La femme et l’amour

Parmi les moyens d’accéder à la surréalité, les surréalistes estiment que l’amour est l’un des plus considérables, alors que les autres écrivains l’ont souvent désigné comme un facteur de destruction. Ils font son éloge en lui accordant le statut d’une force incomparable, propre à leur faire vivre des moments favorables et à regagner l’exaltation disparue dans la société moderne. De ce fait, l’amour peut être considéré comme un mode exceptionnel de libération de l’homme, d’abord, des conventions et des impératifs moraux stérilisants qui pèsent sur lui, mais il lui permet aussi de laisser surgir ses fantasmes, et, par conséquent, d’apaiser sa culpabilité dans l’expression de ses désirs. D’une part, il s’agit d’un principe dynamique qu’il n’est pas possible de brider, et d’autre part, il est un principe révolutionnaire, comme le dit Aragon, puisqu’« il y a […], dans l’amour, un principe hors la loi, un sens irrépressif du délit, le mépris de l’interdiction et le goût du saccage » (Le Paysan de Paris). En effet, l’amour abolit les tabous et les contraintes exigées par une société bâtie sur des valeurs erronées, particulièrement dans l’intention de créer un nouvel ordre, l’unique qui soit véritable, parce que soucieux des envies profondes de l’être humain. Révolutionnaire, ce sentiment renferme aussi une valeur morale, dans la mesure où il a lancé un mouvement de libération de la femme qui se poursuit jusqu’à notre siècle, au point que nous pouvons dire que l’amour participe aussi bien à la réalisation du progrès moral que culturel.

Chez les surréalistes, l’amour est aussi envisagé comme la voie par excellence qui guide à la révélation de soi, à la connaissance de sa propre vérité et de son essence, puisqu’il place l’individu dans des conditions exceptionnelles, et le mène, en conséquence, vers la sublimation, grâce à la relation de l’homme avec l’autre, la femme. Cette dernière rend possible l’accès à un monde authentique et concret, où chacun découvre sa nature profonde, et par lequel on parvient au paradis perdu de l’unité, au moyen de la reconstitution d’un androgyne mythique, et c’est ce qui a été confirmé dans une enquête effectuée dans La Révolution Surréaliste :

‘Ce mot amour auquel les mauvais plaisants se sont ingéniés à faire subir toutes les généralisations, toutes les corruptions possibles (amour filial, amour divin, amour de la patrie…) inutile de dire que nous le restituons, ici, à son sens strict et menaçant d’attachement total à un être humain, fondé sur la reconnaissance impérieuse de la vérité, de notre vérité ‘’dans une âme et dans un corps’’ qui sont l’âme et le corps de cet être. 711

Cette révélation de l’essence n’est possible qu’aux yeux de la femme aimée et adorée, vu que le poète, à la fois, se reconnaît et identifie son élue dés un premier croisement de regards. Par ailleurs, la femme délivre l’homme de la médiocrité du quotidien parce qu’elle inspire le mystère, d’autant plus qu’elle le guide vers le merveilleux, et le rend capable de se surpasser lui-même. De plus, en tant que médiatrice à l’origine de la passion, elle devient l’avenir de l’homme, son salut et son destin.

En conséquence, Aragon accorde à l’amour un intérêt considérable, comme il le déclare dans la Préface au Libertinage :

‘je ne fais pas de difficulté à le reconnaître : je ne pense rien, si ce n’est à l’amour […] Il n’y a rien pour moi, pas une idée que l’amour n’éclipse. Tout ce qui s’oppose à l’amour sera anéanti s’il ne tient qu’à moi. 712

Il le considère comme un moyen de vivre le surréalisme, puisque l’attachement à l’autre délivre l’individu et lui indique la voie vers la fusion du réel et de l’imaginaire, vers un accès au merveilleux, dont l’origine n’est autre que la passion, tel qu’il le déclare :

‘J’entrais dans cet univers concret qui est fermé aux passants, l’esprit métaphysique pour moi renaissait de l’amour. L’amour était sa source, et je ne veux plus sortir de cette forêt enchantée. ’ ‘(Le paysan de Paris, p.242).’
Notes
711.

La Révolution Surréaliste, n°12, décembre 1929.

712.

L. ARAGON, Préface à l’édition de 1924, Le Libertinage, Œuvres romanesques Complètes I, Paris, Gallimard 1997, p.271.