Une remise en cause du roman chez les surréalistes 

Baptisé le « genre du mélange des genres », selon Bakhtine, le roman donne lieu à une confrontation et à une subversion des genres, pour relater, par la suite, aussi bien une multiplicité de discours que de visions du monde. Dans cette optique, il a, pour longtemps, constitué un sujet de débat, défendu et glorifié par certains, critiqué et rejeté par d’autres. Et s’il est vrai que le procès du roman a débuté avant l’offensive surréaliste, la sentence lancée contre ce genre par Breton était la plus vigoureuse, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un mouvement considérable de remise en cause et de renouvellement qui est à l’origine des transmutations que le champ littéraire a connu au XXe siècle. De surcroît, l’hostilité de Breton vis-à-vis du roman, fondée sur des arguments spécifiques, ceux de la « surréalité », trouve également justification dans le fait que ce genre soit inévitablement attaché au réalisme, et plus exactement parce qu’il est l’expression littéraire de celui-ci, en rapportant ce que le réel a de plus banal et de plus dénué de signification. Ainsi, « dans Le Manifeste de 1924, Breton, au nom de l’imagination et de « tout essor intellectuel et moral », instruit le procès du réalisme : cette attitude, ‘’de saint Thomas à Anatole France’’, est faite, dit-il, ‘’de médiocrité, de haine et de plate suffisance’’ ; inspirée du positivisme, elle réduit tout mystère à une explication élémentaire, fait échec à toute marche en avant, dans les sciences comme dans les arts ; ‘’la clarté confin[e] à la sottise’’» 420 . En outre, le roman « réaliste » ou « naturaliste » est réprouvé, parce qu’il repose sur un « style d’information pure », qui fait qu’il soit composé d’un ensemble d’observations et de réflexions de circonstances, dépourvues de sens et apparaissant dans l’espace textuel d’une manière hasardeuse, alors qu’elles ont pour mission de fournir le simulacre du réel et du vécu.

Toutefois, considéré comme un genre mineur, que Breton réduit à une parodie caricaturale du modèle naturaliste, le roman a été cependant épargné par ce même auteur, qui désigne dès lors le romanesque par le « merveilleux », animé par la « mode du temps » et qui exprime « la peur, l’attrait de l’insolite, les chances, le goût du luxe » 421 , en tant que stimulants permanents du désir humain. De plus, chez cet auteur, le mode de mimesis prime sur le processus d’invention fictionnelle jusqu’à le dissimuler. Par ailleurs, cette remise en cause du roman repose sur une nouvelle représentation, aussi bien du temps vécu que de l’identité du sujet, prise en compte sous la forme d’une disposition particulière, faite de moments discontinus. Il résulte donc que les constituants du roman, tels que les catégories thématiques générales et la composition par épisodes, vont être répartis par le surréalisme, pour faire partie intégrante de l’« historiette » automatique ou du poème fait, à son tour, d’un ensemble de romans virtuels, sans que la poésie ne permet au roman d’accéder au statut d’un genre.

Notes
420.

C. ABASTADO, Introduction au Surréalisme, Paris, Bordas 1971, p.90.

421.

A. BRETON, Œuvres Complètes I, Paris, Gallimard 1987, p.320.