Le rôle du contexte

La métaphore est considérée essentiellement en tant que phénomène de double sens, car associant un sens littéral qui doit être dépassé et rejeté à un second plan, et un sens métaphorique, mis en valeur au premier plan, d’autant plus que c’est le locuteur qui l’attribue à son énoncé. Ce sens figuré est fondé nécessairement sur le concept de contexte, dans la mesure où, dans certains cas, celui-ci contribue à préciser si l’emploi d’une phrase est à interpréter d’une manière littérale ou métaphorique. En outre, sous la forme d’un énoncé cohérent, le contexte expose, en les articulant, deux structures sémantiques perçues nettement l’une de l’autre, même si elles sont tout à fait compatibles, réalisant de la sorte la valeur de vérité positivement ou négativement au regard d’une référence littérale pour l’une et d’une référence figurée pour l’autre. A leur tour, les sujets prouvent qu’il leur est facile de choisir un point de vue pragmatique et d’attribuer à un énoncé métaphorique une valeur de vérité, lorsqu’ils s’appliquent au jeu d’une vérification concernant une valeur de vérité littérale de même que figurée. Nous citons cet extrait afin de démontrer le rôle du contexte dans la mise en valeur d’un emploi métaphorique :

Réalité des saisons Les sévices de la mauvaise époque

Etaient tels qu’on se couvrait différemment pendant

Plusieurs mois de l’année puis tout

Se passait comme si

Les fourrures les flanelles tombaient avec les jours.

(« Futur Antérieur », La Grande Gaité, p.279)

Nous constatons que les premiers vers servent d’introduction au dernier, et même s’ils exposent, d’une manière littérale, une situation saisonnière habituelle, celle d’un hiver brutal et qui oblige les gens à prendre maintes précautions, ils valorisent la métaphore verbale finale, dans la mesure où le verbe « tomber » et le complément circonstanciel de temps « avec les jours » sont incompatibles avec leur sujet, vu que nous nous attendions à lire, à la place des « fourrures » et des « flanelles », des « feuilles » mortes par exemple. Mais, ce passage de l’hiver au printemps s’effectue suite à un abandon des vêtements lourds et chauds, à l’image de ces arbres qui perdent leur feuillage lors d’un changement climatique. Le contexte peut donc associer à la fois le propre et le figuré, et encore maintenir un effet de surprise permettant le passage de l’un à l’autre.

En d’autres termes, une entité change de signification selon le contexte dans lequel elle est intégrée, pour qu’elle soit conforme à une représentation donnée. Dotée d’une signification propre, cette même entité peut aussi être détournée de sa signification littérale, si elle est transférée dans un nouveau contexte. Il s’ensuit donc qu’elle prend une nouvelle signification, qui s’ajoute à sa signification propre. Dès lors, le changement de signification se trouve associé à un double sens, puisque l’expression choisie réunit à la fois le sens propre et le sens métaphorique. Il en résulte de confirmer « le lien étroit qui unit les deux classes, celle des emplois non métaphoriques (M1) et celle des emplois métaphoriques (M2), la seconde n’existant que sur le fond de la première » 633 . Nous prendrons en considération une métaphore dans un contexte immédiat et puis dans un contexte plus large, dans le but de vérifier si elle va changer de signification selon le cadre contextuel dans lequel elle se situe, nous citons :

Je veux parler de cette machine à battre le blé  634 .

(« L’institutrice », Ecritures Automatiques, p.143)

Dans un premier temps, si nous nous limitons à cette phrase, séparée de ce qui la précède et de ce qui la suit, nous pourrons dire que ce groupe de mots est employé dans un sens propre, puisque le poète a simplement choisi de décrire une moissonneuse.

Toutefois, si nous la rattachons à un contexte immédiat :

Je veux parler de cette machine à battre le blé  635 qui

frappe dans ses mains suivant les attitudes de l’horloge

pensive et muette.

Nous nous apercevons que l’emploi s’est modifié et devenu figuré, puisqu’il s’agit d’une métaphore verbale doublée d’une personnification, dans la mesure où le poète a accordé des attitudes humaines à des machines, aussi bien en ce qui concerne la batteuse qui « frappe dans ses mains », par référence à ses mouvement lors de l’égrenage des céréales, que « l’horloge » qu’il a représenté sous les traits d’une personne « pensive et muette » par le biais d’une métaphore adjectivale.

