Les formes de la métamorphose et leurs fonctions

L’écriture d’Aragon peut être parfois discernée comme le produit « d’un langage en folie auquel est donné tout pouvoir et qui suscite des créatures monstrueuses » 686 , et plus spécialement « des créations en-dehors de l’espace-temps : êtres hybrides, personnages simultanés, anamorphosés dans un seul organe, ou au contraire pris dans un vertige d’ubiquité, de défilement échevelé ». En effet, par le merveilleux, cet auteur « déconstruit nos regards de routine, et ouvre en grand la fenêtre du surréel » 687 . Nous citons alors cette transformation fantastique de la « nuit » :

‘[…] la nuit […] C’est un monstre immense de tôle, percé mille fois de couteaux. Le sang de la nuit moderne est une lumière chantante. Des tatouages, elle porte des tatouages mobiles sur son sein, la nuit. Elle a des bigoudis d’étincelles […].’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.173)’

Dans cette optique, même la nuit change de nature pour devenir, par le biais d’une métaphore avec « être », précédée du présentatif « c’est », un « monstre immense de tôle ». En effet, par l’emploi de l’adjectif qualificatif, Aragon accorde à ce « personnage » l’énormité et la grandeur majestueuse propre aux créatures fantastiques, mais également pour dire que l’obscurité nocturne des lieux permet l’élargissement de la perception. Quant au complément, « tôle », il rappelle, d’abord, que ce « monstre » est surréaliste, et, par conséquent, réinventé de toute pièce, mais il permet encore d’inscrire paradoxalement la nuit sous le signe de la luminosité, puisque tout métal est variablement brillant. Ainsi, nous supposons que les « couteaux », les « tatouages mobiles sur son sein », de même que les « bigoudis d’étincelles » sont des métaphores in absentia dont le thème ne peut être que les étoiles qui recoupent l’obscurité et rendent possible toute rencontre onirique. En outre, la nuit est ici rendue humaine, dont le « sang » est assimilée, par une autre métaphore avec « être », à « une lumière chantante », constituant à son tour une métaphore adjectivale qui met en place une équivalence entre différentes perceptions discernées par deux sens, la vue et l’ouïe. Toutefois, la nuit est principalement féminine, car elle est mystérieuse.

D’un autre point de vue, ce type de métaphore peut parfois attribuer au comparant une identité littéralement invraisemblable, puisque, conformément à la logique, une entité ne peut être identique à son contraire. Néanmoins, le processus de transformation, que la figure affiche, repose sur l’acquisition d’une identité nouvelle et de la perte d’une antérieure, qui ne doivent être simultanément présentes, dans le but de réduire le paradoxe au niveau du sens littéral. En conséquence, la métaphore avec « être », mais encore avec« se servir de », « nommer », procure, dans la plupart des cas, une identification fausse entre deux termes, au même moment où la métamorphose intègre l’idée fausse d’une transformation d’un terme en un autre. Nous citons à titre d’exemple ces vers :

‘Et tu ne trouvais que des consonnes sourdes’ ‘Des sons issus du sang pour nommer les lèvres les caresses’ ‘Tout ce qui dansait entre deux corps comme la flamme du désir.’ ‘(« Sommeil de plomb », Le Mouvement perpétuel, p.66)’

Par le pouvoir des mots, les éléments changent de nature et deviennent autres, d’autant plus que « nommer » suffit pour passer des manifestations du désir les plus remarquables à des expressions les moins éloquentes, mises en évidence par le recours aux « consonnes sourdes », jusqu’à atteindre un silence absolu, celui de la mort, rapporté par « des sons issus du sang ».

Les verbes « devenir » et « se changer en » introduisent aussi l’idée d’une métamorphose. Comme dans ces vers :

‘Si j’allais me prendre à ce chromo l’aspect des maisons à huit heures’ ‘d’été’ ‘Vertige le décor devient le visage de la vie.’ ‘(« Sommeil de plomb », Le Mouvement perpétuel, p.66)’

Nous remarquons que cet extrait du poème sert à rapporter une mutation totale, parce qu’il s’agit d’abord de celle de l’observateur qui va acquérir « l’aspect des maisons ». Toutefois, il est difficile de discerner les caractéristiques d’un tel cadre, parce que l’heure de prise est clairement déterminée, « huit heures d’été », sauf si nous rattachons le poème à celui auquel il est dédié, Philippe Soupault qui explore continuellement un Paris nocturne, voué à une métamorphose renouvelable, plein de signes énigmatiques et de rencontres inattendues. Ensuite, le poète établit une équivalence entre « le décor », qu’il vient de décrire, et « le visage de la vie », de manière que nous devinons, par une sorte de syllogisme, que ces deux éléments coïncident également avec l’aspect que le « je » accorde à lui-même, et que seul le mot « vertige » peut révéler, car nous pouvons supposer que ces trois éléments éblouissent celui qui tente de découvrir leur nature secrète.

