Introduction Générale

Notre début de XXIème siècle est marqué par des phénomènes démographiques particuliers. En effet, la plupart des pays industrialisés voient leur population vieillir considérablement. Quels que soient les hypothèses et scénarii démographiques, la croissance de la population des personnes âgées est plus importante que celle des jeunes. Les générations du baby-boom, nées entre 1945 et 1965 atteindront l’âge de 65 ans entre 2010 et 2030. En France, si les tendances démographiques actuelles se maintiennent, on estime qu'au cours des 50 prochaines années, la population des plus de 65 ans augmentera d'environ dix millions d'individus. C'est dans le plus haut de la pyramide des âges que la croissance sera la plus spectaculaire. En effet, l'effectif des 75-85 ans triplera d'ici à 2050, et celui des plus de 85 ans va quadrupler .

Par ailleurs, l’amélioration de l’état général de santé des personnes vieillissantes et l’augmentation du nombre de conductrices âgées – les femmes ayant leur permis aujourd’hui dans la même proportion que les hommes – vont entrainer un accroissement considérable du nombre de conducteurs âgés, ceci dans un contexte d’augmentation générale du trafic. Cette augmentation du nombre de conducteurs âgés interroge à la fois les pouvoirs publics et la communauté scientifique parce qu’elle peut s’accompagner d’une augmentation du risque d’accident. Bien qu’il existe encore à l’heure actuelle un débat concernant les données accidentologiques , il semblerait que le risque d’accident augmente avec l’âge et que les conducteurs de plus de 65 ans ont un risque d’accident quasiment équivalent à celui des jeunes conducteurs . Ce qui interroge la communauté scientifique concerne les raisons de cette probabilité accrue d’accident dans le vieillissement. Si l’on sait que chez les jeunes conducteurs, ce sont les facteurs de manque d’expérience et de prise de risque plus importante qui entraînent une accidentologie plus importante, on estime que ce sont plutôt les modifications du système cognitif qui interviennent dans les modifications de comportement des conducteurs âgés. En effet, la conduite automobile qui semble être, pour la plupart des gens, une activité banale, routinière et tout à fait automatique est en réalité une activité complexe qui fait intervenir le système cognitif à tous les niveaux.

Grâce aux travaux réalisés par la psychologie cognitive, qui s’est intéressée à cette activité, on sait aujourd’hui que, bien qu’un grand nombre de ses aspects soient effectivement automatisés et qu’ils interviennent sans prise de conscience, il reste une part importante de cette activité qui doit s’effectuer sous un contrôle cognitif important. Cette notion de contrôle cognitif fait référence à celle de « contrôle exécutif ». En effet, le système exécutif est un système cognitif de haut niveau qui a pour rôle principal de faciliter l’adaptation du sujet à des situations nouvelles ou non routinières, lorsque les stratégies automatiques et les routines d’actions ne suffisent pas à gérer la situation en cours .

L’activité de conduite requiert en permanence que le conducteur fasse appel à des routines d’actions bien automatisées, pour la gestion des commandes par exemple, mais aussi qu’il puisse ajuster son comportement et mettre en place des adaptations lorsqu’une situation inhabituelle survient. Le fonctionnemment exécutif est le système qui va prendre en charge cette adaptation pour permettre la gestion de la situation. En effet, la plupart du temps et ce, sous l’effet de l’expérience, la conduite consiste en des séquences comportementales stéréotypées et automatiques mais il est également nécessaire d’effectuer des retours fréquents à des séquences qui sont sous le contrôle exécutif et attentionnel . Il nous parait donc essentiel de nous intéresser spécifiquement au fontionnement exécutif afin de mieux comprendre comment il intervient pendant la conduite automobile.

Par ailleurs, le vieillissement cognitif s'accompagne de modifications plus ou moins importantes d’un point de vue physique, psychologique et cognitif. Un nombre croissant d’études tendent à montrer que le système exécutif est également sensible aux effets du vieillissement, mais des interrogations subsistent en ce qui concerne les aspects spécifiques du fonctionnement exécutif qui seraient modifiés dans le vieillissement. En outre, lorsque l’on envisage le vieillissement cognitif, il est important de tenir compte des formes pathologiques qui peuvent l’accompagner. Les pathologies cognitives peuvent concerner différents processus, tels que l'attention, le langage, la mémoire ou encore le fonctionnement exécutif. La pathologie cognitive qui touche le plus les adultes âgés est la maladie d'Alzheimer . Cette maladie touche en France près d’un million de personnes et a récemment été déclarée grande cause nationale par le gouvernement. Dans ses stades avancés, cette démence entraîne en effet une dépendance et une perte d’autonomie importantes du patient. En revanche, dans le début de la maladie, le patient a peu conscience de ses déficits et tient particulièrement à son indépendance.

