Le roman chez Aragon

De son côté, Aragon prend en considération, « dans le manuscrit du ‘’Projet d’Histoire littéraire’’ (juillet 1922-août 1923), « le genre romanesque d’un tout autre point de vue que Breton, celui d’une écriture qui se soucie peu des catégories, parce que seul compte l’auteur, ‘’ce qu’il dit, non ce qu’il conte’’ ; il déclare ‘’infimes les distinctions qu’on fait entre les genres littéraires’’ et conclut : ‘’poésie, roman, philosophie, maximes, tout m’est également parole.’’ » 422 . Ainsi, si Aragon accorde, comme titre, à son ouvrage, « Anicet ou le Panorama, roman », c’était uniquement par goût pour la provocation, puisqu’il déclare que « Le mot roman intégré au titre par la consonance avec le mot panorama constitue un défi aux conceptions mêmes de mes plus proches amis de ce temps » 423 . Il lui arrive également d’attaquer ouvertement ce genre, comme dans Traité du style où, il rejette, dans sa globalité, toute la tradition française du roman :

‘Leurs romans, Manon Lescaut, Eugénie Grandet, Madame Bovary, La seconde jeunesse de Madame Prune, Bella, sont des niaises historiettes bourgeoises. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat dans toute cette bibliothèque. 424

Toutefois, pour Aragon, la notion de genre est annulée, dès qu’il rend similaires l’accès en poésie et l’accès en roman, d’autant plus que la position mentale du créateur est unique et particulièrement onirique, permettant l’entrecroisement des différents types de registres, mais également du fictif et du vrai, puisque l’illusoire aussi fantastique qu’il soit peut dévoiler une vérité qui échappe aux évidences vraisemblables et aux reconstitutions mimétiques. Aussitôt, une esthétique nouvelle du « roman » s’esquisse, où, pour l’essentiel, une œuvre romanesque doit nécessairement correspondre à une manifestation immédiate et conforme à la personnalité, de même qu’à l’existence de son créateur, saisie dans sa vérité, en l’absence de tout aspect en rapport avec la fiction. Subséquemment, la suppression de la délimitation entre roman et poésie, motivé par la libération des facultés de l’imaginaire et des éventualités de l’écriture, ainsi que par le rejet des clauses du réalisme, va être doublée par une association jusqu’à la confusion du roman et de la confession autobiographique, suite au refus des mystifications de la fiction. Ainsi, nous remarquons que le récit surréaliste acquiert des caractéristiques qui lui sont propres. En premier lieu, il se manifeste constamment, pour trouver légitimité, comme une représentation véridique de son auteur. En second lieu, il renferme l’ensemble des registres, des modes et des formes de l’écriture, en évitant d’être délimité par l’un de ces éléments.

Notes
422.

M.-P. BERRANGER, Le Surréalisme, Pais, Hachette 1997, p.112.

423.

L. ARAGON, Anicet ou le panorama, roman, « Avant-lire », Œuvres romanesques complètes T.I., Paris, Gallimard, 1997, p.6.

424.

L. ARAGON, Traité de style, Paris, Gallimard 1928, p.14.