2.1. Données démographiques et accidentologiques

Nous avons souligné précédemment que le vieillissement de la population dans les pays industrialisés était un fait inéluctable. En effet, en raison d’un allongement de la durée de vie en bonne santé et de l’augmentation du nombre de personnes âgées de plus de 65 ans (suite au baby-boom) on observe aujourd’hui ce que les démographes appellent le phénomène de « vieillissement démographique » . Cependant, le terme de vieillissement est ambigu, il reflète à la fois le processuset son résultat : c’est parce que les personnes constituant une population vieillissent individuellement que la population vieillit dans sa globalité. Cependant, bien que le vieillissement individuel soit inéluctable, le vieillissement de la population ne l’est pas si le poids des naissances est suffisamment important . Mais même si le poids des naissances venait subitement à augmenter en France, le nombre de conducteurs âgés augmenterait tout de même en raison notamment de l’augmentation à venir du nombre de conductrices âgées car les femmes plus jeunes ont aujourd’hui leur permis dans la même proportion que les hommes, ce qui n’était pas le cas il y a quelques dizaines d’années .

On attribue généralement au conducteur âgé des qualités comme l’expérience, la prudence, et des comportements tels que le respect des règles de conduite et une réduction de la prise de risque . Cependant, un certain nombre d’études ont montré que le risque d’accident était plus important chez les âgés que chez les jeunes et en cas d’accident effectif, la gravité des blessures est plus importante chez les âgés . Caird et al.indiquent que 50 % des accidents des conducteurs âgés interviennent aux intersections, contre seulement 23 % chez les conducteurs plus jeunes. Fontaine indique également un risque aggravé pour les conducteurs de plus de 65 ans, ainsi qu’une gravité lésionnelle plus importante. Dans cette revue de littérature sur la conduite automobile chez les seniors, elle rapporte également les différentes caractéristiques retrouvées principalement lors des accidents impliquant les conducteurs âgés : homme retraité non alcoolisé, en trajet de loisirs avec un passager, l’accident intervient généralement de jour et souvent en intersection .

Une étude américaine suggère même des projections alarmantes pour les 20 prochaines années, indiquant qu’avec l’augmentation du nombre de conducteurs âgés et l’augmentation de la densité du trafic, d’ici à 2030, le nombre de conducteurs âgés impliqués dans un accident fatal risque d’augmenter de 155% et les conducteurs de plus de 65 ans représenteront 54% du nombre de tués sur les routes. Ces projections ne tiennent compte que des facteurs actuels et ne prennent pas en considération les améliorations possibles des conditions de circulation et les restrictions à envisager pour les conducteurs à risque .

De plus lorsque l’accident intervient en intersection, le conducteur âgé est la plupart du temps considéré comme responsable de la survenue de l’accident . L’intersection semble être un point important à souligner dans le cadre des études portant sur le vieillissement de la conduite automobile. Zhang et al.ont comparé les circonstances de la survenue d’accidents au sein de trois groupes d’âge (jeunes, âge moyen et séniors). Les auteurs notent que les circonstances d’accident différent significativement entre le groupe le plus jeune et le groupe le plus âgé et si le nombre d’accidents ne varie pas entre jeunes et âgés au niveau des intersections protégées, les conducteurs âgés ont plus d’accidents que les jeunes au niveau des intersections non protégées. Nous pensons que cette situation implique des processus cognitifs particuliers, commeles composantes exécutives, sur lesquels nous reviendrons dans le présent travail.

Cependant, les études ayant pour but d’évaluer un potentiel sur-risque d’accident dans le vieillissement font encore débat à l’heure actuelle, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Plusieurs études ont en effet montré que si l’on prend en compte la réduction du nombre de kilomètres parcourus, le risque d’accident n’est en fait pas plus élevé chez les conducteurs âgés que chez des conducteurs plus jeunes . Par ailleurs, il semble que les conducteurs âgés mettent en place des processus de compensation en évitant certaines situations de conduite (pluie, trafic important…) ou en réduisant leur vitesse . Comme l’indiquent également Charlton et al.les processus impliqués dans l’autorégulation et la compensation sont des processus complexes. Vance et al. ont également montré à l’aide d’une analyse factorielle que les conducteurs âgés conscients de certains de leurs troubles perceptifs ou cognitifs limitaient par eux-mêmes l’utilisation de leur véhicule, même si les troubles réellement observés étaient mineurs . Ils indiquent également que la perception par les conducteurs âgés de leurs déficits cognitifs était un facteur plus prédictif des modifications d’habitudes de conduite que les déclins de la santé en général, bien que les conducteurs rapportent plus souvent une dégradation de leur santé que de leurs capacités cognitives. Ce résultat montre que les processus de compensation mis en place par les conducteurs interviennent relativement tôt. De plus, les conducteurs âgés sont de plus en plus enclins à accepter des régulations venant de l’extérieur (ministère, médecins…) si ces régulations sont présentées de manière positive . En effet, cette étude indique que sur onze types de régulations proposées allant de « autorisé à conduire avec une vue corrigée » à « autorisé à conduire dans un périmètre de 10 km autour du foyer », les participants en acceptent six. En outre, les conducteurs acceptent d’être évalués régulièrement dans un centre spécifique du permis de conduire. Cependant, les auteurs indiquent que le terme « assessment » a été beaucoup mieux accepté par les participants que le terme « evaluation ».

En résumé, l’augmentation du nombre de conducteurs âgés incite de plus en plus les chercheurs à s’intéresser à cette catégorie de population qui pourrait présenter un risque important en termes de sécurité routière. Il serait à présent intéressant de faire le point sur les recherches qui se sont intéressées à la conduite automobile et qui prennent en compte les diminutions des capacités cognitives, et plus particulièrement des capacités exécutives dans le vieillissement normal.