2.2.3. Evaluation de la « performance » de conduite

De plus en plus de médecins expriment une forte demande auprès des chercheurs pour qu’ils leur fournissent des méthodes simples et rapides d’évaluation afin de répondre aux demandes des familles concernant la sécurité de certains conducteurs âgés. Il n’existe aujourd’hui, hélas, aucun test neuropsychologique simple qui permettrait de discriminer un bon conducteur d’un conducteur à risque. Cependant, on sait que si de telles évaluations neuropsychologiques devaient être créées, il faudrait qu’elles incluent une évaluation du fonctionnement exécutif. Freund et al.ont proposé qu’un test très rapide à réaliser pouvait être un bon prédicteur du risque au volant : le test du dessin d’horloge, qui a été démontré comme étant une bonne mesure du fonctionnement exécutif général . Leur étude montre que le test du dessin d’horloge présente une bonne sensibilité (64 %) et une très haute spécificité (97.7 %) pour prédire la performance à l’évaluation de conduite. Cependant, les composantes exécutives impliquées dans le test sont assez mal connues. En effet, l’étude de Royall et al. indique que ce test est significativement corrélé avec d’autres mesures du fonctionnement exécutif, mais cela ne signifie pas que ce soit spécifiquement un test de mesure du fonctionnement exécutif. D’ailleurs, dans leur étude, ils montrent également que le MMSE est également significativement corrélé aux tests exécutifs. Il est clair que prédire la performance de conduite sur la base de simples tests réalisés par un clinicien dans un bureau ne semble pas pertinent, car lorsque le test sera complètement échoué, le clinicien pourra effectivement avoir de sérieux doutes sur la capacité de conduire du patient, mais qu’en sera-t-il lorsque le test sera réussi ?

Plusieurs études sur simulateur de conduite se sont également intéressées aux performances des conducteurs âgés dans diverses situations . En général, ces études indiquent que le simulateur de conduite est un bon moyen de mesurer des performances et permet de confronter les participants à des situations dans lesquelles il ne serait pas possible de les mettre en situation de conduite réelle . Cox et al.indiquent par exemple que les performances sur simulateur de conduite sont capables de prédire de manière significative les performances en route réelle chez des conducteurs âgés. Freund et al.aboutissent à la même conclusion en comparant des conducteurs âgés sur la base d’une évaluation de la conduite sur route et d’une évaluation sur simulateur. Les auteurs concluent que le simulateur peut représenter une méthode aussi valide et sensible que les évaluations sur route.

Dans une autre recherche, Freund et al.ont réalisé une étude en simulation de conduite sur les troubles de confusion de pédales chez les conducteurs âgés sans déficits cognitifs avérés. Leur étude consistait à faire conduire des participants âgés dans le simulateur de conduite et à dénombrer les confusions de pédales. Cette mesure a ensuite été comparée aux performances à trois tests neuropsychologiques, le MMSE, le TMT parties A et B et le Clock drawing Test (CDT). Les résultats indiquent que les conducteurs les plus âgés (plus de 80 ans) réalisent significativement plus de confusions de pédales (accélérations inappropriées) que les autres conducteurs âgés. De plus, les auteurs ont réalisé une analyse de régression et le facteur qui prédit le mieux le nombre de confusions de pédales est le CDT. Cependant, ces troubles de confusion de pédales sont rapportés ici sur simulateur et il semblerait que les difficultés d’adaptation des conducteurs âgés dans le simulateur de conduite aient pu amplifier le phénomène, car sur les 180 participants inclus, il y en avait tout de même 54 qui ont effectué des confusions de pédales. Cette étude mériterait donc d’être reproduite sur route réelle, afin de vérifier si ces confusions sont aussi fréquentes. Ces troubles de confusion de pédales ont d’ailleurs été reportés en situation réelle de conduite, mais n’ont été observés que chez des conducteurs présentant des déficits neurologiques (Maladie d’Alzheimer).

Pour terminer, plusieurs recherches se sont également intéressées à comparer les études en conduite réelle aux études sur simulateur de conduite. Lee et al.rapportent de fortes corrélations positives entre les performances mesurées en situation réelle et les performances mesurées sur le simulateur de conduite. Ils suggèrent que le seul inconvénient du simulateur comparativement aux situations réelles concerne l’acceptabilité du simulateur par les conducteurs et en particulier par les conducteurs âgés, qui peuvent se sentir mal à l’aise à conduire en situation virtuelle, voire qui peuvent souffrir du mal du simulateur .

En résumé, les études sur simulateur de conduite représentent une bonne alternative aux études sur route réelle qui sont beaucoup plus couteuses, plus complexes à mettre en place et qui ne permettent pas une aussi bonne reproductibilité des situations que le simulateur. De plus, dans la recherche de volontaires pour les études sur la conduite, le critère de jugement et la peur de l’évaluation entrainent un biais expérimental important : seuls les conducteurs qui se sentent sûrs d’eux et qui n’ont pas peur d’être évalués se portent volontaires. Précédemment, nous avons été confrontés à ce problème pour trouver des participants volontaires dans une étude sur route réelle alors que nous n’avons pas rencontré ce type de problème lors d’une étude sur le simulateur de conduite .

La plupart des études que nous venons de présenter avaient comme but l’étude du lien entre la performance de conduite et la performance à des tests neuropsychologiques. Peu d’études se sont intéressées à une meilleure compréhension des mécanismes cognitifs qui sous-tendent l’activité de conduite. Il nous semble cependant un peu prématuré de vouloir prédire la performance de conduite sur la base de tests neuropsychologiques alors que l’activité de conduite n’a pas encore été parfaitement décrite et interprétée en terme de fonctions cognitives et exécutives mises en jeu. Notre travail de recherche devrait apporter des éléments nouveaux importants sur le rôle de ces fonctions et permettre de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu, travail nécessaire avant toute tentative de prédiction des performances de conduite.