Dans un dernier temps, nous élargirons davantage le contexte :

On cherche vainement à se souvenir des visages nus des

enfants de l’école, ils ont passé comme les calendriers

d’auberge où les faneuses ont des gestes éternels et plus

incompréhensibles que les ondulations stupides des dentelles

du vide- poche […]

Je veux parler de cette machine à battre le blé  636 qui

frappe dans ses mains suivant les attitudes de l’horloge

pensive et muette et qui distribue au dessus des têtes les

instants dorés de la paresse échappés par miracle à la grande

roue des punitions.

En rapport avec le titre « l’institutrice », de même que le début et la fin du texte, nous précisons que « cette machine à battre le blé » est une métaphore in absentia désignant à la fois la maîtresse et ses élèves, puisque la conduite rapportée est celle d’une personne qui communique des connaissances, mais aussi qui attribue des châtiments, d’où, la métaphore déterminative « la grande roue des punitions » qui rappelle en même temps la continuité de cette atmosphère de classe, mais encore la forme de l’appareil mécanique.

Par l’introduction du principe contextuel, une description syntagmatique de la métaphore remplace une description paradigmatique, dans le sens où « le sens littéral ou non littéral d’une entité M se décide eu égard à son entourage linguistique, c’est-à-dire par rapport aux mots avec lesquels elle se trouve combinée », ce qui aura pour conséquence la reconnaissance d’un sens littéral « lorsqu’il y a accord entre l’entité et les autres entités de la combinaison », et un sens non littéral dans « le cas inverse ». Dès lors, c’est « le discours même », ou plus exactement « l’enchaînement syntagmatique des mots », qui permettra de signaler « la rupture du sens littéral » 637 , selon P. Schulz, qui cite à son tour Ricœur, confirmant cette même idée :

C’est un énoncé entier qui constitue la métaphore, mais l’attention se concentre sur un mot particulier dont la présence justifie qu’on tienne l’énoncé pour métaphorique. 638

Pour décider s’il est question d’un sens littéral ou d’un sens figuré, il est essentiel de voir si une expression donnée s’accorde avec son contexte linguistique ou s’il existe une discordance entre les deux éléments. Ainsi, dans le premier cas, le sens est littéral, dans le second, il est non littéral. Dans cette optique, nous allons démontrer qu’une expression peut être à la fois considérée comme littérale, si elle est prise en compte dans un contexte restreint, et figurée au sein d’un cadre étendu. Nous analyserons cet exemple :

Vertige le décor devient le visage de la vie

La face de cette fille que j’ai tant aimée

Pour ses mains ses yeux faits et sa stupidité […]

J’attends que renaisse la dame du souvenir.

Le poète souhaite uniquement se rappeler de « la fille tant aimée », en espérant que sa mémoire lui permette de revivre les moments du bonheur révolu. Dans ce cas, « souvenir » n’est que l’origine de l’image de la femme qui ressurgit de l’oubli. Néanmoins, l’emploi de ce mot devient aussitôt figuré, lorsque le poète tente de le survaloriser, en tant que thème métaphorique, auquel il a rattaché deux phores mis en évidence par leur incompatibilité avec ce qui précède :

J’attends que renaisse la dame du souvenir

Un grand trou s’est fait dans ma mémoire

Un lac où l’on peut se noyer mais non pas boire.

(« Sommeil de plomb », Le Mouvement Perpétuel, p.66)

Par une métaphore appositive, le souvenir est assimilé à « un grand trou » parce qu’il permet d’ouvrir une brèche de lumières qui dissipe l’obscurité due à l’éloignement dans le temps ou dans l’espace. En outre, il est « un lac » parce qu’il est aussi profond, à tel point qu’il est difficile d’accéder au fond et de découvrir tout ce que renferme notre mémoire. De plus, grâce à la relative définissant davantage son antécédent, le poète souligne la multitude des réminiscences qui foisonnent dans notre inconscient, sans pour autant parvenir à les saisir dans leur totalité et d’une manière claire.

Notes
633.

P. SCHULZ, Description critique du concept traditionnel de « métaphore », Berne, Peter Lang 2004, p.107.

634.

C’est nous qui soulignons.

635.

C’est nous qui soulignons.

636.

C’est nous qui soulignons.

637.

Ibidem., pp.34-35.

638.

P. RICŒUR, La métaphore vive, Paris, Seuil 1975, p.110.