L’automatisme et les genres littéraires

La parole automatisée joue un rôle considérable, puisqu’elle est censée annuler la séparation des genres. Toutefois, les surréalistes ne sont pas parvenus à accéder à « une parole ‘’hors genre’’, versant verbal de la pensée pure », mais uniquement à « un brassage éclectique des genres » 289 . En effet, l’automatisme a permis un entremêlement et une coexistence des genres littéraires, plutôt qu’une suppression complète des frontières les dissociant. Dans une seule œuvre, nous pouvons alors rencontrer des formes différentes, aussi bien le récit autobiographique, le poème, le roman d’aventures que le dialogue et le conte merveilleux, tel que dans Le Paysan de Paris, sans oublier de signaler que chacun des genres employés correspond suffisamment aux conventions littéraires. Néanmoins, un tel enchevêtrement des formes agit de plusieurs façons dans un texte automatique. En premier lieu, il rend indécis le relevé et l’identification des figures, en second lieu, il fait en sorte que certains effets et même le statut du discours deviennent confus et équivoques, en vue de l’absence d’un cadre général et unique qui sert de référence, et en troisième lieu, il permet à la poésie écrite automatiquement de jeter un regard neuf sur les formes littéraires et donc de les réinventer.

En effet, « l’intergénéricité » ou la fusion des genres, comme le dit Laurent Jenny, provoque à la fois « leur contestation mutuelle », ainsi que « leur apparition obligée dans tous les contextes » 290 . En conséquence, par leur combinaison, les genres se mettent en valeur mutuellement, tout en transformant l’espace textuel en un produit composite.

Entre 1919 et 1920, Aragon a écrit un certain nombre de petites proses à placer sous l’enseigne de l’automatisme, mais qu’il n’a réuni qu’en 1970, sous le titre d’« Ecritures automatiques », et nous signalons, à ce niveau, l’importance significative d’un tel décalage entre le moment de la rédaction et celui de la publication, d’autant plus qu’Aragon n’a pas pratiqué pour un long temps l’écriture automatique. Cependant, il est inconcevable de dire que cet écrivain n’a pas accordé un certain intérêt à l’automatisme, aussi bien durant la période surréaliste que dans son œuvre ultérieure. Dans cette optique, nous annonçons qu’il estime que l’expérience automatique puise sa valeur de ce qu’elle dévoile, à savoir une étrangeté incontestable, vu qu’elle découle d’une démarcation qui s’établit entre l’écriture et la conscience subjective, ce qui « détermine une relation d’inconnu où se pose le problème de la reconnaissance symbolique d’un texte par son auteur » 291 , comme le confirme Nathalie Limat-Letellier. En d’autres termes, un sujet, se suffisant à noter la dictée de son esprit libéré du contrôle de la raison, risque de ne pas admettre qu’il est le concepteur de ce qu’il a noté sur la surface de la page, puisqu’au-delà des apparences, « dans le surréalisme tout est rigueur. Rigueur inévitable. Le sens se forme en dehors de vous » 292 , au point que l’écriture automatique devient un nouveau moyen d’expression.

Toutefois, cette formule inédite de communication doit échapper obligatoirement à toute forme stéréotypée, dans le but d’éviter d’être figée dans un poncif académique anéantissant l’inspiration libre et originale, d’où cette diatribe dévastatrice, qui n’est que Traité du style, dans lequel Aragon invite avec insistance à ce que l’écriture automatique soit constituée grâce à un certain nombre de critères strictement techniques, sans verser pour autant dans un académisme stérile.

Notes
289.

Ibidem., p.30.

290.

Ibidem., p.30.

291.

N. LIMAT-LETELLIER, « Les  « Ecritures Automatiques » d’Aragon », Une pelle de sable au vent dans les sables du rêve, Lyon, Presses universitaires de Lyon 1992, pp.34.

292.

L. ARAGON, Traité du style, Paris, Gallimard 1928, p.190.