Troisième partie : Lecture de la métaphore « aragonienne »

Introduction

En tant qu’expansion de la pragmatique, les rhétoriciens ont mis en place une théorie de la réception qui consiste à rattacher une œuvre littéraire à celui qui la reçoit -le lecteur-, dans la mesure où le prendre en considération devrait contribuer à l’analyse textuelle. Dans cette optique, nous avons décidé de vérifier, dans un premier chapitre, s’il existe, d’abord, un rapport à trois entre l’émetteur (l’auteur), le récepteur (le lecteur) et l’objet de leur communication (le texte, et plus précisément la figure de la métaphore), d’autant plus que le mouvement surréaliste aspire à un nouveau statut du lecteur, basé sur une participation active. Nous allons donc essayer de définir la position du lecteur dans l’œuvre surréaliste d’Aragon et les types de rapports que ce dernier entretient avec le récepteur de son texte, en mettant par ailleurs l’accent sur les formes de présence du lecteur dans le texte aragonien, de même que sur les difficultés d’identification et d’interprétation des métaphores.

En second lieu, nous tenterons de reconsidérer le lien entre la figure et la dichotomie sens propre / sens figuré, dans le but de discerner le rôle de l’ambigüité sémantique que la métaphore installe dans le texte. En effet, quoique complémentaires, ces deux notions provoquent souvent une hésitation quant au choix de la signification grammaticale ou de la signification rhétorique lors de l’interprétation d’un énoncé. Quant à la métaphore, considérée comme un phénomène non littéral, dont le sens est en opposition avec un sens littéral, elle se construit suite à un changement de signification. De ce point de vue, nous devrons montrer que le sens propre, qui fonctionne au niveau connotatif, aussi bien que le sens second, qui assure la cohérence dénotative, contribuent à la création des figures métaphoriques. Par conséquent, il nous a paru intéressant de voir si cette association du propre et du figuré facilite la compréhension de la métaphore.

Par ailleurs, nous avons choisi de discerner le rôle de ce rapport binaire, d’une part, dans la création d’un sens nouveau par la métaphore, et dès lors, dans la mise en place d’une représentation inédite et curieuse du monde, par le biais d’un détournement du sens, et grâce à des images surprenantes. D’autre part, nous essayerons de prouver que la métaphore est estimée comme « vive » à la suite d’un passage du sens propre au sens figuré, et qu’elle se lexicalise lors d’un transition inverse du figuré au littéral.

En tant que dernier point d’un premier chapitre, nous focaliserons notre intérêt sur le rôle du contexte dans la distinction du sens propre du sens figuré, dans le but de dépasser l’équivoque de certaines métaphores.

Dans un deuxième chapitre, nous allons focaliser notre attention sur le macrocosme du monde tel que le réinvente Aragon. En d’autres termes, nous essayerons de démontrer que le poète refait l’univers réel, selon une vision qui lui est propre et dont l’outil principal semble la métaphore. Nous découvrirons donc un monde intérieur fondé sur un dispositif d’analogies du monde existant, source de la métaphore. En conséquence, une tension poétique s’installe entre un monde de référence et un monde recréé.

Dans cette optique, nous tenterons, d’abord, de rattacher la métaphore à la métamorphose, dans la mesure où le surréalisme exalte les processus de mutations même les plus étranges, dans le but de modifier la réalité, en transformant l’aspect des objets et même la nature des êtres, en particulier, par des associations inattendues de mots et d’éléments qui ne présentent aucun point commun. Reproduire subjectivement le réel ne correspond en aucun cas à une reprise littérale, mais s’effectue obligatoirement par un rapprochement des référents, voire même par leur modification, afin de recréer le réel sous la forme d’une représentation propre à l’auteur. En effet, la métamorphose « métaphorique » offre une vision imagée du monde, en annulant des frontières, ainsi que toute distinction nette entre la réalité et le fantastique qui finissent par fusionner, tel que dans le mythe.

Ensuite, nous relèverons pour les analyser un certain nombre de thèmes récurrents, établis et développés essentiellement par le recours à cette figure, en particulier, la représentation descriptive de la femme surréaliste, et en conséquence, le sentiment de l’amour qui lui est relié. Par la métaphore, Aragon décrit l’être féminin, mais encore il le magnifie, suivant une démarche centrée sur le regard, qui fait aboutir à une image « divinisée » de la femme. Pour l’amour, il est mis en valeur telle que la voie idéale permettant de se redécouvrir grâce à la relation de l’homme avec l’autre, la femme.

Nous avons également choisi de traiter un autre thème développé d’une manière considérable dans l’œuvre aragonienne. Il s’agit de l’équivoque des lieux, puisqu’autour du paysage urbain, les surréalistes ont élaboré une nouvelle poétique, fondée sur l’imagination qui transforme le spectacle quotidien. Dès lors, aussi bien la ville de Paris, que la nature, deviennent les hauts lieux surréalistes, car, quoique réels, ils sont métamorphosés grâce à la vision transformatrice du spectateur surréaliste.