La chevelure féminine

L’obsession de mentionner à plusieurs reprises la chevelure n’est point gratuite ou de pur hasard, dans la mesure où il s’agit d’un attribut féminin par excellence, et qui dissimule une image de l’infini, échappant à l’univers masculin fondé sur l’exactitude des limites. Nous proposons alors d’analyser cet exemple :

‘Dans ta chevelure’ ‘Reflet du passé ’ ‘tu gardes l’allure ’ ‘du papier glacé.’ ‘(« La belle italienne », Feu de joie, p.46)’

Dans la poésie surréaliste, la femme est hors des atteintes du temps, en ce sens que ce dernier ne peut atténuer ni sa jeunesse ni sa beauté, au point que sa « chevelure », qui devrait être la plus touchée par l’écoulement du temps, demeure intacte, identifiée, grâce à une métaphore par juxtaposition, à un « reflet du passé », celui de la jouvence. De plus, on insiste sur la jeunesse éternelle de la femme, quoique lointaine dans le temps, au moyen de la seconde métaphore déterminative, « l’allure du papier glacé », vu que la dame est toujours pareille à ce qu’elle a été dans le passé, d’autant plus que le terme « allure » lui accorde un air hautain et inchangeable. Elle est aussi brillante et ne présentant aucune marque, puisque intouchable, et cet état semble perpétuel, comme le démontre le verbe « garder ». Cette femme est donc si précieuse qu’elle semble protégée par une enveloppe extérieure afin de la conserver dans le même état éternellement.

De la valeur de la chevelure, nous passons à la description de sa couleur, étalée dans les vers suivants :

‘La chevelure’ ‘descend des cendres du soleil se décolore’ ‘entre mes doigts.’ ‘(« Eclairage à perte de vue », Feu de joie, p.40)’

Nous remarquons qu’Aragon insiste sur la blondeur, dont la source principale s’avère être le soleil. Cependant, telle une divinité astrale, la crinière féminine quitte l’univers céleste pour atteindre la terre, pour subir une décadence fulgurante, d’autant que le feu capillaire s’éteint et devient « cendres du soleil ». En outre, la déchéance de la femme, suggérée par sa chevelure, est formulée plus explicitement vers la fin de cette séquence, en ce sens que « la chevelure […] se décolore entre mes doigts », pour signaler la consommation de la femme par l’homme. Par conséquent, étant une forgerie de mâles, la femme se plie sous l’emprise de ses créateurs, perdant en cours de route ses principaux attributs.

Le rapport de la femme au soleil est également consolidé par cette métaphore in absentia qui joue sur l’effet du clair / obscur propre à l’image ou à la représentation picturale. Nous citons ces vers :

‘et c’est ton ombre à toi mon amour’ ‘exactement ton ombre quand le soleil’ ‘place sur ta nuque ce nœud de rubans de feu.’ ‘(« Je ne sais pas jouer au golf », Persécuté Persécuteur, p.190)’

Par l’entremise des lumières solaires, la chevelure, thème absent, se met en relief par contraste avec l’obscurité de l’ombre féminine, puisqu’assimilée au « nœud de rubans de feu » qui permet de deviner la blondeur et l’éclat de ces cheveux. Néanmoins, nous n’avons pas pu déterminer le premier élément de la métaphore que par le biais du contexte, et particulièrement grâce au complément « sur ta nuque », d’autant plus que le cadre contextuel constitue un facteur fondamental pour dissiper l’arbitraire et la gratuité des images surréalistes, tel que l’affirme Riffaterre :

‘Il me semble pourtant que beaucoup de ces images ne paraissent obscures et gratuites que si elles sont vues isolément. En contexte, elles s’expliquent par ce qui les précède […]. 700

Par ailleurs, le thème de la femme-serpent symbolise sans doute le caractère menaçant de cet être, comme dans cet exemple :

[…] j’ai vu se dérouler les cheveux dans leurs grottes. Serpents, serpents, vous me fascinez toujours […] je contemplais ainsi un jour les anneaux lents et purs d’un python de blondeur.

(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, pp.50-51)

Dans cette métaphore, la femme est assimilée à Méduse, dont les cheveux sont transformés en serpents, et dont les yeux pétrifient les vivants, principalement pour évoquer l’importance accordée au regard chez les surréalistes. Dans un premier temps, le poète a essayé de posséder la femme en l’observant. Cependant, par un revirement inattendu, le possesseur devient le possédé, immobilisé par le regard dangereux de l’être féminin, d’autant plus qu’il avoue qu’elle le « fascine […] toujours ». Dans cette image, nous remarquons que le phore n’est pas mentionné, mais uniquement insinué par le contexte, et plus précisément par le complément circonstanciel de lieu, « dans leurs grottes ». De même, le poète arrive à mettre en place cette analogie entre les deux termes en attribuant aux « cheveux » un verbe propre à l’animé (serpent), « se dérouler », qui indique un mouvement de balancement, mais encore un mouvement menaçant commun aux deux pôles. Le poète procède ainsi par un entrecroisement des deux champs lexicaux et sémantiques relatifs aux deux termes.

