Les différentes théories sur la dichotomie sens propre / sens figuré

Dans cette séquence, nous tenterons de reconsidérer certaines théories qui ont traité cette dichotomie :

En premier lieu, (1) la conception tropologique que Irène Tamba-Mecz ramène à « quatre caractéristiques fondamentales », dans la mesure où il s’agit, d’abord, d’« une analyse sémantique centrée sur l’unité de sens qu’est le mot ». Ensuite, « on reconnaît aux tropes le pouvoir de faire changer un mot de sens et de lui conférer ainsi un sens « second », dit figuré, topologique ou métaphorique ». Ce dernier sens est de « pur emprunt », car il repose sur une substitution de mot ». Finalement, « cette substitution est fondée sur certaines relations logiques unissant le sens propre au sens emprunté » 596 . En d’autres termes, cette théorie classique repose, pour l’essentiel, sur une sémantique lexicale, étant donné qu’elle délimite le sens au mot, le considérant comme sa « propriété intrinsèque ». En outre, elle se limite à étudier l’évolution du mot et ses modifications, puisque « le passage d’un sens premier étymologique ou sens propre à des sens seconds, dérivés ou sens figurés » est particulièrement pris en compte grâce à une démarche diachronique, d’autant plus que « ces considérations d’ordre historique » confirment que « le sens propre » d’un mot « correspond à sa signification originelle », alors que « les autres acceptions qu’il est susceptible de prendre dans le discours sont tenues pour des détournements de ce sens primitif et appelées figurées » 597 . Nous citons à titre d’exemple ces vers :

‘Tant pis si les dames d’un air’ ‘Désapprobateur’ ‘Verrouillent leurs portes métaphysiques’ ‘Sur mon passage’ ‘Car je n’aime que toi.’ ‘(« Déclaration définitive », La Grande Gaité, p.226)’

Nous remarquons, dès une première lecture, que le mot « portes » peut être considéré dans son acception propre, en tant qu’issue permettant l’entrée ou la sortie d’un lieu vers un autre, et si les « dames » refusent tout commerce avec le poète, il est attendu qu’elles clôturent toute sorte d’accès à cet intrus indésirable qui cherche à franchir le seuil de leur demeure, même s’il affiche de l’indifférence vis-à-vis d’elles. Toutefois, l’ajout de l’adjectif « métaphysiques » révèle une métaphore, et par conséquent, nous passons d’un sens premier à un autre figuré, dans la mesure où le terme « portes » ne désigne plus un accès concret, mais probablement une limite qu’il est interdit de franchir, parce qu’en la dépassant, il sera possible à ce « je » amoureux d’accéder à des secrets intimes et à des confidences cachées, ceux du cœur et du corps et que les femmes insistent à garder voilés.

Dans le cadre de cette conception tropologique, s’inscrit la réflexion de C. Brooke-Rose, puisqu’elle désigne la métaphore comme la substitution d’un terme propre par un autre terme figuré, même si le premier n’est pas mentionné dans l’énoncé, mais juste en tenant compte du rapport d’analogie qui rapproche ces deux significations. Néanmoins, cette prise de position est aussitôt transformée, dans la mesure où cet auteur constate que le « mot métaphorique agit en retour sur les autres termes auxquels il est syntaxiquement et grammaticalement relié » 598 , de sorte qu’il n’est plus perçu tel un élément autonome par rapport au contexte dans lequel il est inscrit. Il acquiert, ainsi, sa signification en fonction des éléments l’entourant. Par conséquent, C. Brooke-Rose élargit la première définition de la figure métaphorique, entendue comme « tout remplacement d’un mot par un autre », en confirmant qu’elle est aussi « toute identification d’une chose, d’un concept ou d’une personne avec une autre » 599 . Dès lors, deux opérations se combinent dans le processus métaphorique, celle de « remplacer » qui suppose l’effacement du terme remplacé, et celle d’«identifier » qui nécessite un rapprochement entre deux termes co-présents dans l’énoncé. Nous essayerons de mettre en lumière le fonctionnement de ce processus par le biais de cet exemple :

‘Le collectionneur de bouteilles de lait’ ‘Descend chaque jour à la cave’ ‘Il halète à la ’ ‘Onzième marche de l’escalier’ ‘Et tandis qu’il disparaît dans l’entonnoir noir’ ‘Son imagination se monte se monte.’ ‘(« La Paradis terrestre », La Grande Gaité, p.274)’

