La femme mystérieuse

La particularité première de la femme-dieu s’avère être le mystère, qui lui permet de se dresser sur le piédestal de la grandeur, de manière que, si élevée, elle échappe à la sollicitude de l’homme. Nous démontrons ce point de vue par le biais de cette série de métaphores, présentant la femme sous plusieurs lumières :

‘Les belles déclarations des corps pressés s’expriment d’une façon si soudaine que la danseuse des ténèbres me repousse vers le mur […].’ ‘(« Une notion exacte de la volupté » p.149, Ecritures Automatiques)’

La révélation des pouvoirs atteint son paroxysme au cours d’une scène de volupté, où les « corps » sont « pressés » et durant laquelle la créature féminine domine le mâle, en le « repouss[ant] vers le mur ». Quant à la métaphore in praesentia par détermination, elle combine « la danseuse », le thème, au phore « ténèbres », dans l’intention de dire le merveilleux, la magie propres à la femme, qui ne se révèle que pendant l’obscurcissement du cadre spatial, propice ainsi à la mise en exergue de l’enchantement du rêve.

A l’encontre des ombres opaques, la femme fantastique se met en scène sous les illuminations du feu. Exposée même aux lumières, elle semble plus énigmatique :

‘Dans la chambre où les yeux phosphore’ ‘Se sont séparés du visage’ ‘Aimé’ ‘Pour tourner autour de la femme qui sent’ ‘le feu.’ ‘(« Réponse aux flaireurs de bidet », La Grande Gaîté, p.252)’

La lumière émane, d’une part, du regard observateur, tel que l’indique la métaphore in praesentia par juxtaposition, qui met en relation deux éléments, « yeux » (humain, animé) et « phosphore » (non humain), que rien ne relie dans la réalité, à part l’éclat et le scintillement. D’autre part, ce même regard, en se réfléchissant sur le corps de la femme, lui offre la luminosité, à tel point que cette dernière se transforme en une braise qu’il est impossible d’éteindre. Par conséquent, il est possible de dire qu’au moment de la contemplation la femme admirée s’enveloppe par la lumière que son corps réfléchit, d’autant plus qu’il est question d’une lueur corporelle admirable et d’une transparence naturelle propre à cette créature.

En outre, la femme indéchiffrable réunit aisément les opposés, recrée les rapports entre les choses, en les faisant s’évanouir dans un tourbillon de flammes. Elle se transforme, de la sorte, en un être indiscernable dont l’essence exacte et l’identité véritable sont difficiles à découvrir. Il en est ainsi dans ces vers :

‘Ses deux mains étaient la flamme et la neige’ ‘Et quand elle eut versé sur ma bouche l’alcool’ ‘De l’incendie’ ‘Je la saluai par son nom la Provocation.’ ‘(« Sans famille », La Grande Gaîté, p.267)’

Deux éléments aussi éloignés que possible, « flamme » et « neige », sont réunis par la métaphore in praesentia avec « être », qui établit une identification complète, mais aussi durable entre chacun des membres supérieurs (ses deux mains) et des deux éléments naturels. Ainsi, la femme offre, par une main, « la flamme », pour signifier la chaleur, celle de son amour ou du plaisir qu’elle procure, de sorte qu’elle se présente telle que l’origine de la vie, tandis que par l’autre, elle incarne « la neige », et donc la menace par le froid et la gelée. Dans les deux cas, elle n’est qu’une créature imaginaire, entourée de danger et que le poète choisit d’interpeller par le biais d’un terme significatif, « Provocation », dans le but de dire que se rapprocher de l’être féminin constitue un défi face à cette source d’énergie. Il existe également dans ces vers un autre procédé métaphorique, in absentia cette fois, « l’alcool de l’incendie », qui ne peut renvoyer qu’au plaisir mortel, celui ressenti à la suite d’une scène d’amour charnel.