En outre, le procédé métaphorique réalise certains autres types de transformations, parmi lesquels nous prendrons en considération la métamorphose de l’homme en animal, qui témoigne de la déchéance de l’homme moderne, et qui passe d’un niveau de progrès avancé à l’état archaïque de l’animal, essentiellement lorsqu’il s’agit des gens du pouvoir, mis en scène dans le poème « Mandragore », où le poète se lance dans une interminable description et une destruction considérable des intérieurs bourgeois :

‘[…] le préfet des Pyrénées-Orientales’ ‘Le cygne lunaire assure son monocle et ricane.’ ‘(« Mandragore », Persécuté Persécuteur, p.230)’

Parmi les représentants de l’autorité politique, le poète a choisi de mettre en scène « le préfet » pour aussitôt le ridiculiser, le transformant en un « cygne lunaire », probablement par référence au long cou de l’oiseau, et donc pour dire l’apparence caricaturale et grotesque de cet agent de la loi. Il est aussi « lunaire », en raison de sa figure blafarde et blême ou de son aspect chimérique, le rapprochant d’une créature monstrueuse et fantomatique, dont le rôle n’a aucune importance, d’où, l’emploi du verbe, « ricane », à connotation péjorative, par lequel le poète insiste sur la stupidité du personnage décrit.

Il est de même pour la classe bourgeoise, qui fait l’objet d’une critique virulente, au point que ses membres se trouvent changés en des parasites les plus répugnants, tel que dans « Front rouge », où ils sont identifiés métaphoriquement à la « vermine », puisqu’ils ne sont qu’un ensemble d’individus méprisables et nuisibles au progrès de la société :

‘J’assiste avec enivrement au pilonnage des bourgeois’ ‘Y a-t-il jamais eu plus belle chasse que celle que l’on donne’ ‘A cette vermine qui se tapit dans tous les recoins de la ville.’ ‘(Persécuté Persécuteur)’

En tant que partie intégrante et essentielle de la description des personnages, la métaphore animale, dans ces occurrences, déshumanise bien ceux-là, sans se soucier du risque de disparition du sujet, dans la mesure où elle lui accorde une identité figurée et un statut allégorique, par opposition à une interprétation littérale du changement.

Il existe également la métamorphose inverse, de l’animal en humain, comme dans « Prélude au temps des cerises » :

‘Pas un cri pas un mot de ces animaux supérieurs’ ‘qui ne fument que le Nil’ ‘et ne boivent que l’or’ ‘ne doit être oublié de ceux qui guettent la défaillance du pachyderme roi du monde.’ ‘(Persécuté Persécuteur, p.255)’

Nous relevons aussi la métamorphose de l’humain en végétal, essentiellement la transformation en arbre, en ce sens que celui-ci est « support de l’humain, ravisseur ou refuge dans des rapports de symbiose » 688 , comme dans ces vers :

L’arbre amoureux d’une servante

Chantait au passant ce refrain.

(« Chanson du président de la république », Le Mouvement perpétuel, p.84)

Quand elle est nue, la créature féminine s’intègre davantage dans le règne végétal, en se confondant avec les fleurs ou les plantes 689 , tel que dans le poème « La philosophie sans le savoir » :

Les corps des femmes dans les champs

Sont de jolis pommiers touchants.

(Le Mouvement perpétuel, p.91)

Dans ces deux vers à terminaison musicale, qui mime la rime, le poète installe une équivalence complète entre la femme et la nature, par l’intermédiaire de deux champs lexicaux qui évoluent parallèlement, référant à l’un aussi bien qu’à l’autre des deux éléments. Alors, nous avons, d’une part, « corps » et « femme », et d’autre part, « champs » et « pommiers », tandis que nous remarquons que les adjectifs qualificatifs « jolis » et « touchants », au lieu de qualifier l’être féminin sont attribués au fruit, pour lui accorder un caractère animé et vivant. Par un échange de caractéristiques, la femme et la nature s’équivalent.

