La femme et le plaisir

La question de la femme est primordiale dans le mouvement surréaliste en général, et chez Aragon particulièrement. Ce dernier a joué, aux côtés de Breton et d’Eluard, un rôle déterminant dans l’élaboration de l’érotisme surréaliste, d’autant plus que la description de la femme favorise essentiellement une démarche de voyeurisme, d’où, il est possible de dire que le regard porté par le poète sur la femme est « commandé largement par l’optique (d’ailleurs multiforme) qui fut celle du surréalisme » 695 . Dés lors, la description fut le moyen idéal pour mettre en valeur les particularités de l’être féminin, essentiellement physiques.

Mais, peut-être est-ce de la femme qu’il faut attendre les plus grandes révélations ? Ce qui est mis en évidence par la citation de Baudelaire mentionnée dans le numéro 1 de La Révolution surréaliste : « La femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves », et qu’Aragon reprend en ces termes : « il y a une lumière surréaliste dans les yeux de toutes les femmes » 696 .

Les femmes, dans la poésie surréaliste et en particulier chez Aragon, méritent d’être prises en considération, puisqu’elles sont, comme l’affirme F. Alquié, « les messagères de l’Eve nouvelle, toujours située au delà de nos désirs. Elles sont le lien, et comme le pont, entre la veille et le rêve, et semblent promettre leur réconciliation » 697 . En outre, Aragon établit un rapport visuel avec le monde qu’il décrit, grâce aux sens, et plus généralement au moyen du corps féminin qui permet de placer la sensualité au premier plan, de manière que la femme occupe une place considérable dans l’œuvre de ce poète, valorisée grâce à une multitude d’images qui permettent au poète une reconstruction de la femme, mais que nous essayerons de discerner leur fonctionnement dans notre corpus.

Pour accomplir son projet, Aragon emploie d’abord des métaphores « usuelles », des clichés déjà utilisés, de sorte que ces images ne présentent aucune originalité. Nous citons :

‘Vos dents d’émail’ ‘Vos silences pleins d’aveux.’ ‘(« Le dernier des Madrigaux », Les Destinées de la Poésie, p.103)’

La préposition « de » dans la métaphore indique une relation de matière entre les deux éléments. Cependant, il est nécessaire d’effectuer des opérations de suppression et d’adjonction de sèmes pour que le nœud de la métaphore, le motif du rapprochement entre les deux substantifs soient révélés : la beauté des dents est mise en relief grâce à l’éclat et la brillance, et donc à la blancheur propres à l’émail, substance transparente et d’aspect vitreux. Le second vers renferme à son tour une image courante qui garde une particularité poétique, dévoilée par le biais de la contradiction entre les deux parties de la métaphore : en s’associant, « silence » et « aveux » s’annulent.

Notes
695.

G. LEGRAND, « A propos de la femme-enfant », La Femme Surréaliste, dirigé par Roger BORDERIE, Paris, éd. Borderie 1977, p.9.

696.

A. GAVILLET, La littérature au défi : Aragon surréaliste, éd. La Baconnière 1957, Neuchâtel, p.183.

697.

F. ALQUIE, Philosophie du surréalisme, Paris, Flammarion 1955, p.16.