Nous relevons ici une métaphore qui permet d’identifier un élément, « l’escalier », à un autre « l’entonnoir noir », en raison de plusieurs attributs communs, révélés par le contexte dans lequel la figure est placée. Il est question en principe de l’étroitesse, puisque les deux éléments mentionnés peuvent représenter une sorte de cavité qui va en se rétrécissant. En outre, l’obscurité les enveloppe, en rapport avec la « cave », mais aussi en raison de l’adjectif « noir ». De plus, ces éléments assurent un même rôle, celui d’autoriser le passage d’un niveau à un autre, ce qui justifie l’opération d’identification que mentionne C. Brooke-Rose. Nous devons également signaler que le thème « escalier », mentionné dans le quatrième vers, disparait aussitôt pour être remplacé par le phore « entonnoir » dans la suite du poème. Dans cette perspective, nous remarquons que la seconde opération, celle de l’effacement, est accomplie.

En second lieu, nous évoquons (2) la conception relationnelle qui démarque aussi le sens au niveau du mot, discerné cette fois d’un point de vue syntaxique, dans la mesure où le sens figuré n’est plus réalisé à la suite d’un changement du sens d’un seul mot, mais il résulte de l’union syntaxique de deux mots, dont l’un est de sens propre, alors que l’autre est de sens figuré. En effet, « ce dernier sens, privé d’autonomie, dérivé précisément des relations sémantiques que chaque construction syntaxique instaure entre des variables lexicales » 600 .

Dans cette perspective, la dichotomie sens sémiotique / sens sémantique se substitue à celle de sens propre / sens figuré de la théorie tropologique, étant donné que Benveniste accorde respectivement au discours et à la langue deux modes de signifiance différents, appelés « sémantique »et « sémiotique » 601 . Selon le type de rapport qui les relie, ils donnent lieu, d’une part, au sens propre « lorsqu’un mot évoque dans un emploi de discours le sens qu’il a en langue en tant que signe lexical, c’est-à-dire lorsqu’il y a congruence de sens sémiotique et sémantique », alors que, d’autre part, ils attribuent au mot une signification figurée, en cas de divergence. Nous proposons d’analyser cette métaphore :

‘Fondre sur une passante étrangement belle’ ‘Qui se promenait avec une agitation très spéciale’ ‘Froissant un mouchoir prophétique  602 .’ ‘(« Transfiguration de Paris », La Grande Gaité, p.270)’

La figure est mise en place grâce à une association insolite entre un substantif, « mouchoir », et un adjectif, « prophétique », pour autant que le sens du premier est propre, justifié par le contexte, et particulièrement par l’emploi du verbe « froisser », tandis que le recours au second terme semble inattendu, et donc fait basculer le sens global du groupe N+Adj. vers le figuré, compte tenu que la qualité mentionnée est habituellement attribué à un sujet abstrait ou à une idée, par opposition à notre cas où elle caractérise un objet concret. Par conséquent, il n’est plus question d’une simple petite pièce de linge, mais d’un signe prémonitoire, annonçant le sort réservé à la « passante » et que le verbe « fondre » rend plus clair, d’autant plus que cette scène est l’un des « aspects d’un défoulement brutal, qui retourne comme un gant les bienséances les mieux ancrées et crée une atmosphère de malaise », en ce sens qu’Aragon, et les surréalistes, se livrent à une transformation complète de la ville où « le délire érotique se croiserait au fantasme révolutionnaire » 603 .

A ce stade, nous signalons les différences entre la conception tropologique et la conception relationnelle : si la première présente la figure comme un « écart » ou précisément comme un « détournement de sens », et, par conséquent, définit le sens figuré en tant que « signification détournée, intrinsèque à un mot dans un emploi discursif », en l’opposant au sens propre, la théorie relationnelle considère la signification figurée comme un « produit sémantique de synthèse » 604 ou « une signification relationnelle synthétique », qui résulte de l’ensemble de la configuration discursive et non localisée dans l’un de ses éléments. Dans cette optique, le sens figuré n’est plus à définir comme une déviance par rapport au sens propre d’un mot, et encore moins comme une substitution de celui-ci, en raison des rapports d’analogie, de contigüité ou d’inclusion que la rhétorique classique établit entre deux mots de nature différente, mais que la conception relationnelle supprime.