Dans une autre optique, les femmes se font souvent fleurs, pour dire leur beauté, mais qui se révèle aussitôt trompeuse et passagère. Ainsi, celles rencontrées dans les cabines, et que l’auteur choisit d’identifier, par une métaphore in absentia, à « des voyageuses de ce train fuyard », parce qu’elles ne font que passer par ce lieu de transition, se transforment, au moyen d’une figure métaphorique par apposition en « lilas factices », dans le but de rappeler que leur splendeur et leur bonne odeur ne sont qu’artificielles :

‘[…] les voyageuses de ce train fuyard […] vous lilas factices qui vous épanouissez devant moi sous les yeux.’ ‘(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.92)’

La « jonquille » est également une autre fleur par laquelle nous représentons métaphoriquement la femme, parce qu’elle est une variété de narcisse, et, par conséquent, suggère que cet être est épris de lui-même :

‘[…] et je tourne mes mains comme des folles ou des horloges le long des lèvres de Madame ma jonquille […].’ ‘(« Une leçon de danse », Ecritures Automatiques, p.149)’

Nous pouvons également relever la transformation en un Y appartenant à un règne inorganique (minéral)» 690 , lorsque « l’homme se dépouill[e] de son aspect misérable pour revêtir un corps de gloire, par une transmutation analogue à celle du plomb mystique des alchimistes en or mystique qui inspire la plupart des thèmes essentiels de la symbolique surréaliste » 691 . Nous citons à titre d’exemple cet extrait du poème « Rien ne va plus » :

‘Je suis un diamant et la vie est la vitre’ ‘Où les ouvriers ont écrit merde à défaut’ ‘De toute autre possible appréciation du paysage’ ‘Imbécile paysage.’ ‘(La Grande Gaîté, p.302)’

Par une métaphore avec « être », le « je » se métamorphose en une pierre précieuse, le « diamant », celle qui est la plus brillante et la plus dure, et nous supposons, dans un premier temps, qu’il se met en valeur et qu’il se place aussi haut qu’un minéral rare. Il affiche aussi un certain pouvoir sur la « vie » identifiée à son tour, par une autre figure métaphorique, à « une vitre », et l’on sait que le diamant est capable de la couper et de la façonner. Néanmoins, l’image bascule vers l’opposé, avec l’inscription « merde », caractérisant l’« imbécile paysage », celui de l’existence vécue par le poète.

En d’autres termes, la métamorphose doit être obligatoirement fondée sur la contradiction pour s’accomplir, étant donné qu’elle est, selon Brunel, « à la fois un mythe génésique et un mythe eschatologique, à la fois un mythe de la croissance et de la dégradation. Elle éclaire, dans un même personnage [...] des pulsions inverses. Elle combine altérité et identité, introduisant à l’animal qu’on veut être mais découvrant en même temps l’animal qu’on est. Elle est à la fois imaginaire et réelle, parole et être, sens et non-sens. Elle ne se développe que pour finalement s’abolir » 692 .

Pour l’essentiel, ce recours à la métamorphose peut être justifié par un double besoin, chez l’auteur, d’une destruction permanente et d’une création infinie. De plus, imaginer des êtres chimériques associant les caractères du végétal et de l’animal humain est à considérer comme un défi de la part des surréalistes face à la raison.

Il est également possible de rencontrer dans l’œuvre aragonienne, la transformation de l’homme en machine, que G. Deleuze et F. Guattari soulignent dans leur essai Les machines désirantes, dans lequel ils affirment que l’homme est devenu un prolongement dérisoire et dépendant de la machine, au risque d’être « produit comme résidu de la machine, sans identité fixe » 693 . Il est ainsi dans cet extrait du poème intitulé « L’institutrice » :

‘Je veux parler de cette machine à battre le blé qui frappe dans ses mains suivant les attitudes de l’horloge pensive et muette et qui distribue au dessus des têtes les instants dorés de la paresse échappés par miracle à la grande roue des punitions.’ ‘(Ecritures Automatiques, p.143)’

