Conclusion

Dans un premier temps, nous avons démontré le rôle primordial, ainsi que l’importance du contexte dans la mise en valeur et l’interprétation de la métaphore, dans la mesure où ces deux éléments s’éclaircissent mutuellement. En effet,le contexte permet de deviner les sèmes non dévoilés par la métaphore, d’autant plus que celle-ci ne paraît obscure et gratuite que lorsqu’elle est prise isolément, en tant qu’unité paradigmatique détachée du texte, dans lequel elle est intégrée. Ainsi, déterminée par ce qui précède et par ce qui suit, la métaphore n’agit que dans un environnement verbal aux limites variables et remplit une fonction locale qui ajoute à sa propre présence. D’ailleurs, grâce à des séquences qui lui sont syntaxiquement et sémantiquement rattachées, la figure métaphorique crée un code particulier et prend une signification différente, chaque fois que le contexte change.

Par ailleurs, métaphore et contexte entretiennent un rapport bilatéral et réciproque de mise en relief et de détermination, même s’il existe certaines métaphores d’Aragon qui échappent à toute tentative d’interprétation, malgré le recours au contexte.

Nous nous sommes intéressée à l’étendue du processus métaphorique, qui va de la figure concise, qui frappe davantage l’esprit du lecteur par leur brièveté même, à la métaphore filée, qui se caractérise par un alternance de l’acceptabilité et d’une transgression de la norme, tout en relevant des formes intermédiaires, à savoir les métaphores par collage, qui soulignent l’essor de l’imagination par la mise d’associations inattendues où le réel et l’irréel s’entrecroisent, et les métaphores en série, qui représentent une vision globale dans ses moindres détails. Par ce biais, nous avons passé en revue les différents rapports de la figure métaphorique avec le cadre contextuel dans lequel elle évolue. Des rapports qui changent en fonction de la dimension de la métaphore.

Nous avons également tenté de spécifier la métaphore filée chez Aragon, en ce sens qu’elle nous a semblé inscrite à un niveau intermédiaire entre la figure filée proprement dite et la figure filée surréaliste, car elle ne repose pas sur l’arbitraire et a pour finalité de rendre évidente l’analogie entre les différents termes. Ainsi, nous pouvons signaler qu’Aragon tente de réconcilier la signification structurale et formelle (donc syntaxique) et la signification lexicale (donc sémantique) des métaphores.

Par ailleurs, nous avons justifié qu’Aragon opte aussi bien pour la brièveté que par le foisonnement dans la création de ses images métaphoriques, mais en préférant enrichir ses textes par des figures soigneusement développées, qui illustrent la profusion caractérisant l’écriture automatique, d’où le recours constant aux expansions, dans le but d’élargir la figure et la vision qu’elle véhicule, et d’atténuer son ambiguïté. D’ailleurs, chez Aragon, la métaphore évolue d’une figure « simple » en une figure étendue, dans la mesure où nous avons relevé que l’auteur procède par une juxtaposition des figures et par un développement métaphorique en chaîne, de manière que l’image se transforme elle-même en poème.

Dans un second temps, nous avons vérifié la contribution de la métaphore dans l’élaboration d’un énoncé global, d’une œuvre entière, puisqu’elle permet de mettre en place et de développer les principales composantes du genre auquel cet énoncé appartient, qu’il soit lyrique ou narratif et même automatique, dans la mesure où le surréalisme rejette les genres littéraires et considère que tout « texte surréaliste » est nécessairement poétique, marqué par un emploi inédit de l’image. Cependant, classer les œuvres de notre corpus dans une catégorie unique globale, que Breton baptise « le Poétique », nous a semblé inadéquat pour l’analyse de la métaphore, d’autant plus que nous avons constaté qu’Aragon a conservé certaines caractéristiques relatives aux genres littéraires.

A ce propos, nous avons divisé les œuvres de notre corpus selon trois types de « dominante », en tenant compte d’un ensemble de traits spécifiques et éminents dans chaque discours. En conséquence, les « neufs textes » constituent une production automatique, les recueils de poèmes Le Mouvement Perpétuel et Feu de joie recèlent un certain nombre de spécificités du genre lyrique, et Le Paysan de Paris renferme plusieurs constituants du genre narratif.

Les « Ecritures » d’Aragon sont automatiques, parce que nous avons relevé une multitude d’images métaphoriques les constituant, d’autant plus que ces figures sont construites sur des associations parfois insolites et incompréhensibles, regroupant des éléments incompatibles, et face à lesquelles nous sommes restée perplexe, ne pouvant deviner, ni se décider sur la signification qu’elles pourraient véhiculer. Néanmoins, l’écriture automatique aragonienne nous a semblé particulière, dans la mesure où elle est à placer dans une zone intermédiaire entre l’automatisme surréaliste pur et un travail d’écriture réfléchi et raisonnablement structuré, qui produit des métaphores déchiffrables, qui représentent un imaginaire personnel et une prise de position audacieuse vis-à-vis des pratiques du groupe.

Le Mouvement Perpétuel et Feu de joie sont « lyriques », d’abord, parce qu’ils traitent et développent des thèmes propres à ce type de discours, particulièrement l’amour, la mort et la nature, au moyen de la métaphore. Ensuite, ils nous ont paru riches en structures rythmiques, presque musicales qui rappellent le chant lyrique, et que « l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image » met en lumière au moyen d’associations systématiques des sonorités, des mots et des idées. Enfin, ils relatent un rapport étroit entre l’énonciateur et l’énoncé, en permettant à celui-là de se représenter, de se reconnaître et de se redécouvrir au même moment qu’il rédige son texte. Ces poèmes sont alors « lyriques », étant donné qu’ils sont l’expression d’une subjectivité, celle du poète, d’un « je » qui se dévoile d’une manière fortement imagée.

Toutefois, Aragon exerce un lyrisme moderne, puisqu’il effectue un bouleversement des rapports des mots avec d’autres, et des liens qu’ils entretiennent avec les objets, grâce à la figure de la métaphore, réalisée par des enchaînements syntaxiques et logiques inscrits sous le signe de l’opposition, du contraste et de l’équivoque. De surcroît, les alliances inédites de mots coexistant avec des assemblages de corps et de caractères composites, l’introduction du prosaïsme dans la poésie, la dérision qu’exerce le poète vis-à-vis de lui-même remettent en cause le lyrisme traditionnel.

Le Paysan de Paris, texte surréaliste poétique, est également narratif, car il repose principalement sur la description que la métaphore met en place. En effet, les séquences descriptives constituent le corps même de ce texte, au point qu’il est impossible de les supprimer sans atteindre sa cohérence et son intégrité. Et si Aragon procède à l’opposé de la pratique surréaliste, il diffère son non-conformisme en remettant en cause les conventions fondamentales du roman, à savoir les indications de la vraisemblance, de la psychologie des personnages et du déroulement de l’action romanesque, tout en recourant à un emploi excessif de la figure métaphorique.

En outre, selon certains auteurs, il existe un ensemble de métaphores qu’ils considèrent comme spécifiques au texte narratif, et que nous avons relevé certaines du Paysan. Il s’agit des métaphores optiques, concrètes et mythiques qui nous ont permis de justifier cette association d’un type de texte avec un type de figure.

Pour Aragon, la notion de genre est annulée, dès qu’il puise ces métaphores de son imagination et du rêve, dès qu’il intègre dans son texte différents types de registres et dès qu’il associe le réel et le fictif.