La répétition

Il est également question d’une autre pratique de l’automatisme, qui donne une dimension distincte à la répétition, en ce sens que les surréalistes tentent, grâce à l’écriture automatique, d’accomplir « tous les possibles de la parole », ce qui aura pour conséquence une « indifférenciation du même et de l’autre » 321 . En d’autres termes, reprendre ce qui existe déjà tout en le modifiant, à tel point qu’il devient difficile de distinguer l’original du modifié, permet de réaliser une part de créativité, comme il est manifeste dans cet exemple où Aragon a employé la répétition dans deux conceptions différentes :

Mais qu’on me passe cet orgueil de ciment cet orgueil de stuc mes bras n’ont-ils pas étreint des poussières de lumière et des poissons de clarté Aquarium des chansons et des courses monde plus fuyant que le mercure.

(« Les étoiles à mille branches », Ecritures Automatiques, p.151)

Dans un premier temps, le poète emploie un mot, « orgueil », à deux reprises, particulièrement pour parvenir à développer l’image qu’il propose. Nous passons alors d’une métaphore déterminative à une autre, dans lesquelles une entité abstraite (orgueil) se trouve associée et, par la suite, assimilée à deux substances concrètes, appartenant à un même champ lexical, celui de la construction, « ciment » et « stuc », en ce sens qu’elles sont caractérisées par la dureté et la consistance, comme la fierté que souhaiterait se procurer ce « je », indigné par l’insignifiance du monde qui l’entoure. Cet aspect médiocre sera développé au moyen d’un ensemble de métaphores où nous avons cru percevoir le recours à cette autre sorte de répétition particulière, qui consiste à reprendre en modifiant, dans le sens où Aragon récupère l’image du vide, mais en la rénovant sous la forme d’une métaphore déterminative, où l’abstrait et le concret s’accouplent, « poussières de lumière ». Par ailleurs, cette figure se trouve aussi rénovée par le fait qu’elle soit coordonnée à une autre métaphore déterminative originale, dans le but de mettre en valeur une nouvelle création inventée exclusivement par l’auteur, « des poissons de clarté »,qui lui sert à souligner davantage le caractère lumineux du monde, et par conséquent, son instantanéité, d’autant plus qu’il est voué à la disparition. De surcroît, Aragon reprend une comparaison souvent employée dans les écrits littéraires, celle qui rapproche le « monde fuyant » au « mercure » pour dire leur écoulement incessant et rapide. Toutefois, les deux métaphores déterminatives qui précèdent la figure comparative contribuent à ce qu’elle soit originale, en ce sens que la notion de vitesse et de rapidité est indiquée par l’ensemble des « chansons » et des « courses », dans la mesure où elles sont toujours de courte durée et ne sont que momentanées, à l’image de l’univers des hommes. Ce dernier est assimilé à un « aquarium » pour signifier son étroitesse, mais encore sa transparence trompeuse. De ce fait, Aragon répète ce qui existe déjà mais en l’enrichissant.

Néanmoins, L. Jenny conteste cette technique, car, pour lui, « dès que l’automatisme est décrété, la notion même d’originalité devient caduque », parce qu’en l’absence de « toute subjectivité et de toute historicité », on ne peut s’opposer à une perpétuelle répétition d’une parole par elle-même ou par celle d’une autre. Dans cette optique, la parole automatique se transforme, pour se situer en dehors du temps. « Intemporelle », la parole place l’écriture automatique dans une zone intermédiaire entre la nouveauté et la banalité, et donc la prive de toute marque d’originalité, sous la forme d’une absence sur laquelle insiste l’auteur de l’article intitulé « l’automatisme comme mythe rhétorique », en déclarant qu’ « assigner à l’écriture automatique un devoir d’originalité, c’est manifestement méconnaître la logique de son invention » 322 .

Notes
321.

L. JENNY, « L’automatisme comme mythe rhétorique », Une pelle au vent dans les sables du rêve, Lyon, Presses universitaires de Lyon 1992, p.31.

322.

Ibidem., p.31.