Nous assistons à l’étalage d’un ensemble d’appareils, à citer « la machine à battre le blé » que nous pourrions considérer comme une métaphore in absentia qui sert de définition au personnage signalé au niveau du titre, « l’institutrice ». Cette équivalence entre l’humain et la machine est mise en place par l’emploi du groupe verbal « frapper dans ses mains », accordé généralement à un être humain. Il est de même pour le verbe « distribuer », dont le complément d’objet direct, « les instants dorés de la paresse », accentue cette fusion des deux réalités, et peut désigner métaphoriquement les bottes de céréales jaunis au soleil. Par ailleurs, il ne faut pas oublier de mettre en évidence les rapports métaphoriques entre le substantif « instants » désignant une entité abstraite et la qualité concrète « dorée », d’une part, et entre ce même groupe de mots et le complément « paresse », d’autre part. En outre, nous relevons un autre objet qui illustre cet échange de nature entre l’homme et la mécanique, « l’horloge », personnifiée grâce à certaines particularités habituellement propres au premier, alors que le poète les attribue au second, c’est-à-dire « les attitudes » et les adjectifs qualificatifs « pensive » et « muette ». Par ailleurs, « la grande roue des punitions », en associant, encore une fois, un objet matériel et un concept, est une métaphore déterminative qui confirme l’abolition des frontières entre les éléments du monde.

La métamorphose peut aussi s’effectuer du côté du narrateur lui-même, aussi bien que sur le plan de l’écriture. D’un côté, le « je » se présente souvent tel un être métamorphique, dans la mesure où, à la fois, il façonne et est façonné par un univers de mots et de langage qu’il se charge de mettre en place. Par ses transformations répétitives, il dissipe l’idée selon laquelle chaque individu ne possède qu’une représentation verbale, et manifeste alors un développement discursif, qui fait subir au concept d’individualité une déconstruction complète et irrévocable. Dès lors, débute l’ère de l’identité métamorphique, déjà initiée par Nietzsche et Freud, comme dans ces vers :

‘Je saute ainsi d’un jour à l’autre’ ‘rond polychrome […].’ ‘(« Parti-Pris », Feu de joie, p.42)’

Il est évident que la métaphore appositive, « rond polychrome », possède pour rôle principal de mettre en évidence une permutation du « je ». Toutefois, nous ne parvenons pas facilement à déchiffrer cette figure, parce que, tant qu’elle est détachée de son contexte, elle demeure énigmatique. En la replaçant alors dans le poème considéré dans son ensemble, nous devinons que le poète s’est transformé en un objet circulaire et de plusieurs couleurs, dans le but de devenir identique aux obus qu’on projette lors de la guerre, et surtout pour dire sa peur et sa terreur quand il tente d’échapper à la mort, par des mouvements précipités et désordonnés. En d’autres termes, Aragon ne s’intéresse pas uniquement à la métamorphose du monde, par une révision totale et complète, mais encore à la métamorphose du moi.

Il en résulte, donc, que d’un autre côté, l’écriture se trouve transformée au-delà d’une simple représentation du processus métamorphique, pour devenir elle-même une métamorphose, fondée essentiellement sur des modifications qui exercent leur action sur la substance des sons, des lettres et des mots. Nous citons :

‘Qu’amènent tes lèvres’ ‘Les mots maux et fièvres’ ‘Mais la voix dit Non’ ‘sur un ton de lave.’ ‘(« La belle italienne », Feu de joie p.46)’

Dans cet exemple, nous notons que, par un effet d’homonymie, la métaphore appositive modifie la nature des « mots » pour les changer en « maux », mais encore en « fièvres », comme si les paroles de la femme aimée ne peuvent apporter ni la sérénité, ni l’apaisement au cœur de celui qui l’adore.

Le cas est le même, dans ces vers du poème « Secousse » :

‘J’invente à nouveau le vent tape-joue’ ‘Le vent tapageur’ ‘Le monde à bas je le bâtis plus beau. ’ ‘(Feu de joie, p.38)’

Le poète joue sur et avec les mots, en alternant une forme reconnue, « tapageur », et une autre insolite, « tape-joue », d’un même terme. Ainsi, le « je » transforme les mots et réinvente quelques uns, conformément au dessein qu’il s’est choisi, celui d’ « invente[r] à nouveau » et de « bâti[r] » le monde « plus beau », essentiellement par la force et les possibilités qu’offre l’écriture.

De surcroît, dans Le Paysan de Paris, Aragon offre un exemple clair illustrant cette pratique particulière de métamorphose, consistant à modifier la morphologie, et par conséquent, le sens des mots, surtout lorsqu’il s’agit du terme « éphémère », qui véhicule une idée chère aux surréalistes, et que le poète a choisi de définir, par une métaphore avec « être », telle une « divinité » variable, qui se présente sous des aspects multiples et différents. Il attribue à Robert Desnos la possibilité d’effectuer un ensemble d’opérations, dans l’intention de saisir « le sens de ce mot fertile en mirages » et de démontrer que la notion et le nom illustrent un principe identique, le changement :