Autre conséquence de cette prise en considération du sens figuré, tel que le résultat « d’une combinaison d’au moins deux unités lexicales engagées dans un cadre syntaxique défini et se rattachant à une situation énonciative déterminée » 605 , est donc l’intérêt accordé à « la composante syntaxique de la figure », aussi bien à l’évolution « diachronique des sens figurés qu’il est possible d’intégrer à la définition lexicale des mots », qu’à l’évolution « synchronique », afin de déterminer les « mécanismes de la production et de l’interprétation des significations figurées attachées à des ‘’assemblages de mots’’» 606 . Dans ces images métaphoriques, le thème et le phore sont reliés par la préposition « de » :

‘Nous rapprendrons le nom des fées des oiseaux’ ‘d’Amérique’ ‘comme la dame du vestiaire du coiffeur de Madelios’ ‘qui recèle’ ‘ ses étendards de peau dans l’armoire métaphorique de ’ ‘ ses doigts  607 . ’ ‘(« Le progrès », Persécuté Persécuteur, p.207)’

Il est question de deux métaphores par détermination, dont le sens figuré est réalisé suite à une association inédite entre des éléments que rien ne rapproche (étendard / peau, armoire / métaphorique / doigts), désignant respectivement, et dans une sorte de parallélisme des objets et des attributs humains. En introduisant certains termes, associés d’une manière inédite (deux substantifs et un adjectif), le poète oriente son énoncé vers une acception imagée, dans la mesure où si nous procédons par élimination, nous obtiendrons une phrase banale, du genre « la dame recèle ses étendards dans l’armoire ». Cependant, grâce à une combinaison singulière des mots, on « réapprend » à désigner un simple geste de pudeur d’une façon poétique. En effet, « propre » ou « figuré », le sens ne peut être conçu qu’en fonction des différents éléments qui entrent dans sa composition.

En troisième lieu, nous exposerons (3) la théorie interactionniste élaborée, pour l’essentiel, par Richards 608 et Black 609 . Ces derniers ont perçu la dichotomie sens propre / sens figuré particulièrement au sein de la métaphore, dans la mesure où celle-ci est prise en considération dans ses dimensions cognitives et représentée comme une opération accomplie entre deux idées, dont l’une, la teneur ou topique, est montrée sous les traits de l’autre, le véhicule, qui en forme le pivot et permet d’articuler sens littéral et sens figuré, le mot et la phrase. Par conséquent, le jeu métaphorique n’est plus construit sur l’opposition entre un terme propre et un terme figuré, comme chez les classiques, étant donné que le premier de ces éléments est absent, mais il est établi au moyen d’une interaction entre un mot qui fixe le sens figuré et instaure de cette manière le foyer métaphorique, et le cadre donné de l’énoncé, renfermant ce même mot et de plus doté d’un sens propre. Tels est le cas dans ces vers :

Les flammes 610 que je fais couper de temps en temps chez ’ ‘le coiffeur’ ‘Trahissent seules le noir enfer intérieur qui m’habite.’ ‘(« Lycanthropie contemporaine », Persécuté Persécuteur, p.234)’

Au premier abord, nous pouvons dire que le sens figuré se situe au niveau du mot « flammes », choisi ici par le poète pour représenter ses « cheveux ». Conformément à la théorie de Richards et Black, le terme propre est donc omis, mais il est suggéré par le contexte (couper / chez le coiffeur), alors que le terme présent assure le sens figuré, sans qu’il soit en opposition, d’une part, avec l’élément absent, en raison d’une similitude de forme (longs et ondulés) et peut être de couleur (dorés), et d’autre part, avec le sens général de l’énoncé poétique, dans la mesure où ces « flammes », par leur éclat, s’opposent, et, par conséquent, mettent en lumière « le noir enfer intérieur » du poète. En outre, cette même expression représente, en tant qu’autre foyer métaphorique, un sentiment de tristesse atroce, et plus exactement celui « d’une agonie invisible et perpétuée », comme l’exprime le « je » dans les vers qui précèdent notre séquence.

En quatrième lieu, nous relaterons (4) la réflexion de Searle 611 , fondée particulièrement sur la critique d’autres théories. D’abord, il conteste la théorie comparative, puisqu’il refuse de considérer obligatoirement l’assertion métaphorique comme celle d’une ressemblance, d’autant plus que, selon lui, cette conception n’éclaircit pas assez la question de la référence des expressions employées métaphoriquement. Dans cette optique, nous essayerons de sélectionner une métaphore d’Aragon, et illustrant la réflexion de cet auteur, en ce sens qu’elle associe deux éléments, quoiqu’il n’existe aucune similitude justifiant leur alliance :

J’ai vu le plan de cette ville

et c’est ton ombre à toi mon amour.