De surcroît, le poète préfère représenter ces êtres occultes à l’intérieur de paysages éclatants de milles feux, dans l’espoir qu’il pourra pénétrer les ténèbres, dans lesquelles les femmes évoluent. Nous citons à titre d’exemple :

‘[…] les femmes. Ce sont de grands morceaux de lueurs, des éclats qui ne sont point encore dépouillés de leurs fourrures, des mystères brillants et mobiles.’ ‘(« Préface à une Mythologie Moderne », Le Paysan de Paris, p.12)’

La métaphore, introduite par le pronom démonstratif neutre « ce », qui renvoie au substantif qui précède, «les femmes », justifie cette envie perpétuelle d’éclaircissement chez le poète, qui cherche par tous les moyens à percer le mystère qui jaillit autour de ces créatures, tout en renforçant leur charme. Ainsi, nous notons un large champ lexical de la lumière, « grands morceaux de lueurs, éclats, brillants ». Toutefois, le secret demeure intact, inviolable malgré les tentatives persévérantes de la part du voyeur, dans la mesure où les femmes demeurent « des éclats qui ne sont point dépouillés de leurs fourrures », de même que « des mystères brillants et mobiles », d’autant plus que le mystère n’est plus un attribut de la femme, mais, il la constitue elle-même, étant donné qu’elle n’est autre qu’une énigme ambulante, « brillant [e] et mobile ».

Pour cette raison, « les belles porteuses de mystères » évoluent dans un milieu propice, relevant lui aussi de l’insolite, puisque la scène rapportée par le poète se déroule « le soir » :

‘A la margelle où vont le soir ’ ‘S’abreuver les belles porteuses de mystères’ ‘Les belles inconnues non algébriques […]’ ‘Celles qui ont la pureté du couteau […].’ ‘(« Angélus », La Grande Gaîté, p.236)’

Dans cet exemple, le procédé métaphorique consiste dans le fait d’accorder à un substantif, « les belles », un adjectif qui ne lui est pas propre et qui ne lui convient pas, « non algébriques », en ce sens qu’ils ne présentent aucun lien connu et ne relèvent pas de l’usage commun. Il paraît difficile de déchiffrer cette image, dans la mesure où nous pouvons supposer que « les belles » ne sont pas « algébriques » uniquement parce qu’elles sont inconnues et particulièrement innombrables.

Nous terminons cette série par la mention d’une image qui renferme l’adjectif en rapport avec la figure, sujet de notre étude. Nous citons alors :

[…] la dame du vestiaire du coiffeur de Madelios

qui

recèle ses étendards de peau dans l’armoire métaphorique de ses doigts.

(« Le Progrès », Persécuté Persécuteur, p.207)

Nous analysons d’abord la première métaphore par détermination, « ses étendards de peau », qui rapproche deux éléments incompatibles, quoique le sème les reliant peut être la couleur, la maigreur, sans que nous puissions le confirmer. Néanmoins, en prenant en considération le terme « receler », de même qu’« étendards », nous pouvons avancer que la peau féminine est assimilée implicitement à une plante, cherchant à se dissimuler en refermant sa corolle. Quant à la deuxième figure, « l’armoire métaphorique de ses doigts », elle semble plus obscure, mais il est possible de dire que la femme cache la beauté de sa peau par sa main. Toutefois, l’expression utilisée par le poète rend la vision brumeuse, sauf si nous supposons, que sous le charme émanant des doigts de la femme, toute chose se métamorphose et se transforme à l’infini.

Nous proposons également une autre lecture concernant la dernière métaphore, « l’armoire métaphorique », dans la mesure où nous pouvons imaginer que l’auteur considère la femme, et plus précisément le sexe féminin, comme une armoire qui s’ouvre et se ferme au moyen d’une clé, qui symbolise, à son tour, le sexe masculin. Cependant, à côté de cette connotation sensuelle, l’armoire désigne l’énigme même du plaisir, puisqu’elle peut se clore, sans révéler totalement son contenu et ses secrets, étant donné qu’il s’agit d’un objet de volupté-piège. En effet, l’aspect mystérieux, énigmatique et presque insolite de la jeune femme s’affiche grâce à ses portraits et ses talents de double vue, et particulièrement au moyen de la frayeur que son charme personnel déclenche autour d’elle. De la sorte, la rencontre avec la femme combine la littérature et la vie, ainsi que l’imaginaire et le réel. Ces deux entités cessent d’être contradictoires ou incompatibles au sein de la poésie aragonienne, au point qu’elles se confondent finalement dans un seul sentiment du vécu, le vécu propre du poète.

Dès lors, la notion de la « surréalité » fait irruption, dans la mesure où seule la femme, grâce à cette double nature, annonce cet amalgame de l’imagination et de la réalité dans un au-delà littéraire. Elle est en quelque sorte la médiatrice du surréel.