Dans la seconde phrase, « les anneaux lents et purs d’un python de blondeur », l’image avance en se précisant sous la forme d’une métaphore in absentia, grâce à laquelle on accède à une identification totale, au point que les cheveux ne sont plus que des serpents, et particulièrement l’un des plus énormes, pour dire, d’abord, l’épaisseur de la tresse et leur caractère dru, mais aussi la couleur blonde, sans oublier de signaler le danger qu’ils présentent et le charme qu’ils exercent sur l’homme.

Pour clore cette série de métaphores filées, Aragon propose un agrandissement et une amplification quelque peu exagérée de l’image de la chevelure, tel que dans cet extrait :

‘Cette chevelure déployée avait la pâleur électrique des orages, l’embu d’une respiration sur le métal. Une sorte de bête lasse qui somnole en voiture.’ ‘(« Le Passage de l’Opéra », Le paysan de Paris, p.52)’

Cette chevelure paraît dominer et accaparer l’espace tout autour, d’où, l’emploi du terme «déployée », permettant de la présenter sous les lueurs d’une vision onirique, et, par conséquent, dans des dimensions grandioses. Ainsi, surgie des fins fonds de l’inconscient du poète, la chevelure semble réinventée grâce à une association d’éléments divers et lointains (orage, respiration, bête). Par ailleurs, nous avons souvent souligné la récurrence des métaphores qui entretiennent un rapport fondamental avec le sens de la vue, et cette dernière relève de ce registre, en soulignant des rapprochements établis sur la base d’une ressemblance de couleur. Ce terme se définit comme étant l’impression que produit sur l’œil la lumière diffusée par les corps. Dans l’exemple précédent, cette lumière est terne, mais d’une « pâleur électrique », celle des « orages », et donc impressionnante vu l’intensité de cet éclat naturel. Cette lueur se transforme, en second lieu, pour devenir équivalente à « l’embu d’une respiration sur le métal », pour que le poète insiste sur la fadeur des cheveux, quoique nous ne puissions pas deviner cette couleur donnée à une substance incolore. Le thème et le phore semblent contradictoires, et il n’est pas possible de découvrir le motif du lien établi entre les deux éléments, à tel point qu’il paraît inexistant, dans la mesure où le poète semble détourner les réalités et ne point répondre aux attentes, d’autant plus qu’présente sa couleur obsédante sous un jour nouveau, mais en se référant aux éléments de la nature. De la nature également, Aragon extrait une analogie du règne animal par le biais d’une métaphore in absentia qui accorde à la chevelure une vie, une existence indépendamment du reste du corps féminin, en identifiant la chevelure à « une bête lasse qui somnole en voiture ». Le sème commun ne peut être que l’aspect et la forme, en ce sens qu’une chevelure blonde et épaisse rappelle une bête ou précisément un chat, caractérisé généralement par la fainéantise et l’oisiveté, à l’image de cette femme à la chevelure blonde. De ce fait, le choix de la couleur terne et blême se justifie, parce qu’elle reflète l’état de torpeur de la personne évoquée.

En conclusion, nous pouvons confirmer que les métaphores qui mettent en lumière la chevelure féminine appartiennent à plusieurs catégories : in praesentia, in absentia et essentiellement, nous avons discerné celles que nous pouvons traduire, alors que d’autres demeurent obscures et difficiles à interpréter, parce qu’elles associent des « réalités aussi éloignées que possible », conformément à la méthode proposée par Breton et qu’il explicite en ces termes : 

‘comparer deux objets aussi éloignés que possible l’un de l’autre ou, par toute autre méthode, les mettre en présence d’une manière brusque et saisissante, demeure la tâche la plus haute à laquelle la poésie puisse prétendre […]. 701

Ainsi, le surréalisme revient du sens psychologique au sens poétique du mot image en substituant à l’image présentation l’image comparaison. Par conséquent, le poète surréaliste parvient à transformer la réalité par le rêve dans le but d’accéder à « une sorte de réalité absolue, de surréalité » 702 .

Notes
700.

M. RIFFATERRE, « La Métaphore filée dans la poésie surréaliste », La production du texte, Paris, Seuil 1979, p.217.

701.

A. BRETON, Les Vases Communicants, Paris, Gallimard 1970, p.129.

702.

A. BRETON, Manifestes de Surréalisme, Paris, Pauvert 1962, p.27.