’action relatée dans la proposition ne peut avoir lieu dans l’endroit mentionné, « leurs yeux immenses ». De plus, le sujet, « un cygne noir », apparaît incompatible aussi bien avec le verbe qu’on lui a attribué, « sauter à la corde », qu’avec la qualité, « fou », acquise suite à une transformation inexpliquée. L’image demeure obscure, et même en faisant référence au contexte immédiat ou à la totalité du poème, nous n’avons pas réussi à proposer une interprétation valable.

De son côté, P. Ricœur atteste que l’interaction entre le contexte et le foyer métaphorique forme le centre du processus métaphorique, étant donné que la figure est capable de briser les catégorisations figées dont l’homme se sert pour articuler le monde. Elle fournit un moyen pour ‘’rediviser’’ la réalité, d’autant plus que « le pouvoir de la métaphore serait de briser une catégorisation antérieure, afin d’établir de nouvelles frontières logiques sur les ruines précédentes » 192 . Il est ainsi dans cet extrait du poème automatique « Au café du Commerce » où les éléments se croisent et se confondent :

‘[…] Les abîmes poussent toujours entre les glaciers Ce sont des sortes d’edelweiss Un autre edelweiss c’est le baiser dans l’oreille.’ ‘(Ecritures Automatiques, p.147)’

En accordant métaphoriquement le verbe « pousser » aux « abîmes », ceux-ci se transforment en plantes, et plus précisément en « sortes d’edelweiss », grâce à une figure métaphorique avec « être », dans le sens où les précipices et les étoiles des neiges ne se trouvent que dans les hauteurs polaires. En outre, par une forme d’emboitement, le phore de la première figure, « edelweiss », devient à son tour le thème de la suivante, identifié par une figure avec « être » à « un baiser dans l’oreille », car innocent et doux tel que le suggère la couleur blanche et le duvet laineux de la fleur des glaciers. Dans cette optique, nous pouvons affirmer que la métaphore participe à cette réinvention de l’univers qu’Aragon se charge d’accomplir.

Notes
190.

M. MAHMOUDIAN, Le contexte en sémantique, Paris, Peeters 1997, p.4.

191.

Ibidem., p.9.

192.

P. RICOEUR, La métaphore vive, Paris, Seuil 1975, p.251.