1.2. Ressources générales et vitesse de traitement

La notion de diminution de la vitesse de traitement au cours du vieillissement normal a été largement décrite dans la littérature depuis les travaux princeps de Salthouse . Selon Salthouse, la vitesse de traitement constitue un des mécanismes les plus importants à étudier pour comprendre les altérations du fonctionnement cognitif des adultes âgés. En effet, il semble que les différences observées dans le vieillissement dans un bon nombre de tests cognitifs ne soient pas indépendantes, et que ces tâches partagent plus de 50% de variance liée à l’âge . Ce résultat indique que les différences observées entre adultes jeunes et adultes âgés dans des tâches cognitives ne peuvent pas être exclusivement attribuées aux processus cognitifs eux-mêmes, mais qu’elles sont déterminées par un autre facteur, le facteur de ralentissement de la vitesse de traitement des informations. Verhaeghen et Salthouse ont réalisé une méta-analyse à partir de 91 études préalablement publiées sur le vieillissement cognitif. Ils rapportent que le meilleur modèle qui ressort de cette analyse est un modèle à un facteur, représentant la vitesse de traitement et qu’il s’agit du meilleur facteur expliquant les différences liées à l'âge dans les autres processus cognitifs, tels que la mémoire, le raisonnement ou les capacités spatiales.

Par ailleurs, quelques recherches récentes indiquent également que le ralentissement de la vitesse de traitement prédit la diminution des performances à des tâches mesurant le fonctionnement exécutif, telles que le WCSTou dans les tests de fluence verbale . Vitesse de traitement et fonctions exécutives sont donc très liées. Isingrini suggère deux hypothèses sur le lien entre la vitesse de traitement et les fonctions exécutives : « soit la vitesse de traitement est une limite fondamentale du fonctionnement exécutif, soit vitesse et fonctions exécutives reflètent un même processus cognitif général » . Le débat n’est pas encore résolu à l’heure actuelle et des efforts de recherches devront être effectués dans ce sens. Plusieurs recherches ont pourtant déjà montré que dans différentes tâches cognitives, de mémoire par exemple, les différences de performances entre jeunes et âgés s’expliquaient mieux par un facteur de fonctionnement exécutif que par un facteur de ralentissement de la vitesse de traitement .

En résumé, la Théorie de la vitesse de traitement, proposée par Salthouse, suggère que la vitesse de traitement (définie comme la vitesse à laquelle les opérations cognitives élémentaires sont réalisées pour gérer une situation) est le meilleur facteur permettant d’expliquer les altérations cognitives du vieillissement. En effet, les traitements cognitifs reposent sur deux caractéristiques importantes : d’une part, les informations nécessaires à la réalisation des traitements cognitifs sont disponibles toutes simultanément et d’autre part, elles le sont dans un temps limité. En d’autres termes, lorsque la vitesse de traitement est réduite, le sujet ne dispose plus du temps nécessaire pour réaliser le traitement cognitif de la situation car les informations disponibles en mémoire de travail doivent être traitées rapidement, le temps de traitement étant limité et ces informations risquant de se dégrader, d’être oubliées ou simplement de ne plus être pertinentes pour la situation actuelle.

Cependant, on relève aujourd’hui dans la littérature sur le vieillissement, des données qui nous incitent à suggérer que la vitesse de traitement ne peut pas être considérée comme le seul prédicteur des effets de l’âge sur les performances cognitives. En effet, plusieurs études ayant pour but de mettre en relation une fonction cognitive spécifique, le fonctionnement exécutif et la vitesse de traitement, ont montré que la diminution de la vitesse de traitement pouvait être un bon facteur explicatif, mais pas toujours suffisant. Par exemple, Bugaiska et al.ont tenté de trouver les acteurs responsables du déclin des performances de la mémoire dans le vieillissement. Grâce à une analyse de régression, ces chercheurs ont montré que la vitesse de traitement expliquait une part non négligeable de la performance, mais que lorsque l’on mettait en concurrence le fonctionnement exécutif et la vitesse de traitement dans l’analyse de régression, c’était alors le fonctionnement exécutif qui était le meilleur facteur explicatif (et le seul significatif) pour expliquer le déclin des performances de mémoire lié à l’âge. Ces auteurs ajoutent que, pour des recherches futures, il serait intéressant d’étudier la nature spécifique des processus exécutifs impliqués en utilisant des modélisations récentes du contrôle exécutif. En effet, leur étude utilisait comme seule mesure du fonctionnement exécutif, le nombre d’erreurs persévératives réalisées dans le WCST. D’autres études utilisant les mêmes méthodes d’analyses ont également montré que, bien que le facteur de vitesse de traitement soit un facteur important à ne pas oublier dans les analyses , le facteur de contrôle exécutif s’avère être un meilleur prédicteur des déclins liés à l’âge .

Plus récemment, Salthouse a suggéré de distinguer « processes » (processus) et « products » (produits) cognitifs. Les processus cognitifs renvoient à l’efficacité du traitement de l’information au cours de la situation, alors que les produits renvoient aux connaissances accumulées à partir des expériences passées. Produits et processus ne sont donc pas indépendants puisque les produits cognitifs sont acquis par le biais des processus et que la quantité de produits accumulés influence l’efficacité des processus. Les processus cognitifs, tels que le raisonnement, l’orientation spatiale ou la vitesse de traitement déclineraient avec l’âge, alors que les produits se maintiendraient dans le vieillissement .

En définitive, la théorie de la diminution des capacités et de la vitesse de traitement est une théorie qu’il ne faut pas négliger dans les études neuropsychologiques sur le vieillissement normal mais, dans le cas présent, il nous semble plus pertinent de nous intéresser aux déclins spécifiques des capacités exécutives afin de mieux comprendre en quoi elles sont liées à l’activité de conduite automobile.