L’écriture automatique et la métaphore chez Aragon

Pour discerner l’originalité de la métaphore aragonienne, nous chercherons à établir un lien entre la figure et l’écriture automatique, spécifique au surréalisme, essentiellement parce que plusieurs nient le fait qu’Aragon a eu recours à cette pratique, en s’appuyant sur le fait qu’il écrit, naturellement, à une grande vitesse égalable à celle qui constitue l’un des fondements de ce mode d’écriture. De plus, on avance souvent que les écritures aragoniennes qui peuvent être qualifiées par l’adjectif « automatiques » surviennent particulièrement à la suite « d’une participation occasionnelle à l’activité proprement ‘’surréaliste’’ du groupe » 304 . Quant aux « Ecritures automatiques », elles ont été pour longtemps écartées de l’œuvre aragonienne, par leur auteur, mécontent à cause du manque d’originalité de sa propre production, et qu’il considérait comme faite de textes sans importance, ne méritant pas d’être publiés, jusqu’en 1970, où, à la suite de la mort de Breton, il visait à se dévoiler plus surréaliste qu’il ne l’avait jamais été.

Toutefois, d’autres confirment le contraire, tel que Michel Murat, dans son article intitulé « Jeux de l’automatisme » et sur lequel nous appuierons notre analyse. Ainsi, en établissant une comparaison avec Breton qui « maintient une part considérable de romantisme dans ses écritures », cet auteur place Aragon du côté de l’automatisme, grâce à « sa pratique d’écriture, sa pensée de la simulation et de la productivité de l’arbitraire » 305 .

Dans cette optique, grâce à l’étude des « Ecritures automatiques », pourtant corpus réduit, nous tenterons de repérer, en l’écartant des pastiches et des poncifs, un style propre à Aragon, mais en même temps approprié à la dictée surréaliste.

Définie par Ph. Soupault comme « l’illusion d’une verve extraordinaire, beaucoup d’émotion, un choix considérable d’images d’une qualité telle que nous n’eussions pas été capables d’en préparer une seule de longue main », l’écriture automatique semble à l’origine de la multitude des figures recensées dans les diverses œuvres appartenant au mouvement, et c’est ce qui justifie davantage ce rapport que nous essayerons d’installer entre les deux éléments. Par ailleurs, Soupault explique le « très haut degré d’absurdité immédiate », caractérisant les images surréalistes, par le biais de ce style d’écriture, quoique, « à un examen plus approfondi », on assiste à une « divulgation d’un certain nombre de propriétés et de faits non moins objectifs » 306 spécifiant ces images.

Par ailleurs, si nous reconstituons la provenance de l’adjectif « automatique », accolé à l’écriture surréaliste, nous serons tout de suite amené à se référer à la définition du surréalisme par Breton. Il s’agit alors d’un « automatisme psychique pur » ou plus exactement d’une « dictée de la pensée » 307 , que Michel Murat assimile principalement à « une suppression des contraintes intrinsèques, esthétiques, rationnelles et morales […] censée suffire à susciter l’apparition d’une ‘’expression pure’’ impersonnelle, « faite par tous » 308 , et donc, d’une dictée qui sera concrétisée, grâce à plusieurs pratiques, qui donnent naissance à certains produits, parmi lesquels le texte écrit. Autrement dit, cet auteur récapitule cette théorie en trois termes : « un pour le principe, ‘’automatisme psychique (pur)’’ ; un pour la pratique, ‘’écriture automatique’’ ; un pour le produit, ‘’texte surréaliste’’ » 309  . Ce dernier met en lumière, toujours selon le témoignage de Murat, « une rhétorique qui ne dit pas son nom », mais qui « se reconstitue bien entendu autour de l’image, paradoxale figure-non figure », permettant à « l’activité surréaliste » 310 de se manifester dans sa globalité. En conséquence, dans ces textes publiés tardivement, « l’automatisme libère un discours qui parle de lui-même et désigne ses sources. Il métaphorise volontiers la pureté du courant, la course folle de l’écriture et se constitue à l’infini comme mise en scène de son propre élan» 311 .

Notes
304.
L. FOLLET, « Manuscrits d’Aragon chez André Breton », Manuscrits surréalistes, Etudes réunies et présentées par D. BEATRICE D. et J. NEEFS, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes 1995, p.112.
305.

M. MURAT, « Jeux de l’automatisme », Une pelle au vent dans les sables du rêve, Lyon, Presses universitaires de Lyon 1992, p.14.

306.

A. BRETON et Ph. SOUPAULT, Les Champs magnétiques, Paris, Gallimard 1971, pp.42-43-44.

307.

A. BRETON, Manifestes du surréalisme, Paris, Pauvert 1962, p.40.

308.

M. MURAT, Ibidem., p.5.

309.

Ibidem., p.7.

310.

Ibidem., p.6.

311.

M.-P. BERRANGER, Le Surréalisme, Paris, Hachette 1997, p.145.