(« Je ne sais pas jouer au golf », Persécuté Persécuteur, p.190)

A priori, le thème, « le plan de cette ville », et le phore, « ton ombre » n’ont aucun trait commun et ne présentent pas le moindre caractère similaire, vu qu’ils réfèrent à des sujets différents (lieu / humain). Toutefois, dans l’imaginaire surréaliste, la représentation de la femme aimée va de pair avec celle de la capitale parisienne, le plus souvent à l’avantage de la première.

De ce point de vue, Searle souligne que la question primordiale consiste à expliquer ce passage du sens littéral de la phrase, « S est P », au sens de l’énonciation métaphorique, « S est R », effectué aussi bien par le locuteur que par l’auditeur, d’autant plus qu’il conçoit le sens littéral comme une identité complète entre le sens de la phrase et le sens du locuteur. Dès lors, le principe de ressemblance, sensé lier le sens littéral au sens métaphorique, doit procéder telle une stratégie de compréhension et non en tant que constituant du sens, parce qu’il est impossible de lui accorder un fondement objectif. Il faut alors mettre l’accent sur les modalités qui permettent d’accomplir des représentations capables de faire de la ressemblance un moyen pour réaliser la compréhension. En conséquence, Searle introduit l’expérience sensorielle dans la perspective sémantique.

Pour ce qui est de la théorie de l’interaction, il rejette l’idée selon laquelle tout emploi métaphorique d’une expression requiert nécessairement que celle-ci soit encadrée de l’occurrence littérale des autres expressions, étant donné qu’une métaphore se suffit à elle-même, et peut être examinée indépendamment du contexte, comme celle-ci :

Ses deux mains étaient la flamme et la neige.

(« Sans famille », La Grande Gaité, p.267)

Le poète identifie chacune des mains, probablement féminines, à un élément naturel différent, grâce à une métaphore avec « être », et nous constatons que, même si les mains sont plus ou moins similaires, leurs équivalents sont opposés. D’un côté, la « flamme » peut référer simplement à la chaleur du corps humain, mais encore symboliser la passion amoureuse et même la cruauté d’un être aimé. D’un autre côté, il est possible que la « neige » serve à évoquer la froideur au sens propre, d’autant plus qu’elle incarne l’indifférence face à l’autre ou les souffrances atroces que peut causer un séducteur impitoyable ou un amour trahi.

Toutefois, en critiquant ces théories, Searle les introduit au sein d’une explication séquentielle du phénomène. Subséquemment, prendre conscience d’une énonciation littérale imprécise donnerait lieu à l’interprétation métaphorique, au point d’entraîner une exploration du sens de l’énonciation qui soit différent de celui de la phrase.

En cinquième lieu, la division binaire (sens littéral / sens figuré) est également traitée selon le point de vue (5) des critiques et des rhétoriciens modernes, qui ont maintenu d’abord les trois catégories de tropes (métaphore, métonymie, synecdoque), fondées sur trois types de relations logiques (ressemblance, connexion et correspondance), mais qu’ils ont choisi de placer entre le sens des mots co-présents dans l’énoncé, au lieu qu’elles soient in absentia entre le sens figuré du terme et le sens propre d’un terme reconstitué. Par voie de conséquence, l’ancienneperspective paradigmatique se trouve aussitôt remplacée par une saisie syntagmatique, dans la mesure où le principe du changement de sens ne concerne plus un seul mot et la signification figurée se relie à une composition lexico-syntaxique. Néanmoins, cette modification au niveau de l’approche a impliqué la confusion de deux figures pourtant distinctes, quoiqu’elles reposent sur un rapport de ressemblance, implicite ou explicite, à savoir la métaphore et la comparaison. Nous citons à titre d’exemple :

Si l’on pouvait suivre à la trace la bêtise humaine

Je remonterais ce fleuve avec un petit canoë.

