Reprenant la distinction qu’établit l’ancienne rhétorique entre les trois principaux genres, nous remarquons que le mode lyrique est celui qui a été le mieux adopté dans la poésie, qui en étant promue « comme ‘’genre’’ unique assure [à son tour] le triomphe du lyrique, marginalisé depuis Aristote» 343 , même au sein des mouvements avant-gardistes. En effet, « la tripartition de l’apique, du lyrique et du dramatique se réduit ainsi à une bipartition – fiction / lyrisme – fondée sur le narratif ». Par ailleurs, « à l’ancienne opposition de la poésie et de la prose, ainsi qu’à celle de l’épique, du lyrique et du dramatique, se substitue ainsi celle du narratif (enveloppant le dramatique) et du lyrique » 344 . Ce dernier, voué à traduire la gamme entière des sentiments humains est défini au sens moderne, comme « l’expression personnelle d’une émotion exprimée par des voies rythmées et musicales » 345 , d’autant plus qu’il tend à figurer l’essence même de la poésie. Néanmoins, la poésie lyrique n’est pas à confondre avec le lyrisme perçu comme l’expression d’un sentiment personnel, mais elle est déterminée, d’abord, par l’émotion, qui est « sortie de soi ». Ainsi, ce constituant émotionnel ne fait pas basculer la poésie vers un pur « subjectivisme », étant donné qu’il la place en dehors de la distinction entre sujet et objet, et présume une « co-naissance » du monde, qui équivaut à la connaissance scientifique. D’un autre côté, l’émotion ne suppose pas un certain « irrationalisme », mais une autre logique qui n’est pas réalisée sur le principe d’identité.
Et comme nous nous apprêtons à examiner les deux recueils, quoique particuliers d’Aragon surréaliste, nous avons choisi de les cerner suivant la « dominante » lyrique, dans la mesure où le vers et le poème à forme fixe ou libre sont les moyens favoris du lyrisme, même au sein du surréalisme quis’exprime essentiellement par la poésie, aussi bien que par la peinture. Il est également possible de voir dans ce corpus une présentation, de la part du poète, de sa propre image, conformément à l’esthétique de Hegel, dans laquelle il définit le lyrisme comme effusion ou affranchissement de l’intériorité poétique du sujet individuel dans le sentiment.
Par conséquent, nous tenterons de discerner la notion de discours lyrique dans l’œuvre « poétique » d’Aragon, en ayant pour finalité de relever l’ensemble des critères nécessaires qui servent à accorder à ce corpus l’adjectif « lyrique ». En d’autres termes, nous nous demanderons en quoi Le Mouvement perpétuel et Feu de joie sont lyriques, sans oublier que la réponse à cette question doit être formulée en prenant en compte la figure de la métaphore. Par conséquent, il faut s’interroger sur le rôle de cette figure pour classer les textes aragoniens sous l’étiquette du lyrisme, puisque « le rapport au chant (ou au cri), ainsi que le contenu confidentiel, deux caractères dominants du texte lyrique, entraînent le recours à des structures rythmées, incantatoires, à des figures de l’exaltation et de la grandeur, à un lexique recherché et symbolique » 346 , et que la figure métaphorique contribue à mettre en place.
K. CANVAT, Enseigner la littérature par les genres, Belgique, De Boeck Duculot 1999, p.29.
D. COMBE, Poésie et récit : Une rhétorique des genres, Paris, J. Corti 1989, p.71.
Y. STALLONI, Les genres littéraires, Paris, Nathan 2000, p.89.
Ibidem., p.90.