Le rapport à la vitesse

L’écriture automatique se trouve étroitement liée aux effets de la vitesse, étant donné que le scripteur note son texte en suivant un certain rythme accéléré, qui empêche toute intervention d’une logique de censure, tel qu’il est signalé dans « une leçon de danse », où l’incipit et l’explicit sont opposés en fonction du mouvement qui y est exposé et qui va en se précipitant du début à la fin de ce texte. Nous constatons un passage remarquable d’un mouvement caractérisé par la lenteur, mise en place grâce à l’adverbe « lentement », à une cadence plus rapide selon le groupe de mots employés « course du martyr » :

La maîtrise de soi-même est une martre qui suit lentement les cours d’eau. (p.148)

Je ne sais quel compromis arrêtera la course du martyr à deux doigts de la mort. (p.149)

Les deux rythmes sont exposés grâce à deux métaphores de types différents : la première est avec « être », qui sert à signifier le temps considérable que nécessite l’exploration de « soi-même », de son intérieur, alors que la seconde, déterminative, expose la précipitation qui voue l’être humain à la disparition, à la mort, par référence au « martyr ».

Pour dire également l’impact primordial de l’élément vitesse dans l’écriture automatique, l’auteur use d’un nombre important d’images se référant au cinéma ou à « l’imaginaire cinétique » 327 , tel que l’a proposé N. Limat:

La terrible aventure se poursuit à une vitesse folle et quand le film permet de voir les visages des acteurs on n’a plus envie de regarder tant leur expression est intime.

(« L’épingle stérilisée », p.146)

Dans cet exemple, l’auteur transforme la situation d’écriture grâce à la métaphore du film. Il la métamorphose en une « terrible aventure », parce qu’elle est énormément rapide, insaisissable en raison de la vitesse incontrôlable avec laquelle procèdent les surréalistes pour rédiger leurs énoncés automatiques. Elle est aussi « terrible », parce qu’elle dissimule la réalité des choses et des âmes.

En outre, si Aragon a reçu avec conviction ce principe de vitesse dans l’écriture, c’est qu’il a déjà rapproché, même avant la découverte de l’écriture automatique, « l’action-réflexe » à « la mythologie du moderne », dans la mesure où l’écriture caractérisée par la précipitation ne peut que correspondre à la frénésie du désir que le poète tente d’afficher. Ainsi, les deux notions se consolident pour créer un double effet d’empressement.

Il se peut également que le texte automatique accomplisse une fonction « métatextuelle » 328 , au moment où ce même produit se décrit et s’analyse en tant que tel, comme dans « une leçon de danse » (p.149), où« les mots prendront une inflexion troublante pour les assistants stupides », d’autant plus que ces derniers représentent les lecteurs non habitués à ce genre inédit d’écriture. Ou encore dans l’expression « la saison dite d’été qui s’ouvre avec des divertissements nouveaux et se ferme avec des étoffes claires », en ce sens que le mot « saison » permet une double lecture, puisqu’il indique outre la période estivale, les modes de l’avant-garde littéraire chez Aragon.

Il existe aussi d’autres procédures employées par Aragon pour créer une impression de rapidité qui spécifie un texte automatique. Il s’agit principalement des visions cosmiques, mises en place par une accumulation de propositions indépendantes, de certains raccourcis (étoffe délire), des symboles aragoniens de l’automatisme, ainsi que des images de mouvements véhéments qu’intensifie une suite d’hyperboles. Le tout est formulé sur un ton propre aux prophéties apocalyptiques.

Dans cette optique, les « effets d’automatisme » 329 , que nous venons d’exposer, caractérisent aussi bien la totalité de la poésie surréaliste que les écritures automatiques, quoiqu’ils semblent plus concentrés et plus fréquents dans la seconde catégorie. Quant aux «Ecritures automatiques » d’Aragon, elles contribuent à montrer que le poète se conforme aux valeurs du mouvement auquel il appartient. Toutefois, il considère l’ensemble des techniques, des inventions et des révoltes surréalistes avec un regard subjectif qui lui est propre, dans le but de les appliquer en les modifiant. En d’autres termes, nous confirmons qu’Aragon suit mais en évoluant, et surtout en dévoilant, grâce à ces « Ecritures », des traits spécifiques de sa personnalité qui se manifestent par l’acte d’écrire.

Notes
327.

Ibidem., p.46.

328.

Ibidem., p.44.

329.

Ibidem., p.36.