1.1. Naissance du concept : du syndrome frontal au syndrome dysexécutif
1.1.1. Repères historiques

Historiquement, l’étude du rôle du cortex frontal a débuté avec la description des troubles comportementaux du cas Phineas Gage, par son médecin, Harlow en 1868. Phineas Gage travaille à cette époque à la construction d'une ligne de chemin de fer. Suite à une explosion, une barre de fer (une barre à mine) lui traverse accidentellement le crâne et provoque des lésions frontales importantes. Il survit cependant à son accident et ne conserve que peu de séquelles physiques (troubles visuels). Mais alors qu’il était jusqu'à ce moment considéré comme sociable et fiable, cette blessure semble avoir eu des effets importants sur son comportement. Son humeur changeante, son tempérament devenu grossier et capricieux lui font changer souvent de travail. Lorsque ce cas est rapporté à la communauté scientifique, il provoque des changements dans la perception de la fonction et de la segmentation du cerveau en ce qui concerne les émotions et la personnalité (localisation des fonctions). Cependant, aucun élément n’a été décrit à cette époque concernant les capacités intellectuelles de Gage. Son médecin explique seulement que Gage avait de grandes difficultés quand il s’agissait de prendre des décisions, aussi simples que celle consistant à choisir un menu sur la carte d’un restaurant, et qu’il avait également des difficultés à planifier ses activités et à arriver à l’heure à son travail .

Puis, de la fin du dix-neuvième jusqu’à la moitié vingtième siècle, le concept de « troubles frontaux » tombe dans l’oubli. Il faudra attendre la deuxième moitié du vingtième siècle et les blessés de la Seconde Guerre Mondiale pour que réapparaissent la notion de syndrome frontal et son versant cognitif avec les travaux de Luria dans les années soixante . Luria s’est en effet vivement intéressé aux structures cérébrales frontales et au rôle qu’elles jouent dans la cognition humaine. Il a proposé une décomposition du cerveau en trois unités fonctionnelles distinctes : la première inclut la partie supérieure du tronc cérébral et le lobe limbique et joue un rôle dans les processus affectifs et la motivation ; la seconde comprend la partie postérieure du cortex, elle traite et stocke les informations externes et la troisième est constituée par le cortex frontal et a pour rôle de « programmer, réguler et contrôler les mouvements et l’activité » . Par ailleurs, lorsqu’il s’est intéressé à l’étude des grandes fonctions cognitives, Luria a proposé une approche systémique de la fonction . En effet, selon lui, les grandes fonctions cognitives humaines représentent des « systèmes fonctionnels » et impliquent la mise en jeu de « facteurs » différents, chaque facteur pouvant intervenir dans différents systèmes fonctionnels. Avec cette approche, Luria pose les bases des études neuropsychologiques du fonctionnement cognitif et plus particulièrement du fonctionnement des lobes frontaux . Il a plus spécialement concentré ses recherches sur cette troisième unité du cerveau. En effet, c’est à ce niveau que s’élabore la programmation des actions les plus complexes et que s’effectue le contrôle de leur réalisation. Le modèle proposé par Luria repose sur quatre étapes fondamentales, (1) l’analyse des données initiales, (2) l’élaboration et l’organisation des activités programmées, (3) l’exécution du programme et (4) la comparaison entre l’action réalisée et le plan d’action initial. Avec Luria, le cortex préfrontal prenait donc son rôle d’intégrateur des habiletés cognitives et de contrôle pour la résolution de problèmes .

Néanmoins, le terme de « fonctions exécutives » n’apparaîtra que beaucoup plus tard sous la plume de Lezak pour qui les fonctions exécutives comprennent les « capacités mentales nécessaires pour formuler des buts, élaborer des plans et les capacités permettant de les exécuter effectivement » . Lezak a également consacré une grande part de ses recherches à l’étude et à l’évaluation des fonctions exécutives . En français, c’est le terme de fonctions « exécutives » qui est resté, mais il provient évidemment de l’anglais « executive », ce terme signifiant plus exactement qu’il s’agit de fonctions de « contrôle » ou de fonctions « d’administration » plutôt que de fonctions « d’exécution ».