Conclusion

Dans cette troisième partie, nous avons traité la métaphore selon d’autres perspectives qui nous ont paru intéressantes. En premier lieu, nous avons justifié qu’il existe un lien étroit entre l’émetteur (l’auteur), le récepteur (le lecteur) et l’objet de leur communication (le texte, et plus précisément la figure de la métaphore). En effet, si l’œuvre d’Aragon est une œuvre « vivante », elle dépasse l’interprétation unique, accepte des lectures diverses et permet de diversifier les possibilités interprétatives, renouvelables suite à toute participation active d’un lecteur nouveau. Celui-ci, même s’il est induit en erreur face à des métaphores incompréhensibles, choqué par des combinaisons insolites de mots, dérouté à cause des visions surréelles, il est impérativement appelé à abandonner son état premier de surprise et intervenir dans le texte, afin d’interpréter l’image métaphorique et saisir le motif du rapprochement des « deux réalités » ou des « deux objets » aussi éloignés que possible.

Cependant, ce récepteur est souvent confronté à des difficultés, quant à l’identification et à l’interprétation des métaphores inventées par Aragon, en raison de plusieurs facteurs qui sont à l’origine d’un tel blocage. Parmi ces paramètres, nous avons estimé que l’introduction du hasard, le recours à l’écriture automatique, à l’inspiration onirique, aux jeux de mots agissent de sorte que les métaphores aragoniennes soient hermétiques.

Par ailleurs, la suppression des connecteurs, l’absence de la ponctuation, les blancs qui surgissent dans le texte constituent autant d’obstacles à la compréhension, dans la mesure où ils témoignent d’une nouvelle syntaxe et apparentent l’écriture d’Aragon à celle automatique où l’homogénéité de la coulée verbale importe plus que la discontinuité du sens et de l’expression. Par conséquent, intégrée dans un enchainement sans interruption, la métaphore semble difficile à délimiter, et, par la suite à expliquer, sauf dans le cas où la ponctuation est remplacée par des majuscules qui précisent les limites de chaque proposition, et donc, de chaque image, plus facile à interpréter séparément.

D’un autre côté, il n’est aucunement évident de deviner les motifs à l’origine de l’association des composants de la métaphore, d’autant plus qu’il est souvent question d’une métaphore « vive », subjective et inventée exclusivement par l’auteur. De ce point de vue, la métaphore d’Aragon est loin d’être arbitraire, à l’instar de l’image surréaliste, puisqu’elle renferme souvent des sèmes communs entre le thème et le phore, et que nous pouvons à la fin découvrir.

En second lieu, nous avons démontré que la dichotomie sens propre / sens figuré contribue à la fois à la mise en place de la métaphore, à expliciter son fonctionnement en permettant de dépasser souvent l’ambiguïté sémantique que la figure installe dans le texte. En effet, la métaphore repose sur une corrélation de ces deux pôles, et précisément elle met en valeur le figuré (le niveau connotatif) et réfère au propre (le niveau dénotatif). En d’autres termes, cette figure opère un passage de l’objectif pur (le sens propre) au subjectif (le sens figuré), pour correspondre de la sorte à un « instrument de création de sens » et offrir une représentation inédite et curieuse du monde.

Dans ce cadre, nous soulignons l’originalité d’Aragon par rapport aux autres surréalistes, dans la mesure où il conserve la distinction entre « propre » et « figuré », alors qu’ils remplacent cette dichotomie par une association analogique arbitraire des « mots », plutôt que des idées, dans la construction de leurs images.

En outre, nous avons vérifié que le contexte autorise avec plus de facilité de distinguer le sens propre du figuré, et, par conséquent, de préciser s’il s’agit d’une métaphore ou non, et par la suite de l’interpréter avec succès. Pour décider donc s’il est question d’un sens littéral ou d’un sens figuré, il est essentiel de voir si une expression donnée s’accorde avec son contexte linguistique ou s’il existe une discordance entre les deux éléments. Ainsi, dans le premier cas, le sens est littéral, dans le second, il est non littéral.

Cependant, le cadre linguistique contribue à maintenir l’ambiguïté qui caractérise une métaphore « surréaliste », en particulier lorsqu’il autorise plusieurs interprétations, face à lesquelles le récepteur hésite à choisir l’une d’entre elles, ou au contraire, lorsqu’il installe l’impossibilité d’adopter une sélection précise et nécessaire à l’éclaircissement du sens de la phrase.

