Le culte de la femme

De la mythologie, nous passerons à la vénération de la femme. Une adoration qui se manifeste selon des représentations diverses, en ce sens que le poète désigne, par exemple, la femme comme une « statue » :

‘Je voudrais lécher ton masque ô statue’ ‘Saphir blanc’ ‘Tes cheveux carrés’ ‘Fourrure.’ ‘(« Fillette », La Grande Gaîté, p.224)’

En premier lieu, nous notons une métaphore in absentia où seulement le phore est présent, sous la forme d’une apostrophe « ô statue », qui dévoile l’émotion éprouvée par le sujet observateur. Par ailleurs, l’absence du motif du rapprochement sera compensée par la seconde métaphore in absentia, « Saphir blanc », au point que nous soulignons une métaphore filée dont chacune des images la composant éclaircit celle qui la précède. De plus, le point commun entre la statue et la femme est principalement la matière, puisque cette dernière est faite, selon le poète, d’une pierre précieuse, à savoir le saphir. Par conséquent, la peau féminine se caractérise par la brillance et la douceur, sans oublier de mentionner sa valeur inestimable, sans oublier de noter aussi l’éclat et la blancheur comme motifs de la métaphore. Le rapprochement des deux entités peut également être le mystère, flottant tout autour de la femme statue, en tant que caractère mis en lumière par le terme « masque ». De surcroît, nous revenons encore une fois à la chevelure, assimilée au sein de la dernière métaphore, par juxtaposition, à la « fourrure » pour insister davantage sur la douceur de la représentation féminine sculptée.

La femme est également une « reine » :

‘Madame, ceci est mon corps, ceci est votre trône.’ ‘(« Préface à une Mythologie Moderne », Le Paysan de Paris, p.13)’

Grâce au pronom démonstratif neutre « ceci », Aragon met en place une métaphore in praesentia, bâtie autour du verbe « être », dans le but d’identifier absolument son corps au siège de la souveraineté, en ce sens que ce dernier est dominé par la femme, plié sous sa volonté et soumis à ses désirs et ses souhaits. Aux mains de sa « reine », le mâle n’est qu’un objet.

Par un mouvement d’ascension, la créature féminine évolue pour accéder finalement au statut d’un dieu, celui des surréalistes, comme dans cet extrait :

‘Pâle pays de neige et d’ombre, je ne sortirai plus de tes divins méandres.’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.209)’

Elle est d’abord un paysage sacré, « Pâle pays de neige et d’ombre », mis en relief par une métaphore in absentia, dans la mesure où le thème n’est point mentionné, mais que nous pouvons discerner par l’intermédiaire du contexte, « la femme est dans le feu, dans le fort » (p.209). Quant aux sèmes contribuant à l’établissement du rapprochement, il est possible qu’ils soient la blancheur extrême de la neige, ainsi que sa froideur qui peut être dangereuse et même mortelle à l’image de la femme. En outre, l’alternance du clair et de l’obscur (neige / ombre) signale le caractère mystérieux et incompréhensible enveloppant la divinité féminine, qui tente l’homme, pour ensuite l’enchaîner par ses « divins méandres ».

Par la suite, elle n’est autre que le dieu même, devant lequel le poète paraît incapable de tracer les limites de la divinité. De ce fait, la sainteté de la femme dépasse les mots, tel qu’il l’exprime dans cet extrait :

‘Moi j’ai vu sortir de la crypte le grand fantôme blanc à la chaîne brisée. Mais eux n’ont pas senti le divin de cette femme. ’ ‘(« Le Sentiment de la Nature aux Buttes-Chaumont », Le paysan de Paris, p.215)’

Par une métaphore in absentia, dont le thème, « cette femme », apparaît dans la phrase suivante, le poète rapporte la scène d’une rencontre avec un être fantastique, « le grand fantôme blanc », tellement grand qu’il surpasse toutes les créatures et les domine, aussi fort qu’il rompt ses jougs. Cet être est un « fantôme », puisqu’insaisissable et hors toute atteinte, à la limite de la vie et de la mort tel un dieu ; il est aussi « blanc » parce qu’il est pur et parfait. Toutefois, ces qualités propres au dieu ne sont point discernables par les autres, ceux qui ne savent pas apprécier la véritable valeur de « cette femme », apparue avec retardement, pour garder le mystère. Dès lors, une double relation s’installe, d’une part, entre le poète et la femme, caractérisée essentiellement par la reconnaissance, et d’autre part, entre les autres, « eux », et l’être féminin, fondée en particulier sur l’ignorance. Dans cette optique, il ne faut pas oublier de mettre en lumière le rapport du poète avec ses semblables, dans lequel il se présente par opposition, se plaçant dans un rang supérieur. Il se félicite d’être le seul à distinguer le caractère divin et sacré de la femme, et par la suite, d’être le premier à lui offrir ses prières et ses invocations, dans le but de lui rendre hommage.

En effet, la sacralisation de la femme, ainsi que l’incroyable fascination dont font preuve les surréalistes, par le biais d’une imagerie particulière, révèlent principalement un besoin, celui d’une nouvelle religion où la femme incarne Dieu. Divinisée de la sorte, la femme semble située en dehors du temps, d’un côté, parce que placée au même rang que les dieux, et donc objet de culte qui ne doit être approché, et d’un autre côté, c’est qu’elle n’existe que pour être admirée, puisant de son être une rêverie éternelle.