La femme dangereuse

Cette femme n’est point celle qui permet à l’homme d’atteindre les rives d’un monde supérieur, comme la conçoivent les surréalistes, mais, au contraire, elle rassemble toutes les images aliénatrices d’un être menaçant, particulièrement lorsqu’il est question de la femme fatale :

Ses deux jambes sont des ciseaux

Le vent s’y coupe.

(« Chanson du président de la République », Le Mouvement perpétuel, p.84)

Dans cette métaphore, le poète la représente par une partie de son corps « les jambes », une partie, cependant, équivoque, qui suggère à la fois la beauté féminine, aussi bien l’énigme qu’elle recèle. En premier lieu, nous notons qu’une métaphore par assimilation, introduite par le verbe « être », met en lumière la fusion et le rapprochement jusqu’à l’identification entre les deux éléments mis en relation. Cependant, nous remarquons que cette forme métaphorique se suffit au schéma « A est B », avec l’absence de toute sorte de précision de l’attribut ou de la qualité commune, d’autant plus qu’elle se réduit à la représentation caractérisée par une sorte de raccourcis et de concision. Toutefois, nous pouvons imaginer le lien existant entre le thème et le phore, à savoir, d’une part, le nombre « deux », commun aux « jambes » et aux «ciseaux », et d’autre part, il est possible de présumer que les jambes de la femme sont aussi dangereuses que les lames des ciseaux, dans la mesure où le poète souligne le caractère menaçant de l’être féminin lors de l’acte sexuel. De surcroît, ce trait fatal se trouve justifié par le contexte et plus précisément par l’image du vers suivant où « le vent s’y coupe », qui suggère l’idée d’une coupure et d’une plaie entrouverte, causée suite à une relation charnelle, par référence à la femme castratrice.

Par ailleurs, nous mentionnons un autre exemple de la femme funeste. Celle-ci cache son jeu derrière des apparences trompeuses, précisément « le velours de sa main », qui enjolivent ses traits de monstre, en particulier, « les stalagmites de son cou ». Nous citons alors :

‘Comme la dame du vestiaire du coiffeur de Madelios’ ‘cache sous le velours de sa main les stalagmites ’ ‘de son cou.’ ‘(« Le Progrès », Persécuté Persécuteur, p.204)’

Ces deux métaphores sont construites suivant la structure (B de A), c’est-à-dire par antéposition du phore au thème. Elles impliquent une sorte d’hiérarchie, dans le but de valoriser la qualité attribuée, plutôt que le thème. Cette position est révélatrice de sens, dans la mesure où le premier élément (main) perd toutes ses qualités à l’excepté d’une seule mise en lumière grâce au second élément (velours), et qui est ici la douceur extrême. Toutefois, aussi claire, cette figure se trouve aussitôt obscurcie par la seconde métaphore. En effet, Aragon tente d’infliger la souffrance de vieillir à autrui, et spécialement à la femme, qui perdra avec le temps sa fraîcheur, d’autant plus qu’il rappelle la laideur, les rides, la friperie charnelle, et au bout du compte la mort à cet adoratrice du plaisir. Par conséquent, cette vertu exaltée au début (la douceur de la main) se transforme en un simulacre de beauté qui dissimule des atrocités, puisque « les stalagmites », par leur forme, et même par leur brillance évoquent les couteaux en tant qu’instruments de torture. Donc, loin d’attirer l’homme pour l’aimer, la femme le séduit dans l’intention de l’attaquer et ensuite le tuer, pour la raison que ses pouvoirs maléfiques sont incompréhensibles et surhumains, au point qu’on n’ose plus l’approcher.