Pour les théoriciens modernes, la métaphore correspond à un « instrument de création de sens », dans la mesure où elle offre une représentation inédite et curieuse du monde, par le biais d’un détournement du sens, mais encore grâce à un rappel paradoxal du sens propre, permettant de la sorte de créer des effets de surprise et des images insolites, tel que le témoigne F. Hallyn :
‘Partout l’interférence du sens littéral dans le discours métaphorique a pour effet qu’il se crée, à côté du message transmis, un jeu propre du langage, un manque de serrage au niveau de la signification, une liberté des mots par rapport aux choses. Les mots se dissocient de la matière pour briller de leur propre éclat. 628 ’Nous avons choisi, parmi les images aragoniennes surprenantes, celle-ci :
‘L’ombre du vent anime l’ombre des fenêtres Dentelles’ ‘’ ‘dentelles du temps qu’il fait vous vous prîtes à la tringle’ ‘de l’ordre imaginaire’ ‘vous vous froissâtes du mutisme des volets dentelles […]’ ‘Dentelles noires où bat un sein de glace’ ‘Dentelles trêves du crève-cœur pauses du massacre ’ ‘quotidien.’ ‘(« Mandragore », Persécuté Persécuteur, p.228)’Nous remarquons qu’il s’agit d’une série métaphorique dont le thème unique est les « dentelles » que le poète tente de représenter d’une manière nouvelle et curieuse. Et s’il est vrai que nous gardons en arrière plan le sens propre de ce terme, en tant que « tissu très ajouré sans trame, ni chaîne, orné de desseins opaques variés, et qui présente généralement un bord en forme de dents » (Le Petit Robert), et qui sert ici d’ornement aux fenêtres, il est clair que le poète cherche à en faire un objet poétique. En effet, par une métaphore déterminative, les « dentelles » deviennent celle « du temps qu’il fait », probablement parce qu’elles reflètent le paysage extérieur dans la pièce, étant donné qu’elles sont transparentes et fines. Par ailleurs, au lieu de les accrocher à une simple « tringle » à rideaux, elles se trouvent suspendues à celle « de l’ordre imaginaire », afin de les intégrer dans un univers magique, au lieu d’être des objets insignifiants de la vie ordinaire. D’un autre côté, au moyen d’une autre métaphore déterminative, nous sommes confrontée, d’une part, à une personnification des « volets », mais encore à une approche hyperbolique quant à la sensibilité des « dentelles ». Cependant, le poète transforme, dans un second temps, les « dentelles », pour les faire passer d’une étoffe de décoration en une partie d’un habit féminin. Dans cette optique, il les inscrit sous le signe de la contradiction, celle des couleurs, pour mettre en valeur, grâce à une proposition relative, la blancheur extrême d’un « sein ». Pour ce qui est du dernier vers, nous sélectionnons deux métaphores appositives où les « dentelles » jouent essentiellement le rôle d’une suspension bénéfique, aussi bien pour le « crève-cœur » que pour le « massacre du quotidien », en raison de leur beauté, mais également de la splendeur cachée qu’elles dévoilent aussitôt.
F. HALLYN, Formes métaphoriques dans la poésie lyrique de l’âge baroque en France, Genève, Librairie Droz 1975, p.121.