Le voyage

A la suite d’une guerre sanglante à laquelle ils ont participé par obligation, les surréalistes choisissent d’agir, d’un côté, par un mouvement de contestation par rapport à tout ce qui existait auparavant, et d’un autre côté, par l’intermédiaire d’un penchant vers la fuite, loin du monde des réalités. Cette évasion a pris la forme d’un voyage « surréaliste », dont la destination et le champ d’activité ne sont autre que la ville de Paris, et au cours duquel ils aspirent à métamorphoser la médiocrité du quotidien en merveilles, d’où, l’exemple suivant :

‘Yeux fermés à jamais sur le paysage de cristaux et de microbes Nous passons d’un pays d’image à une éternité de chaux vive Joli voyage.’ ‘(« Les étoiles à mille branches », Ecritures Automatiques, p.151)’

Nous constatons la présence de trois types de lieux représentés chacun grâce à une métaphore déterminative. Ils retracent un parcours d’exploration : en premier lieu, le poète mentionne un lieu dénié, qu’il doit aussitôt quitter, comme le suggère l’emploi du mot « microbes », qui, associé à « cristaux », garde pourtant sa connotation péjorative. En second lieu, il traverse un espace intermédiaire, « un pays d’image », composé par des tableaux imaginaires. En dernier lieu, il accède à la destination finale, « une éternité de chaux vive ». Et pour l’essentiel, le poète identifie la totalité de son itinéraire à un « joli voyage ».

Le voyage est cependant imaginaire, dans la mesure où il est question, à chaque fois, d’un théâtre fantastique qui se reconstitue dans la devanture d’un magasin, à travers laquelle le héros accomplit un voyage fictif, grâce aux objets évocateurs du monde irréel. Voyager consiste donc à recenser et explorer des hauts lieux chargés d’une incroyable force poétique, au point que les surréalistes se laissent guider par le hasard, vers des rencontres surprenantes.

En effet, le voyage citadin doit se faire dans le domaine métaphysique, en ce sens que les surréalistes proposent d’explorer aussi bien le rêve ou l’inconscient, en tant que domaines de l’esprit humain situés en dehors du règne de la logique, que la ville parisienne, vu qu’elle leur permet d’accéder au merveilleux, à l’inconnu, à l’irrationnel et à l’inquiétant. De ce fait, nous pouvons dire qu’ils ont eu le mérite de tenter de voir ce que les autres ne savent pas percevoir dans leur capitale, essentiellement en pratiquant l’art de flâner dans un style particulier, exaltant leur lyrisme urbain.