Vers une mythologie moderne

« Dans le surréalisme, dit Breton, la femme aura été aimée et célébrée comme la grande promesse, celle qui subsiste après avoir été tenue ». (Du surréalisme dans ses œuvres vives). Ainsi, les surréalistes mettent en place une vision mythique de la femme et glorifient le culte de cette créature d’élection, pour s’inscrire de la sorte dans la tradition courtoise de l’amour, opposée à la vision établie par la morale chrétienne, qu’a soutenu une certaine attitude dévalorisante vis-à-vis de la femme, considérant que cette dernière ne peut qu’être tentatrice, perverse, ou animale. En outre, si toute la littérature suggère une double représentation de la femme, putain et ange, les surréalistes ont choisi la version la plus appréciative. En effet, ils considèrent le culte d’Eros comme le fondement d’une philosophie qui refuse la morale bourgeoise, celle qui génère l’impudeur et le tabou, dans le but de rénover la vision de l’homme, qui devrait considérer l’union charnelle comme un fait naturel et qui permettrait de reconquérir l’unité humaine perdue. La femme permet à l’homme morcelé de s’associer avec lui-même, et surtout de se reconnaître sous un angle révélateur de ce qu’il est vraiment. Elle l’aide aussi à atteindre une conception intuitive de son unité par une élévation vers le sacré, vers l’absolu réalisée grâce à l’amour essentiellement réciproque, et par conséquent, elle le porte au paradis des formes, des essences et de l’être puisqu’elle se révèle une fée, une grande initiatrice.

Placée à un rang très élevé, la femme ne peut être remémorée sans avoir recours à la mythologie, aux divers mythes qui la consacrent en tant que divinité supplémentaire de l’Olympe. Par conséquent, le rêve, l’imagination et le mythe se réunissent pour recréer l’être féminin, comme dans les exemples qui suivent :

‘Les nuits de lait il [le forban] saigne la crosse’ ‘D’un oiseau femme mort de son amour tombeau. ’ ‘(« Le soleil d’Austerlitz », Le Mouvement perpétuel, p.81)’

La figure mythologique principale, à laquelle est assimilée la femme quoiqu’implicitement, est le Phénix, l’oiseau fabuleux qui, après avoir vécu plusieurs siècles, se brûle lui-même sur un bûcher pour renaître de ses cendres. De ce fait, Aragon invente une nouvelle créature féminine, l’« oiseau femme », conçue par l’intermédiaire des mots, dotés d’un pouvoir de forger une réalité propre à l’imagination du poète, d’autant plus que ce dernier se présente à la fois comme le signe et son référent. Ainsi, la juxtaposition des deux éléments constituant la métaphore se justifie par un lien sémantique, soutenu par la seconde métaphore, « son amour tombeau », puisqu’elle relate l’idée de la mort, par référence à l’oiseau légendaire. Dès lors, nous supposons que la femme meurt par amour et se consume à cause de sa passion pour l’homme, même s’il la torture, comme le suggère l’autre image où « il saigne la crosse d’un oiseau femme ». Cette scène de sacrifice, comparable aux sanctuaires divins, fait apparaître un système de sensations visuelles. Nous assistons alors à une symphonie de couleurs mettant en exergue diverses possibilités de rapprochements, ne pouvant exister que dans une vision imaginaire et onirique. Ainsi, à la clarté caractérisant le cadre temporal « nuit de lait », se succède la couleur rouge du sang, répandu à la suite du crime commis par le corsaire, pour sombrer vers la fin dans l’obscurité funéraire, dans la tombe.

Au bout de cette mythification de la femme, nous signalons qu’elle n’est plus identifiée à des êtres préexistants et connus, mais au contraire, au sommet de son ascension, elle est « légendaire », constituant à elle seule un temple, mis en exergue par le biais d’une métaphore in praesentia, selon le modèle « A est B ». Ainsi, le verbe « être » établit une identification absolue entre le thème « tu » et le phore « une maison hantée », dans la mesure où la légende est principalement fondée sur le mystère, l’énigme et la frayeur. Pour justifier ce point de vue, nous citons cet extrait :

‘Légendaire : tu es une maison hantée […] dans tes murs un perpétuel bruit de robe traînante t’inquiète à merveille et tu l’aimes, ce bruit.’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.218)’