‘L’éphémère est une divinité polymorphe ainsi que son nom […]’ ‘ÉPHÉMÈRE’ ‘ F.M.R. ’ ‘(folie-mort-rêverie)’ ‘Les faits m’errent’ ‘ LES FAIX, MÈRES ’ ‘Fernande aime Robert’ ‘pour la vie !’ ‘ о ÉPHÉMÈRe о ’ ‘ÉPHÉMÈRES. ’ ‘(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.111)’

Si Aragon a choisi de donner la parole à Robert Desnos, c’est parce que celui-ci est le premier des surréalistes qui s’est lancé dans l’expérience hypnotique, capable de rêver ses histoires avant de les écrire. Il est également admiré grâce à ses jeux de mots d’un type tout à fait inédit, d’autant plus que ces mêmes jeux se révèlent un moyen d’expression nouveau, en rapport étroit avec l’écriture automatique et la signification du rêve, au point qu’Aragon procède ici à la manière de ce « rêveur définitif ». Pour une première modification, nous remarquons, que du mot « éphémère », il ne garde que les consonnes, transformées aussitôt en lettres initiales de trois mots, riches en significations dans la thématique surréaliste, à savoir « la folie », à laquelle est accordée une valeur créatrice, « la mort », qui fascine tant les membres du groupe, et « le rêve est célébré comme l’extrême pointe de l’imagination faisant éclater de toutes parts le carcan du réel » 694 . Nous retenons le même procédé dans le sixième vers où F.M.R. se changent en « Fernande aime Robert », et où un amour éternel (pour la vie) s’oppose à « l’éphémère », quoique le point d’exclamation introduit le doute. En outre, dans les vers 4 et 5, Aragon a eu recours à l’homonymie, puisque « les faits m’errent » et « les faix, mères » se prononcent identiquement à l’« éphémère », même si ces deux phrases semblent étranges, dans la mesure où nous n’arrivons pas à discerner la nature de ces « faits » trompeurs et qui font perdre au poète son chemin, ni à justifier le lien métaphorique entre le fardeau qui pèse sur son âme et les « mères », sauf si elles réfèrent à la famille, cadre social rejeté par les surréalistes. Au final, l’emploi du mot au pluriel désigne une autre réalité (les « éphémères » en tant qu’insectes qui ne vivent qu’un jour), mais qui s’inscrit dans la même perspective, celle du changement et de la disparition.

Dans cette optique, il nous semble qu’une étude thématique se propose de mettre en évidence les éléments de prédilection du poète, ce qui permettra de mieux cerner la sensibilité et l’imaginaire qui se déploient dans les textes. En d’autres termes, cette étude contribue précisément à faire ressortir le caractère personnel de l’imaginaire d’Aragon par rapport aux grands thèmes collectifs.

Au surplus, reliée étroitement à la métamorphose, la métaphore participe à l’annulation et au dépassement des frontières, en présentant le mélange d’une multitude d’identités et de nombreuses mutations que subissent les personnages, ayant lieu à tous les niveaux, autant sur le plan corporel que sur le plan textuel. Il en découle que les métaphores se combinent avec des êtres réels, pour que les identités prolifèrent, construites et démontées à la fois par le langage.

En outre, la figure de la métaphore se présente tel un élément constitutif de la « mythologie moderne » qu’Aragon se propose d’inventer à la fois en référence et en rupture avec l’imaginaire et les mythes collectifs.

Notes
686.

P. BRUNEL, Le Mythe de la métamorphose, Paris, José Corti 2004, p.17.

687.

C. LETELLIER, « Le déploiement du mythe et du merveilleux dans Fata Morgana d’André Breton », Mélusine n°20 : Merveilleux et Surréalisme, Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, L’Age d’homme, Lausanne, 1999, p.120.

688.

J. VOVELLE, « Métamorphoses et merveilleux, rencontres de la femme et du végétal dans la peinture surréaliste », Mélusine n°20 : Merveilleux et Surréalisme, Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, L’Age d’homme, Lausanne, 1999, p.221.

689.

Ibidem., p.225.

690.

G. ACHARD-BAYLE, Grammaire des métamorphoses, Bruxelles, Duculot 2001, p.263.

691.

M. CARROUGES, André Breton et les données fondamentales du surréalisme, Paris, Gallimard 1950, p.86.

692.

P. BRUNEL, Le Mythe de la métamorphose, Paris, José Corti 2004, p.158.

693.

G. DELEUZE et F. GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie. L’anti-Œdipe, Paris, Minuit 1972, p.27.

694.

G. LEGRAND, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, PUF 1982, pp.290-291.