Dans cette perspective, nous insistons sur le fait qu’Aragon rejette, d’une part, une volonté constante d’interprétation, en ce sens qu’il s’oppose à la recherche d’un sens caché dans les textes surréalistes, alors que, d’une autre part, il ne soutient pas le non-sens des textes avant-gardiste, ni leur caractère obscur. Il dénonce l’incompréhension à laquelle sont confrontées les productions dadaïstes et surréalistes, en indiquant que l’obscurité apparente de ces textes est un mode de signifier, d’autant plus que le sens, pour lui, n’est pas définitif, sollicitant une quête de l’intelligibilité étroitement lié au signifié et une acceptation de l’inconnu dans le sens.

Dans un deuxième chapitre, nous avons regroupé les métaphores selon des réseaux sémantiques qui constituent les piliers de l’univers inventé par Aragon. Cette étude permet de démontrer que le matériel métaphorique intervient dans le développement thématique, de relever les thèmes les plus souvent traités métaphoriquement et d’apercevoir en même temps vers quels domaines s’orientaient les associations que l’auteur met en place. Par conséquent, nous avons discerné la présence des leitmotive, ainsi que la récurrence de plusieurs images.

Dans un premier temps, nous avons mis en lumière le rapport entre la métaphore et la métamorphose, conformément à la pratique surréaliste qui exalte les processus de mutations même les plus étranges, par le biais d’images syntaxiques qui modifient la vision habituelle des différents éléments au moyen d’une création lexicale poétique, d’autant plus que les deux procédés établissent des transformations, des altérations de la forme et des passages au-delà d’un état actuel. De ce fait, un troisième pôle semble adéquat à ce système binaire, à savoir le mythe, qui repose à son tour sur un principe de changement.

La métamorphose est une composante essentielle des œuvres d’Aragon, qui, pour réaliser la plupart des transformations qu’il provoque instantanément, recourt souvent à la métaphore. Au moyen de cette figure, il assemble, d’une manière inattendue et fortuite, des objets distincts, il fait passer ses créations d’un état à un autre (particulièrement de l’abstrait au concret, en particulier) sans avertir ses lecteurs déroutés par des modifications surnaturelles, et il invente des êtres et des objets insolites et exceptionnels, pour qu’ils peuplent aussi bien l’espace textuel que citadin. En outre, métaphore et métamorphose suscitent, d’une part, la curiosité du lecteur, et d’une autre part, elles donnent libre cours à une imagination fantaisiste et débordante. Dès lors, elles installent une vision imagée du monde, en reliant une réflexion sur le langage avec une représentation poétique, et aboutissent donc à une dissolution des frontières et une élimination des distinctions la réalité et le fantastique.

Quant au mythe, il est souvent réalisé grâce à la métaphore et à la métamorphose, en ce sens que la première contribue à accomplir la deuxième, alors que celle-ci constitue le fondement des légendes antiques, d’autant plus qu’Aragon a élaboré une « mythologie moderne », essentiellement au moyen d’une écriture créative et imagée. Il réutilise les légendes mythiques, les réinvente à nouveau en les associant à des mythes contemporains, aussi bien qu’à d’autres de son invention, pour les introduire ensuite dans la ville, transformée en un olympe moderne. Dans cette optique, nous pouvons avancer que l’auteur enrichit son texte par un héritage mythologique, qu’il enrichit à son tour en lui apportant des modifications créatives, en se basant sur la figure de la métaphore.

Par ailleurs, par la métamorphose, il détruit en permanence le connu et crée infiniment le nouveau, insolite et original, surtout lorsqu’il ne se limite pas à transformer le monde extérieur, mais encore il modifie son moi intérieur, et fait passer l’écriture d’une simple représentation à une métamorphose, fondée essentiellement sur des modifications permanentes au niveau des sons, des lettres et des mots.

En ce qui concerne les deux thèmes qui nous ont paru des plus récurrents dans l’œuvre aragonienne, nous sommes parvenue à justifier que les associations métaphoriques aragoniennes s’articulent autour d’un même motif thématique.

D’un côté, la femme est fastueusement célébrée, grâce à un nombre considérable de métaphores diverses, qui la représentent tel qu’un médiateur primordial entre le poète et le monde qu’il décrit, comme la manifestation absolue de l’infini, et surtout en tant que source de l’Amour unique.

D’un autre côté, au moyen du procédé métaphorique, Aragon modifie le monde extérieur, et en particulier la ville parisienne, en mettant en place une nouvelle poétique du paysage urbain, fondée sur une fusion d’éléments réels et d’autres imaginaires, par l’intermédiaire d’un regard neuf, capable de saisir une touche du merveilleux dans le spectacle quotidien. Dès lors, le cadre citadin se métamorphose en un espace où foisonnent des visions oniriques, des créatures inédites, et dans lequel le « je » accède à une connaissance concrète, située en dehors du règne de la logique, et où l’inconnu et l’irrationnel envahissent l’espace aussi bien intérieur qu’extérieur.