Cette démence dégénérative se définit par un déclin des capacités de mémoire, de langage, mais aussi du système exécutif. Si dans les stades avancés de maladie d'Alzheimer, l’arrêt de la conduite se fait de manière relativement naturelle, ce n’est pas le cas dans les stades débutants de la maladie où le patient n’a pas conscience de ses déficits et se trouve en forte demande d’autonomie. C’est pourquoi, comme pour le vieillissement normal, des questions se posent sur le risque d’accident de ces conducteurs et sur les causes de cet éventuel sur-risque.

Dans ce contexte, il nous parait important de nous intéresser, à la fois, à la manière dont la conduite automobile implique les fonctions exécutives et aux conséquences de la dégradation du fonctionnement exécutif sur l’activité de conduite, dans le vieillissement normal ainsi que dans le vieillissement pathologique. Nous nous plaçons dans le cadre de l’approche neuropsychologique, qui cherche à investiguer un système en étudiant les effets de sa dégradation. Nous allons donc chercher à mieux comprendre comment les fonctions exécutives interviennent dans la conduite automobile en nous intéressant aux conducteurs vieillissants. Notre travail de recherche présente à la fois des aspects fondamentaux d’amélioration des connaissances concernant l’implication des fonctions cognitives dans la conduite automobile et des aspects appliqués, permettant de mieux appréhender le vieillissement normal et le vieillissement pathologique en vue de proposer des outils de dépistage des conducteurs à risque.

Présentation du document

Ce document est composé de deux parties distinctes, l’une concernant le contexte théorique, l’autre ayant pour but de présenter notre travail expérimental.

La première partie est scindée en trois chapitres. Nous exposerons dans un premier temps ce que représentent les fonctions exécutives, ainsi que notre choix théorique qui s’est porté sur la modélisation de Miyake et al. . Puis, nous présenterons la conduite automobile en tant qu’activité cognitive et nous nous focaliserons sur l’implication des mécanismes exécutifs. Dans le second chapitre, nous nous intéresserons au vieillissement cognitif et plus particulièrement au vieillissement du fonctionnement exécutif, puis nous tenterons de mettre en lien ces aspects avec ceux de la conduite automobile. Enfin, le troisième et dernier chapitre de cette présentation théorique sera consacré à la présentation de la maladie d'Alzheimer. Nous observerons le même déroulement théorique que pour le vieillissement normal, en présentant d’abord les effets cognitifs de cette démence dégénérative en se focalisant également sur le fonctionnement exécutif, puis nous nous intéresserons à la littérature concernant la conduite automobile chez les patients avec maladie d'Alzheimer.

La seconde partie de notre travail présentera nos expérimentations et les résultats obtenus. Le premier chapitre consistera à présenter en détails le matériel utilisé, d’une part une batterie neuropsychologique d’évaluation du fonctionnement exécutif, d’autre part une expérimentation sur simulateur de conduite. Trois échantillons de participants seront comparés, des conducteurs jeunes, des conducteurs âgés en bonne santé et des conducteurs en stade précoce de maladie d'Alzheimer.

Le second chapitre sera consacré à l’analyse des résultats concernant l’évolution des fonctions exécutives dans le vieillissement, d’un point de vue neuropsychologique, puis nous analyserons les résultats concernant les expérimentations en situation de conduite. Enfin, nous comparerons les résultats obtenus par les jeunes conducteurs à ceux obtenus par les conducteurs âgés sains.

Le troisième chapitre sera consacré à l’analyse des résultats obtenus par les patients avec maladie d'Alzheimer, dans lequel nous comparerons les résultats obtenus par les patients à ceux obtenus par les conducteurs âgés en bonne santé.

Nous discuterons ces résultats et les replacerons dans leur contexte scientifique et méthodologique. Enfin nous proposerons quelques perspectives de poursuite de ce travail, concernant à la fois les aspects fondamentaux d’amélioration des connaissances sur l’implication des fonctions exécutives dans la conduite automobile et concernant les aspects appliqués, en vue de proposer des outils d’évaluation et/ou de réadaptation à la conduite automobile pour des patients avec déficits cognitifs.