(« Lettre au Commissaire », La Grande Gaité, p.257)

Ces vers mettent en valeur une métaphore in praesentia qui associe, par un lien de ressemblance, deux éléments distincts, ayant vraisemblablement pour point commun l’abondance. Toutefois, ce rapprochement n’est pas limité aux constituants métaphoriques, qui, pris indépendamment de ce contexte, n’affichent aucune similitude, mais il est établi grâce à l’ensemble de l’énoncé, puisque chaque mot contribue à ce qu’un parallélisme entre les deux actions citées (suivre la bêtise humaine / remonter ce fleuve) soit explicité.

En dernier lieu, nous reformulons (7) la conception surréaliste : D’abord, nous remarquons que les surréalistes rassemblent la totalité des figures ayant pour ressort l’analogie en une seule catégorie qu’ils désignent par le terme « image », en accordant plus d’intérêt à la métaphore et à la comparaison, au point que Breton confond, dans la plupart des cas, ces mécanismes et les considère comme « le véhicule interchangeable de la pensée analogique » 612 , dont la puissance créatrice lui permet de rejeter « les autres ‘’figures’’ que persiste à énumérer la rhétorique [et qui] sont absolument dépourvues d’intérêt » 613 .

Nous constatons aussi que les surréalistes ne recourent pas aux termes propre ou figuré, en ce sens que l’image, pour Breton, repose principalement sur l’association, par analogie, des « mots » et des « groupes de mots qui se suivent » dans un énoncé, en « pratiqu[a]nt entre eux la plus grande solidarité » 614 , plutôt que sur celle des idées. En d’autres termes, la rencontre analogique n’est plus à réaliser suite à un rapprochement entre «deux réalités aussi éloignées que possible », comme le revendique Reverdy, mais entre deux éléments d’une phrase, et plus précisément du « rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes », et qui aura pour effet de faire « jailli[r] une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles » 615 . En conséquence, l’opposition du littéral et du figuré est remplacée par une alliance arbitraire et inédite entre deux mots et que rien ne justifie. Dans cette optique, nous proposons d’analyser une métaphore aragonienne que nous avons supposée conforme à cette théorie :

A la margelle où vont le soir

S’abreuver les belles porteuses de mystères

Les belles inconnues non algébriques

Celles qui tiennent dans leurs mains la pierre philosophale

Celles qui ont la pureté du couteau 616 .

(« Angélus », La Grande Gaité, p.236)

Par une association singulière entre les mots, Aragon crée des images originales, d’autant plus qu’il choisit de créer un effet de surprise, contournant aussitôt les attentes et orientant l’énoncé vers une acception figurée. En effet, grâce à un ajout inattendu de termes, les « belles » se métamorphosent, de manière à ce qu’elles ne sont plus ces prostituées grossières, « celles qui ne ressemblent aucunement à nos mamans », pour devenir des êtres exceptionnels dont les caractéristiques demeurent parfois énigmatiques, tel que « non algébriques », qui peut signifier « non rationnelles ».

Notes
596.

I. TAMBA-MECZ, Le Sens figuré, PUF, 1981, pp.21-22.

597.

Ibidem., p.187.

598.

C. BROOKE-ROSE, A grammar of metaphor, London, Secker & Warburg 1965, p.1.

599.

Ibidem., pp.23-24.

600.

I. TAMBA-MECZ, Le Sens figuré, PUF, 1981, pp.139-140.

601.

Le sens sémiotique s’identifie aux définitions lexicales d’un terme, ce qui le rend accessible par paraphrase définitoire.

602.

C’est nous qui soulignons.

603.

Lire Aragon, Paris, Champion 2000, p.22.

604.

I. TAMBA-MECZ, Le Sens figuré, PUF, 1981, p.141.

605.

Ibidem, pp.31-32.

606.

Ibidem., p.188.

607.

C’est nous qui soulignons.

608.

RICHARDS, The philosophy of rhetoric, Oxford University Press, 1936.

609.

BLACK, Models and metaphors, Studies in Language and Philosophy, Ithaca, N.Y: Cornell University Press, 1962.

610.

C’est nous qui soulignons.

611.

SEARLE, Sens et expression, étude de la théorie des actes du langage, ch.4 « La métaphore », Paris, Minuit 1979, p.121 à p.166.

612.

A. BRETON, Signe ascendant, Paris, Gallimard 1968, p.10.

613.

Idem.

614.

A. BRETON, Manifestes du surréalisme, Paris, Pauvert 1962, p.47.

615.

Ibidem., p.51.

616.

C’est nous qui soulignons.